Tailleur de pierre

Marianne Hendrickx,

À Didier

Je m’appelle Wolfgang. Amadeus, je ne sais pas. Est-ce que j’aime Dieu ? Est-ce que Dieu m’aime ? Ce n’est pas la question. Entre lui et moi, quelque chose ne colle pas. S’il existe, il a créé un monde trop lent. Déjà, prendre sept jours pour pareil résultat ! Je n’ai pas le temps, je ne l’ai jamais eu et je sais qu’il est compté. À l’école, heureusement que j’y ai vite échappé, je donnais toujours la réponse en premier. Alors, le Maître disait : « Tout le monde peut répondre, sauf Wolfgang ».

Un jour, j’ai appris la composition. Un autre Maître, des problèmes avec sa maman, m’a expliqué que je souffrais de difficultés avec papa. Et puis que je brodais ma musique comme si tout jeune déjà, je me préparais à la mort. Pas la mienne, il s’est trompé. Enterrer papa, voilà l’obsession. Je l’assassinerai par tous les moyens, toujours. Papa s’est pris pour Dieu si l’on veut, il a voulu me créer, faire quelque chose de grand à son idée, mais je ne me laisse pas faire. Il voulait que je fasse des courbettes dans les Cours. Les dentelles, très peu pour moi.

Et puis, Dieu a imaginé un monde trop rond aussi. Cela manque de facettes. Je taille, je façonne, je veux du relief. Pas les reliefs du festin. Le prêtre est encore passé, je vais comme ça, mal depuis toujours. Il m’a fait de l’ombre, le curé. Mais j’ai retenu ce qu’il a dit. « On est seul, mais on est libre. On a sa vie en main. » Vivre de commandes, du moment qu’on ne me commande pas. Tant pis pour papa.

Vertiges, le cœur qui bat trop vite, l’esprit qui s’emballe, le ventre creux se tord, la nausée monte, je tousse. À chaque minute, je suis étonné de vivre aussi vieux. J’ignore combien de temps je vais rester ici. Aucune importance. L’air se trouve partout, de préférence ailleurs.

J’aime les gens, je les comprends trop, ils m’envahissent, je les fais grimper au ciel et je m’envoie en l’air, je jouis, je ne m’arrête jamais, tel est mon bonheur et ça me tuera d’une petite mort. Pour me venger des gens, je les fais chanter.

Que sait le monde du pouvoir ? Couronnes, empires, amours, instruments enchantés, sultans, princes, à en déduire que la terre tourne autour d’eux. Je jongle et je dénonce, mais j’enrobe à n’y voir que du feu. Je crée la petite étincelle humaine. C’est un peu mon truc. Le peuple adore se leurrer, surtout quand il déborde de puissance et d’argent, assis dans un fauteuil, à contempler la scène. De là à avoir prise sur moi qui ai tout orchestré… Je n’y crois pas. Je mue sans cesse. Ainsi, je survivrai. Bon, voici déjà le temps de passer à autre chose.

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