Moi, le mauvais poète

Monique Thomassettie,

« Moi, le mauvais poète

qui ne voulais aller nulle part,

je pouvais aller partout »

Blaise Cendrars,

né en 188…7

 

J’avais abandonné les bottes de sept lieues

Les moyens de se sauver variant selon les circonstances

Utiles en ce temps-là, en ce temps-ci m’auraient-elles

perdu

 

Toujours  je fuyais, j’échappais

à quelques prédateurs

 

Le vaste monde était partout

Et vaste était le piège de ses illusions

Le piège lui-même était artifice

ou épreuve – qui sait ? – destinée

à me le faire dépasser

 

Ma tête philosophe travaillait

au rythme de mes pas

Mes pas menus sans les bottes

 

Mais à chaque cheville

sept ailes m’étaient poussées

En tout : quatorze

 

Sur la terre ferme  je sautillais

plus léger que moineau

Et je marchais sur l’eau

frôlant à peine des courants éphémères

 

Lors d’une traversée, sept poissons m’invitèrent

et un huitième qui était sirène

Souple sirène rescapée

nageant entre houles déchaînées et obscures marées

entre aquatiques catastrophes

 

Elle venait de Mahabalipuram

d’une vague bordant le Temple du Rivage

Ses hanches de nacre roulaient et tanguaient

Je quittai à regret cette mer

pour aller partout

Mais elle m’offrit la grâce indienne d’un chant

scandant la septième et secrète voyelle

de couleur violette comme il est dit dans la chanson :

« Un deux trois quatre cinq six sept

Violette, violette… »

 

C’est pourquoi je poursuivis en bicyclette

mon chemin

Et aussi parce que j’avais donné à la sirène

mes quatorze ailes

afin qu’elle pût voler, changer d’élément

et peut-être aisément

me retrouver

 

Dans les salons du monde  j’allais contempler

sept merveilles exposées et sept refusées

Vierges sages et vierges folles vont ensemble

J’étais à la fois sage et fou

 

J’avais saisi que le Temps non divisé

est éternité

Qu’un jour n’est pas le septième d’une sempiternelle

semaine

 

Leur attribut fût-il astre, planète ou Dieu,

les Jours explorent et cultivent la même Nuit

au plus transparent de leur contemplative conscience

 

Ainsi conscient, partout où j’allais je disais

les quatre vérités aux angles cependant arrondis

par les trois mystérieuses vertus

 

Fort de ma conscience, il m’arrivait de faiblir parfois

en oubliant ces trois mystères-là

Mais bientôt ils venaient fleurir d’ailes rafraîchissantes

mes tempes lasses et butées

Et mes idées dansaient au son du chant indien revenu

 

Ma danse allait-elle réconcilier

la difficile société et ma farouche créativité ?

 

J’allais, de plus en plus j’allais

ni mal ni bien

pour la seule liberté d’aller

de l’avant  de l’arrière  de côté  de partout

Quel serait le résultat de mes semis

à long terme  réconciliateurs ?  En attendant

j’étais ailleurs

 

Mauvais poète, m’enfuyais-je encore ?

passant entre les mailles d’épreuves qui m’échappaient ?

En mes cycliques mais zigzagants tours du monde

je croisai les bottes

Dans l’une nichait une bête à long cou, sorte de girafe

Dans l’autre, des fleurs à longues tiges avaient poussé

pareilles à des glaïeuls

Tour à tour  les deux règnes enjambaient

vingt-huit kilomètres *

Ils suivaient leur évolution

fuyant des menaces de stagnation

 

Le ciel vibrait du passage ailé de la sirène

Elle réveillait des monts

qui pesaient sept fois leur lever

afin de ne pas se déplacer à la légère

 

Si  avant d’écrire  l’on tourne sept fois

sa plume dans son encrier, les sept tours sont déjà

paroles avant l’infinie

Il arrive que le tourbillon éclate le verre

comme un impatient « génie » brise son flacon

pour en sortir enfin

 

Merci, Blaise, poète de cent vingt ans,

si bon poète lu en mon adolescence,

merci d’avoir ici été le supporter

de mon souffle androgyne

 

 

 

* Une lieue valant quatre kilomètres, sept lieues en valent vingt-huit.

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