Dune du Pyla, 11 octobre 2015

 

Donald l’a repérée dès son apparition sur la terrasse de « La Co(o)rniche » où il discute avec Alain Juppé « the fucking mayor of Bordeaux » comme il l’appelle. Ce n’était pas une négociation facile, Juppé semblait contrarié, limite agacé. « French Bullshit » pense Donald. Du coin de l’œil sous sa mèche blonde, il surveille les allées et venues de cette jeune rousse aux cheveux lisses le long de la piscine à débordement qui semble prolonger la vue sur le bassin d’Arcachon et le banc d’Arguin. – « Beverly Hills style bitch »- mais quelque chose d’un peu distrait et méprisant dans son allure lui dit qu’elle fait partie des « rich and famous » ! Lire la suite


C’est l’heure du journal, d’un clignement d’œil j’allume l’écran mural, je positionne mes lunettes d’immersion 3D et je pénètre dans la news-room de CNN. Les jeunes et beaux secrétaires sourient. Rares sont les hommes qui s’intéressent aux nouvelles internationales. La plupart de mes amis surfent sur internet à la recherche de nourritures bio ou de vêtements antiradiation pour les enfants. Ils les commandent et attendent les livraisons pendant que leurs compagnes parcourent le monde en drones privés et s’enrichissent en créant des start-up.

Ce soir le monde entier fête les 80 ans de Nadejda Tolokonnikova et ses 30 ans à la tête de la Russie. Les présentatrices vedettes du monde entier la congratulent, rappellent son extraordinaire carrière depuis la fondation des Pussy Riot puis la mise en place en Russie du « pussysme » qui devient rapidement une lame de fond internationale, un mouvement mondial, un raz de marée bien plus concret que tous les bouleversements climatiques annoncés par les vieux savants masculins, aujourd’hui la risée des chercheuses scientifiques sérieuses du monde entier. Lire la suite


 

Tout était écrit comme dans « le livre ». Ma mère m’avait prévenu : « ils vont abuser de toi, de ta jeunesse, de ta force, méfie-toi d’eux ». Mais je haussais les épaules.

Et ce soir, sur 50 mètres carrés d’Europe, je vais me faire enculer par Mike. Je pourrais refuser, dire : non, ah non ! pas ça. Mais… c’est compliqué, mon sexe va et vient entre les fesses de sa femme et elle me dit : oui, oh oui ! Vas-y ! Et ça me fait sourire…

Vas-y ! Je me répétais ça tous les jours, ne reste pas ici, quitte ce foutu pays où tout le monde trahit tout le monde, où on ne sait jamais qui tire sur qui, ni pourquoi ? Ni quand ? Où est la révolte ? Où est la révolution ? Qui sont les justes et les salauds ? Où est l’espoir ? Quel est l’avenir de cette nation en confettis de clans, de religions, d’obédiences ? Qui sont les amis ? les ennemis ? Les protecteurs successifs qui ne protègent que leurs intérêts ? Qui crie « Allah akbar » à chaque explosion amie ou ennemie ? Lire la suite


Fable numérique

Pour une fois, tous les médias étaient sur la même ligne : Raphaël était le plus beau mec de tous les envoyés spéciaux au Kurdistan. Qu’il soit perché sur la tourelle d’un char, son foulard négligemment enroulé autour de son cou puis croisé haut devant son sourire, ou réfugié dans le coin d’une terrasse d’Erbil buvant son coca light à l’ombre, il ne laissait personne indifférent, puisque, comme le disait Jean Cocteau : les privilèges de la beauté sont immenses, ils influencent même ceux qui ne s’en aperçoivent pas. Mais la plupart des femmes et pas mal d’hommes s’en apercevaient et lâchaient en le voyant : Putain, qu’il est beau ! Lire la suite


Je t’en prie Dévore-moi

Déforme-moi jusqu’à la laideur

Marguerite Duras, Hiroshima mon amour

— Vous savez, Svetlana, mon père m’a constamment répété qu’au temps de l’URSS, les gymnastes étaient de véritables stars, pas comme maintenant avec l’argent et la télé qui pourrissent tout.

— Vous êtes une star, Alina Maratovna.

— Vous pouvez m’appeler Lina. Lire la suite


Dieu ne joue pas aux dés.

Albert Einstein

Elle est assise bien droite et porte le voile, comme 80 % des filles dans cette portion du métro, à cette heure-là. Comme 80 % des filles, elle a des écouteurs high-tech enfoncés dans les oreilles. Comme 80 % des filles, elle est penchée sur son smartphone à écran géant, mais comme 0 % des filles, elle regarde un film en noir et blanc. C’est fou comme, à notre époque numérique, ces images froides et sautillantes attirent toutes les attentions. En me penchant par-dessus son épaule, oh très légèrement, je reconnais Charlot soldat ; il ne porte plus son costume de gentleman vagabond mais un uniforme de l’armée américaine de la Première Guerre mondiale — la « première », on savait donc qu’il y en aurait d’autres ? Elle devine mon regard, jette vers moi un œil trop maquillé de khôl comme les speakerines d’Al Jazeera, j’ai même l’impression qu’elle tourne l’écran de quelques millimètres dans ma direction. Je souris sans qu’elle me voie pour créer une complicité connue de moi seul, un secret entre me and myself (les mieux gardés !) J’ai toujours adoré Charlot, sa timidité insolente, sa douceur et sa violence libératoire. Il ne reste pas longtemps dans les tranchées, il se déguise en arbre-espion, puis en Prussien pour enlever le Kaiser, mais surtout pour empêcher le probable viol d’une jolie Française qu’il tient à garder pour son usage exclusif, comme dans tous ses films (et comme dans sa vie). Pour donner le change, Charlot-prussien botte le cul de son meilleur pote, le bouscule avec violence, déguise la Française en soldat allemand à la moustache ambiguë qu’il trace lui-même au cirage. Lire la suite


Mise en garde : Toute ressemblance avec des noms, des personnages ou des faits existants, serait pure coïncidence inhérente aux œuvres de fiction.

Il y a dix ans, un copain, pour me mettre dans son lit, m’avait téléchargé sur mon ordi, la série « Twin peaks », un David Lynch de l’époque jouissive du cinéaste devenu incaptable. J’avais quatorze ans et je regardais en boucle certains passages. Mon préféré mettait en scène une fille qui avait les mêmes yeux bleus que moi… Elle veut se faire engager dans un bordel de la frontière canadienne pour pouvoir enquêter sur des orgies dont tout le monde parle mais que personne ne fréquente. Rien, dans son attitude, ni dans son look ne correspond à la « pute parfaite » attendue par la patronne. Lire la suite


Elle a mis un doigt sur ses lèvres, couleur bonbon à la fraise : « Chuuut » ! Cinq secondes avant, elle avait relevé ses Ray-Ban et caché ses yeux, couleur chocolat au lait, par une paire de lunettes de soleil à 399 euros, prise en vitrine, puis les Ray-Ban avaient repris leur place. La paire « essayée » avait été chouravée vite fait. L’une sur l’autre, avec ces deux verres fumés elle devait voir que dalle dans cette foutue boutique de plage sombre comme un night-club, froide comme la banquise because la clim.

Alors, comment elle a fait pour me repérer ? Voir que j’avais tout pigé. Lire la suite


En 1990, pas un homme n’y échappa. Sur les écrans de télé, dans les cinémas, des dizaines de jeunes femmes en robe du soir ouvraient et refermaient les volets d’un hôtel de luxe (copie du Carlton de Cannes) en hurlant : ÉGOÏSTE !

Des blondes criaient « égoïstes ! », des brunes criaient « égoïstes ! », des rousses criaient « égoïstes ! ». Ces vagues de cris nous renvoyaient à ce que nous allions devenir pendant ces années-là, ces années fric, ces années de capitalisme triomphant après la chute de l’URSS, ces années de privatisations galopantes puis du développement d’Internet et du numérique, ces années d’hyper-individualité, ces années de création de milliers de start-up dopées à la testostérone et basées sur du vent. Lire la suite


Dès que cette fille bronzée, aux longues jambes, aux yeux brun vert, s’est approchée de moi, je me suis dit que je n’aurais jamais dû m’asseoir à cette terrasse, à cette heure de la journée, que malgré le soleil de cette fin d’après-midi il ne fallait pas porter des lunettes noires, que je devais me lever et partir… mais c’était trop tard.

Elle est là, devant moi, elle me regarde, je prends mon verre de vodka tonic et me concentre sur les glaçons qui tournent lentement devant mes yeux, mais j’aperçois quand même ses seins ronds qui dessinent le décolleté de sa courte robe brillante, du même gris acier que la carrosserie de ma nouvelle Porsche. Elle désigne le siège inoccupé en face de moi : « Vous permettez ? » Je détourne la tête : « Non, désolé ! » Elle tire le siège vers elle et s’assied. Je pense : « Elle n’a pas l’air d’une pro mais elle agit exactement comme si elle l’était », et j’évite son regard et sa bouche. Elle pose la main sur mon verre et l’écarte de mon visage. Je suis en tee-shirt et en jean, je porte un blouson métallisé, je suis mince et je me teins les cheveux. Je ne devrais pas paraître mes cinquante-quatre ans mais mes mains, peut-être ? Ou alors cet air agacé que j’ai pris trop vite ? Ou alors la vodka ? Mais c’est incolore et inodore, et c’est pourquoi j’en bois. Lire la suite