Entre douze yeux, l’amour

Monique Thomassettie,

Six personnages : quatre sirènes, un mari, une épouse.

L’épouse, à son mari

Non, je ne suis pas jalouse de ces sirènes qui t’envoûtent. Si ça leur chante, qu’elles fassent un chœur, je t’attacherai au mât de…

1re sirène, éclatant de rire

En l’occurrence, c’est son mât qu’il faudrait attacher !

2e sirène

Ne soyons pas vulgaires.

3e sirène

En effet, la matière n’est pas à rire (elle se tourne vers l’épouse), mais à pleurer, n’est-ce pas ?

L’épouse ferme les yeux.

4e sirène, avec violence

Oui, qu’on l’attache, qu’il cesse de nous séduire…

L’épouse sursaute, et ouvre les yeux.

3e sirène

… sans nous forcer, précisons-le.

1re sirène

Cela reste à démontrer.

2e sirène, à l’épouse

Mais comment pouvez-vous supporter ces tromperies ?

L’épouse

De toute façon, sa vague, c’est moi ! Je l’aime.

Le mari, enlaçant sa femme

Moi aussi, je t’aime.

L’épouse

Je citerai un film d’Ingmar Bergman, dans lequel une femme dit de son homme volage : « Mon mari a une virilité encombrante. » Quelle allure, cette réplique ! Quelle élégance !

Les quatre sirènes, en chœur

Madame, vous êtes admirable d’élégance, et de bonté en plus.

Le mari

Mon épouse a aussi compris combien l’on a voulu me piéger… J’étais en voyage, loin d’ici, quand une autre sirène se mit à chanter d’une voix irrésistible… (Envieuses et dépitées, les quatre sirènes se regardent, tandis que l’épouse sourit de leur jalousie.) Vous devinez la suite : je plongeai aussitôt en ces chaudes sonorités. Mais, la menaçant, mes détracteurs obtinrent d’elle un mensonge : m’accuser de viol, alors qu’elle avait été consentante.

L’épouse, à son mari

Si cette exotique sirène n’avait finalement pas eu le courage de se rétracter, tes jeux invétérés auraient servi leurs enjeux — (pince-sans-rire) oserai-je dire : à ton corps défendant ? ! (À la 3e sirène) Vous voyez, la matière peut être à sourire… Là, c’est l’humour, l’humour qui sauve notre amour !

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