Les six saisons de Mozart ou Le cœur intuitif

Monique Thomassettie,

Pour moi, l’avant automne et l’avant printemps constituent deux saisons de plus. Je composerai mes Six saisons ! Car j’aime l’air transitoire, d’une dense subtilité, qui, à ces deux moments de l’année, exacerbe le sentiment et l’émoi amoureux.

Certes, l’émotion naissante et la saison s’annonçant dans l’air vivifié s’intensifient mutuellement. Rencontre entre un souffle émanant du végétal et la vibration d’un cœur, rencontre entre un sang et une sève. Sève qui se met à palpiter, se préparant à se replier ou à se déplier.

Il en résulte une disponibilité, à l’image de la végétation : follement exubérante à l’avant printemps et sagement sereine à l’avant automne.

Pourquoi, depuis peu, baigné-je dans un état où se mêlent cette sérénité et cette exubérance ? Un état amoureux ! Alors qu’aucune femme pour l’instant ne m’anime.

Je repense aux femmes abandonnées par mon Don Juan. Elles, elles ne veulent plus que la Nature se mêle de leurs amours, elles ne veulent plus sentir leur corps vibrer d’une vaine attente. Plus tard, je ferai une autre version de cet opéra ! La sève y fleurira autrement.

Une vision m’habite soudain de ces femmes se rassemblant et se concentrant en une seule : en ma Reine de la Nuit !

Je composerai aussi cette vision ! Et la relierai à mes Six saisons ! Je ne sais encore comment, mais c’est en composant qu’on devient compositeur, n’est-ce pas.

Oui, quand j’aurai terminé d’écrire mon « Requiem », je me lancerai dans… Ah ! Je ne sais si ce sera un opéra ou une symphonie… L’air transitoire d’entre-saisons y comblera ma belle Reine !

Serais-je amoureux d’elle ? De ma création ?

Ma « Flûte enchantée »… Pourquoi n’ai-je pas exprimé au librettiste ma désapprobation à propos de certaines paroles trop manichéistes ? Je ne songeais alors qu’à ma musique. Plus tard, je changerai cela.

La composition de mon « Requiem » porte parfois mes pas vers une proche église. Il y fait sombre. Hier, dans cette obscurité, la lumière diffuse filtrée par un haut et petit vitrail blanc ainsi que celle plus chaude de la flamme de quelques bougies ont éveillé en moi une réminiscence… Elle s’est précisée cette nuit, lors d’une insomnie.

Un tableau ! Où avais-je vu un tableau de la même atmosphère ? D’un clair-obscur estompé, sans dureté dans les contrastes… C’était chez des mécènes qui m’avaient invité à jouer à leurs soirées. Je ne sais plus dans quel pays, mais je me rappelle qu’ils collectionnaient des tableaux, et celui-là, placé discrètement dans un petit salon en retrait, avait longuement retenu mon attention, si bien que mon hôtesse, me rejoignant, me parla d’un peintre du siècle passé, auteur de cet intérieur où songeait un vieillard et où une vieille attisait un foyer. Lui assis près d’une fenêtre ouvrant sur un jour immaculé, et elle, dans la pénombre opposée, elle penchée sur un feu orange, étaient l’un et l’autre séparés par la spirale d’un escalier. Je me souviens d’avoir trouvé cette spirale musicale. La volée supérieure se noyait dans une ombre mystérieuse. Passionnée d’arts, la maîtresse de maison me dit : Voyez, on dirait un soleil noir, cette sombre béance rayonnant des marches. Vers quelle nuit montent-elles ? Puis, en riant, comme pour cacher une émotion, elle me confia : Mon cher Wolfgang, j’aime imaginer, plutôt qu’une montée, une descente… Devant mon silence, elle précisa : Oui, quelque chose dévalant du grenier… Puis, d’une voix franchement émue : Un enfant tardif, peut-être, que ce couple n’ose plus espérer… Je lui répondis : Ma « Petite musique de nuit »… Comme elle ne comprenait pas, je lui expliquai qu’elle n’était pas encore écrite, mais en projet dans un coin de mon cœur. C’est joli, s’exclama-t-elle avec une reconnaissance qui témoignait de son amour des arts, c’est joli cette idée d’une musique dévalant l’escalier ! Ensuite, nous sommes retournés dans le grand salon, laissant au plein silence la vision habitée de Rembrandt.

Cette nuit, je me suis demandé si ma charmante hôtesse n’avait pas été à l’origine de ma Reine de la Nuit.

Le clair-obscur intimiste et l’air transitoire et dilaté qu’exhale la Nature se complètent en mon esprit. Amoureux ? Amoureux de cette femme revenue, surgie de mon passé ? Dans ma mémoire à venir, son petit salon se transforme en cet intérieur philosophe empreint de méditation. J’y suis assis près de la fenêtre, composant mes projets, et elle, elle attise le feu de mon cœur, tandis que mes notes s’élèvent vers le vaste grenier du ciel.

Partager