Dieu ne joue pas aux dés.
Albert Einstein
Elle est assise bien droite et porte le voile, comme 80 % des filles dans cette portion du métro, à cette heure-là. Comme 80 % des filles, elle a des écouteurs high-tech enfoncés dans les oreilles. Comme 80 % des filles, elle est penchée sur son smartphone à écran géant, mais comme 0 % des filles, elle regarde un film en noir et blanc. C’est fou comme, à notre époque numérique, ces images froides et sautillantes attirent toutes les attentions. En me penchant par-dessus son épaule, oh très légèrement, je reconnais Charlot soldat ; il ne porte plus son costume de gentleman vagabond mais un uniforme de l’armée américaine de la Première Guerre mondiale — la « première », on savait donc qu’il y en aurait d’autres ? Elle devine mon regard, jette vers moi un œil trop maquillé de khôl comme les speakerines d’Al Jazeera, j’ai même l’impression qu’elle tourne l’écran de quelques millimètres dans ma direction. Je souris sans qu’elle me voie pour créer une complicité connue de moi seul, un secret entre me and myself (les mieux gardés !) J’ai toujours adoré Charlot, sa timidité insolente, sa douceur et sa violence libératoire. Il ne reste pas longtemps dans les tranchées, il se déguise en arbre-espion, puis en Prussien pour enlever le Kaiser, mais surtout pour empêcher le probable viol d’une jolie Française qu’il tient à garder pour son usage exclusif, comme dans tous ses films (et comme dans sa vie). Pour donner le change, Charlot-prussien botte le cul de son meilleur pote, le bouscule avec violence, déguise la Française en soldat allemand à la moustache ambiguë qu’il trace lui-même au cirage. Lire la suite →