Nous avons longtemps hésité avant de trouver le nom de l’agence de pub que j’ai fondée, en quittant RSCG avec l’un des plus gros budgets de l’Oréal (c’était de bonne guerre, ils avaient tous combattu mon idée que l’Oréal avait adorée à la fin !)

Nous voulions un nom anglais et provocateur. No bullshit ! It’s not a game, Fast and Serious (avec un S qui faisait aussi F) et pour rester dans le cinéma US : (in)decent proposal, qui a été retenu pour son côté sexy et sérieux, ce qui fait bander tous les clients (on avait terminé la discussion par ces mots).

Nous avons vite constaté que la plupart des marques à gros budgets préfèrent les agences qui alignent les noms propres : BBDO, DDB, Young and Rubicam, RSCG… Nous, notre petite liste de clients est tellement prestigieuse qu’ils s’imaginent qu’on devrait les payer pour signer leur campagne (on appelle ça entre nous le concept « vogue ») : Hermès, Montblanc, Caron, Vuiton, le Plaza Athénée et Bentley qui ne nous a jamais prêté une seule voiture pour un week-end mais qui accorde aux « cadres » de l’agence une réduction de 1,85 % sur le prix des modèles mais pas sur les options…

La mauvaise nouvelle c’est que nous avons perdu l’Oréal, notre vache « anti-laid », comme nous l’appelions entre nous, et que nous avons dû virer dix personnes. Nous restons donc une quinzaine qui s’observent, s’évaluent et se demandent qui sera le prochain sur la liste.

Je suis le directeur fondateur de l’agence et, théoriquement, je risque moins que les autres, mais les créatifs sont aussi actionnaires et, depuis Steve Jobs, je sais que tout peut basculer très facilement, donc je dors aussi mal que les autres, plus mal parce que tous les matins je suis scanné par trente paires d’yeux inquiets : a-t-on gagné un nouveau budget qui accepte de payer vraiment la création et ne se contente pas de nous inviter à la semaine de la mode ou au festival de Cannes ?

Le lundi, à dix heures, j’organise, pour motiver les troupes, une projection du feuilleton Mad Men que nous regardons tous ensemble pour découvrir l’arrogance des annonceurs des années 1960 aux USA et nous rassurer face à la pingrerie de nos clients actuels et leur peu de reconnaissance suite à nos campagnes « chic et trash » que nous défendons sans doute avec une pointe d’arrogance mais j’ai décidé que c’était le genre de la maison et le seul vrai revenu de nos « (in)decent proposals ». Nous venions de terminer la fin de la saison 3 où Don et Sterling cherchent désespérément de nouveaux budgets pour l’agence qu’ils viennent de créer et échapper au rachat par Mac Cann (l’horreur, l’usine, cf. Don). Je terminais donc le débriefing de notre visionnage qui décrivait exactement notre propre situation. On m’annonça qu’une « personne sans rendez-vous » voulait me rencontrer. Je décidai de la recevoir dans la salle de conférences en compagnie de toute la création puisqu’elle s’invitait sans prévenir. Nous l’attendions le sourire aux lèvres.

La personne entra. Nous fûmes tous surpris, cueillis à froid. Une jeune femme, genre top modèle, grande, superbe et noire mais (ce qui était étonnant avec ce genre de fille) souriante et décontractée. Elle s’assit sans complexe et sans provocation sur la table, ce qui nous donna l’impression d’être des nains autour de Blanche-Neige. Elle nous dit qu’elle était étudiante en histoire de l’art, qu’elle terminait une thèse sur les tabatières Tchokwe (Bas-Congo) et qu’elle coorganisait une exposition sur « l’art africain utilitaire » dans une galerie de la rive droite, pas très loin du palais de Chaillot. Elle s’appelait Shade Goude (oui, la fille de Jean-Paul Goude — un frémissement nous parcourut). Elle demandait que nous nous occupions de la communication, et comme il n’y avait pas de budget elle se proposait de travailler avec nous bénévolement à la recherche de sponsors… Elle avait déclaré tout cela d’une traite comme une évidence déjà programmée et pas l’un d’entre nous, portés sur les feintes et les bons mots, ne l’avait interrompue.

« Pourquoi nous ? », lui demandai-je. Elle se tourna vers moi lentement, planta ses yeux de biche dans les miens puis, regardant l’assemblée tour à tour, répondit : « L’art, c’est de la communication avant tout et votre communication s’approche de l’art, c’est pour cela que j’ai choisi votre agence et que je n’en veux pas d’autre. »

— Jamais un client ne nous avait aussi bien parlé de nous, clama dans un sourire mi-ironique, mi-sérieux Simon, mon directeur de création, et tous applaudirent.

Shade avait remporté l’affaire en trois minutes et vingt secondes !

Je réfléchissais à toute vitesse. Bon, nous avions un client, sans argent de plus ; « so what », mais une idée s’imposait : il fallait frapper un grand coup. Les élections présidentielles se dérouleraient dans quelques mois, il fallait qu’on y participe, qu’on impose notre marque, genre « la force tranquille » mais personne ne nous sollicitait, personne ne pensait à nous pour ce genre d’exercice. Il fallait compter sur nos propres forces. Et là, sous nos yeux, nous avions un cadeau des dieux ! Une candidate qui cumulait toutes les difficultés et tous les avantages. Une femme noire, belle et intelligente, au charisme « fantastic » comme disent les Américains, que personne ne connaissait et dont nous devions faire une candidate présidentielle. On ne trouverait pas un challenge plus complexe et plus excitant !

L’après-midi, mon idée fut acceptée à l’unanimité et fêtée à grands coups de Dom Pérignon (un client de l’agence qui nous payait en jéroboams dignes du Nikki Beach).

Bien sûr il y avait déjà Rama Yade, jeune femme noire politique et ravissante, mais elle avait été ministre de Sarkozy, avait écrit un livre soporifique sur la jeunesse et lorsqu’elle prenait la parole tout le monde bâillait. Elle changeait légèrement de camp (centriste, ce n’était pas un camp, plutôt un placard) mais ne se présentait pas.

Shade trouva l’idée farfelue mais drôle et la dérision des institutions et de toute cette comédie des préélections l’amusait terriblement : elle accepta de jouer le jeu en partie en hommage à son père, Jean-Paul, qui était l’idole de tous les créatifs du monde. Bien sûr il fallait les cinq cents signatures, mais quel homme politique oserait refuser son aide à une femme noire et jeune sans se faire taxer de racisme, d’antiféminisme et d’antijeune ? Personne ! Nous devions préparer Shade, elle devrait avoir la force et la personnalité de Grace Jones, le charme de Kouchner, jeune, qui porte un sac de riz sur l’épaule, le courage physique (et peut-être l’élégance antiballes) de Bernard Henry Lévy sans sa cuistrerie, et l’humour de Nicolas Bedos sans son égotisme agressif.

Bref, Shade devait être la candidate parfaite, celle qui fait oublier la morne redondance de tous les autres prétendants, celle qui ferait, comme nous le disions tous, « rebander la France ».

Ce claim génial était peut-être trop vulgaire pour une campagne nationale, mais c’est bien ce que nous voulions : faire rebander la France, au propre et au figuré ; redonner du tonus à un pays tristounet, puisque d’après les statistiques, les Français sont les plus déprimés d’Europe et se gavent de pilules, alors qu’il existe la Norvège et l’Islande. Allez-y et tentez d’en revenir indemnes !

Mais comment démarrer notre campagne ? Comment enclencher le buzz qui ferait de Shade Goude une star naissante de la politique alors que rien ne la prédisposait à cela ?

Nous avions une chance, une seule, grâce à notre client le plus pénible, celui qui se foutait royalement (et même républiquement) de notre gueule : Bentley. Les hauts responsables avaient fait le déplacement à Paris pour nous suggérer que, lors du G20 qui se déroulerait à Cannes dans quelques jours, nous pourrions faire remplacer l’une des sempiternelles Mercedes par une Bentley pour véhiculer sur cinq cents mètres une personnalité étrangère importante. Le big boss de la marque m’avait pris par le bras et murmuré à l’oreille « Obama should be fine ! » et son sourire très British m’avait donné l’envie de le faire assassiner par quelques Albanais de mes amis.

Je ne comptais même pas essayer de véhiculer le président US, mais j’avais, connaissant bien les habitudes azuréennes, envoyé mon directeur financier sur la côte pour distribuer un certain nombre de billets de cent euros, les billets de cinq cent étant tous considérés comme de la « monnaie corse ».

Je sentis l’opportunité. Je posai immédiatement la question à Shade. Avait-elle le permis ? Bien sûr. Se sentait-elle capable de piloter une Bentley continentale ? Elle rit. Elle en avait conduit plusieurs, dont une décapotable, sur des centaines de kilomètres. En fait la Bentley était l’une des voitures qu’elle connaissait le mieux. Il existait des vidéos qui la montraient au volant avec des groupes hyperconnus.

Tu te fous de ma gueule ? lui dis-je, en me versant une vodka tonic (à propos, il nous faudrait un budget vodka…) Shade éclata de rire « Tu ne sais pas que la Bentley est la voiture préférée des rappeurs black ? Ils raffolent des bijoux en or, mais ils ont appris à détester les voitures bling bling comme les Ferrari ou même les Porsche (les « white shits ») et, pour eux, les Mercedes les plus haut de gamme sont carrément des bagnoles de plouc. Tu m’étonnes ! Tu n’as pas lu la Possibilité d’une île de Houellebecq ? Pourquoi tu crois que les trous du cul de Bentley font dans leur froc pour leur image de voitures de la « haute » ? »

Cette dernière phrase me démontrait que Shade comprenait vite et jouait parfaitement avec les mots.

Notre plan se résumait donc à cette simple question : comment faire entrer Obama dans une Bentley conduite par Shade ?

Finalement, ce ne fut pas si difficile. Avec l’aide du pognon distribué généreusement nous sommes parvenus à faire partie des véhicules officiels.

Quand le président des USA vit le Premier ministre anglais entrer dans une Jaguar, voiture de directeur commercial, il fut ravi de voir arriver le long capot classieux de la Bentley et de découvrir, au volant, au lieu du classique chauffeur au crâne rasé, la longue silhouette d’une jeune femme noire et métissée comme lui. Il entra sans hésiter.

Cinq minutes plus tard toutes les voitures étaient bloquées devant l’entrée du palais des festivals. Il faisait beau, le soleil couchant faisait flamber la côte.

Shade ouvrit la portière et sortit de la Bentley ; elle regarda la mer… Obama quitta la voiture, le service de sécurité était partout aux aguets. Obama se rapprocha de Shade, lui sourit ; elle se tourna vers lui, lui mit la main sur le bras. Barack s’appuya légèrement sur son épaule. La robe de soie Thierry Mugler de Shade luisait comme une torche. Elle parla au président qui brusquement éclata de rire. Les flashes crépitèrent de partout.

Je faillis m’évanouir de plaisir. Le résultat était au-delà de ce que j’avais imaginé de plus fou. Je me retins au bras de la grande et belle pute russe que j’avais louée pour l’occasion. « What did she tell him ? », me demanda-t-elle avec l’accent de Saint-Pétersbourg. Je lui répondis que je n’en savais « fucking nothing », et c’était vrai. On n’avait rien préparé.

Plus tard, je demandai à Shade ce qu’elle avait dit à Obama. « Je lui ai dit que c’était une chance pour le président Sarkozy d’avoir une fille. Imaginons un garçon. Quand on aurait dit à Carla “comment va le petit”, lui aurait-on parlé de son fils ou du président de la France ? »

Shade garda cet esprit à la fois vachard et tendre durant toute la campagne.

Le lendemain, toute la presse montrait en première page la photo de Barack Obama et de Shade en train de se marrer.

Nous achetâmes une pleine page de Libération (pour nous faire bien voir puisqu’ils soutenaient Hollande de façon outrageuse), avec la photo et notre commentaire : « la future présidente de la france fait rire le président des usa. » Nous fûmes assaillis de questions de journalistes : qui est cette Shade dont nous parlions comme d’une candidate crédible ?

Le buzz était lancé, la campagne suivrait. Notre claim : « Shade Goude pour une France plus drôle, plus juste, plus vraie et plus sexy ; pour une France qui ne perdra plus son image, ni à l’étranger ni dans le cœur de son peuple ».

Les demandes d’interviews affluaient et Shade s’en tirait super-bien (avec un peu d’aide de l’agence). Elle affirmait que les Français ne devaient plus pleurer sur leur sort, qu’ils n’avaient jamais eu autant de possibilités d’être heureux, surtout si on les comparait au reste du monde, elle rappelait les progrès en médecine, en communication, en nouvelles énergies, en nouveaux TGV, et aussi qu’il fallait s’unir contre une classe politique omniprésente, incompétente, tournée vers leur carrière bloquée, et l’impossibilité de s’entendre (voir les socialistes et les verts). Les médias, comme les politiques, pouvaient difficilement l’attaquer : une femme noire et jeune, comment en dire du mal sans paraître raciste dans tous les domaines ?

On trouva ensemble une proposition de « taxe soft », comme nous l’avions baptisée, qui rappelait les déclarations des milliardaires américains : Bill Gates, Steve Jobs ou Donald Trump. « Donner une partie de votre fortune fait partie de votre devoir de “rich and famous” ».

Il y avait en France deux millions de millionnaires en euros. Ils se déclaraient heureux et confiants en l’avenir. Eh bien, que chacun donne 1 % de son patrimoine, cela ferait vingt milliards de bonus et le problème immédiat de la dette était réglé. Quel millionnaire refuserait, pendant les années difficiles, de verser dix mille euros pour aider la France à relancer le business et faire redémarrer la machine ?

Après l’interview, de nombreux millionnaires connus et moins connus publièrent une lettre ouverte : « Oui, nous sommes prêts à verser dix mille euros pour faire re/gagner la France. » Le volontariat avait surpassé l’obligation et la loi. (Bon, on ferait quand même voter une loi mais pour la forme et dans une bonne ambiance.)

Mais ce sont surtout les petites phrases qui marquaient les Français : François Hollande, qualifié de « gros mage de Hollande anorexique qui ne supporte aucune femme autour de lui, de Ségolène à Martine ».

Quand un proche de Sarkozy lui demandait : « Mais quelle politique feriez-vous ? », Shade répondait : « L’inverse de la vôtre ! Mais la seule difficulté, c’est de savoir laquelle, elle tourne comme une girouette qui fabrique de l’énergie non-renouvelable. »

À Marine Le Pen : « Vous ne voulez ni l’Europe, ni l’euro, ni les jaunes, ni les bruns ni les noirs ; vous triez les hommes comme les pommes de terre. Vous allez vous retrouver maraîchère d’une France affamée pour laquelle le monde extérieur sera hors de prix, hors de portée. Vous serez aussi seule que Kersauson sur son bateau à voile qui, même lancé à toute allure, avance à la vitesse d’une mobylette rouillée (28 nœuds = 50 km/heure). » Et quand, furieuse, Marine l’interpella en martelant : « Qu’est ce que vous connaissez à l’histoire de ce pays ? », Shade corrigea : « Vous voulez sans doute dire qu’est-ce qu’une négresse connaît ? », amenant les rieurs, même légèrement racistes, de son côté.

À l’agence, nous avions bien compris que ces élections étaient surtout un référendum contre Sarkozy et que les principaux programmes restaient très proches. Il fallait donc trouver un autre ton, une autre proposition. Une femme, une inconnue de couleur, comme Barack, une belle créature qui n’était pas en politique depuis des années, en fait qui n’était pas en politique du tout mais qui disait les choses différemment, et avec provocation, comme Coluche en son temps.

Et ça fonctionnait. Sur le nucléaire, Shade disait : « Tout ce qu’on doit cacher sous des tonnes de béton et transporter dans des tonnes de plomb me semble malsain, surtout peu pratique et finalement peu démocratique » ; et elle terminait : « Il faudra abandonner au plus vite cette énergie d’un autre temps, celui de la guerre froide et du climat moins chaud. »

Mais elle se moquait des écolos, sur le thème : « Pourquoi le vert ? Personne ne s’habille en vert ; c’est toujours la couleur qui reste pour les soldes ! Le vert, dans la nature, change tout le temps ; il devient brun, jaune, et à la fin il pourrit. Choisissez le bleu, couleur du ciel d’où viennent le soleil et le vent, couleur de la mer d’où viendra une énergie toujours recommencée, comme disait Paul Valéry. »

Un jour on lui posa une question sur DSK. Au lieu de la classique réponse féministe, elle répondit, paraphrasant, en plus drôle, Clémenceau : « Paris le croyait César, New York a compris qu’il ne se voyait que Pompée. »

À Mélenchon qui voulait un débat avec elle, Shade déclara : « Je ne débattrai avec lui que s’il se laisse pousser une moustache à la Staline, ça lui donnera enfin un look qu’il n’a pas et il se sentira plus proche de ses idées prémodernes ou postléniniste, au choix ». Il n’y eut jamais de débat Mélenchon-Shade, ce qui démontra à tous le danger de voter pour un candidat dépourvu d’humour.

Quand le centriste Bayrou voulut, lui aussi, une confrontation télévisée (c’est toujours les mêmes qui ont droit aux médias, pleurnicha-t-il comme d’habitude), Shade affirma : « Je n’ai rien à gagner à discuter avec un type qui se présente chaque fois et qui n’est jamais élu. Bayrou porte la poisse, comme Jospin la défaite. » Elle rajouta qu’elle ne voyait pas plus Bayrou diriger la France que Jean-Claude Van Damme diriger le festival de Bayreuth.

Shade se débrouillait génialement, passant de questions sérieuses — combien de temps pour sortir du nucléaire sans payer un max pour notre électricité et les indemnités de départ de tous ces travailleurs des centrales atomiques qui étaient tous bien payés pour bosser dans la peur (comme le Japonais qui craint le tsunami entre ses murs de papier) — et les digressions humoristiques — comme de conseiller à Eva Joly « de changer de lunettes (couleur et forme) et puis, quand elle verrait plus clair, de changer entièrement de style, notamment politique ».

À Chevènement, Shade promit, quand elle serait élue, un ministère « de la droiture et du miracle républicain », s’il se retirait de la course à la présidence et de son appartement HLM du VIe arrondissement. Et comme il souriait béatement (c’était le style Chevènement), elle ajouta qu’elle n’irait pas plus haut en échange de 2,5 % de voix.

Avec Shade Goude, la campagne pour la présidence était devenue une fête. Son charme et sa beauté obnubilaient les caméras et chacun souhaitait pouvoir tapoter sur son iPhone pour expulser au plus vite tous ces losers mâles et femelles du loft élyséen comme dans une gigantesque téléréalité. En radio, sa voix chaude et un peu rauque faisait craquer les femmes et excitait les hommes. Les sondages nous voyaient monter irrésistiblement…

Quand le soir du premier tour arriva, nous étions tous réunis à l’agence, comme pour le visionnage de Mad Men. Je serrais la main de Shade et tous l’embrassaient pour la réconforter.

Les résultats tombèrent :

— Les écologistes : 9 % (quel bond !)

— Chevènement : 2 % (on l’avait bien dit !)

— Bayrou : 6 % (incroyable !)

— Mélenchon : 5 % (incrédible !)

— Le rassemblement centriste : 2 % (inconnu au bataillon !)

— Marine le Pen : 17 % (les sondages la donnaient à 12 % !)

— Hollande : 18 % (il avait commencé à 38 % !)

— Shade Goude : 20 % (la plus belle surprise du siècle !)

— Sarkozy : 21 % (à droite toute !)

Nous poussâmes un hurlement de joie. Nous étions au second tour. Nous fîmes péter le champagne et bûmes à la première femme noire, jeune, belle et intelligente présidente de la République, puisque tous les antisarkozistes, c’est-à-dire les éliminés, allaient voter pour elle au second tour. L’affaire était pliée ! On avait gagné.

Notre agence avait donné, pour la première fois dans l’histoire, une présidente à la France et grâce à elle l’image de l’Europe allait changer. L’avenir du monde en serait modifié, les femmes allaient toutes s’engouffrer dans ce passage taillé pour elles.

Du côté égoïste, les clients allaient se précipiter sur l’agence comme les jeunes sur les jeux vidéo, on allait tous rouler en Bentley.

Je rajoutai de la vodka à mon champagne, ça valait bien ça…

Je sentis une main sur mon épaule, une voix, celle de Thierry, un rédacteur à la création, qui me disait : « Tu as la saison 4 pour la semaine prochaine ? »

Ce con venait de me faire revenir à la réalité. J’avais fermé les yeux cinq secondes de trop après la fin de Mad Men, cinq secondes de bonheur et de victoire absolue sur notre société bornée de tous côtés.

Ah, si le film Inception existait vraiment, là, maintenant ! Ah si Leonardo DiCaprio pouvait entrer dans mon rêve et me présenter à nouveau Shade Goude, celle qui changera, à jamais, notre avenir merdique à tous et à toutes.

Partager