« Moi, le mauvais poète
qui ne voulais aller nulle part,
je pouvais aller partout »
Blaise Cendrars,
né en 188…7
J’avais abandonné les bottes de sept lieues
Les moyens de se sauver variant selon les circonstances
Utiles en ce temps-là, en ce temps-ci m’auraient-elles
perdu
Toujours je fuyais, j’échappais
à quelques prédateurs
Le vaste monde était partout
Et vaste était le piège de ses illusions
Le piège lui-même était artifice
ou épreuve – qui sait ? – destinée
à me le faire dépasser
Ma tête philosophe travaillait
au rythme de mes pas
Mes pas menus sans les bottes
Mais à chaque cheville
sept ailes m’étaient poussées
En tout : quatorze
Sur la terre ferme je sautillais
plus léger que moineau
Et je marchais sur l’eau
frôlant à peine des courants éphémères
Lors d’une traversée, sept poissons m’invitèrent
et un huitième qui était sirène
Souple sirène rescapée
nageant entre houles déchaînées et obscures marées
entre aquatiques catastrophes
Elle venait de Mahabalipuram
d’une vague bordant le Temple du Rivage
Ses hanches de nacre roulaient et tanguaient
Je quittai à regret cette mer
pour aller partout
Mais elle m’offrit la grâce indienne d’un chant
scandant la septième et secrète voyelle
de couleur violette comme il est dit dans la chanson :
« Un deux trois quatre cinq six sept
Violette, violette… »
C’est pourquoi je poursuivis en bicyclette
mon chemin
Et aussi parce que j’avais donné à la sirène
mes quatorze ailes
afin qu’elle pût voler, changer d’élément
et peut-être aisément
me retrouver
Dans les salons du monde j’allais contempler
sept merveilles exposées et sept refusées
Vierges sages et vierges folles vont ensemble
J’étais à la fois sage et fou
J’avais saisi que le Temps non divisé
est éternité
Qu’un jour n’est pas le septième d’une sempiternelle
semaine
Leur attribut fût-il astre, planète ou Dieu,
les Jours explorent et cultivent la même Nuit
au plus transparent de leur contemplative conscience
Ainsi conscient, partout où j’allais je disais
les quatre vérités aux angles cependant arrondis
par les trois mystérieuses vertus
Fort de ma conscience, il m’arrivait de faiblir parfois
en oubliant ces trois mystères-là
Mais bientôt ils venaient fleurir d’ailes rafraîchissantes
mes tempes lasses et butées
Et mes idées dansaient au son du chant indien revenu
Ma danse allait-elle réconcilier
la difficile société et ma farouche créativité ?
J’allais, de plus en plus j’allais
ni mal ni bien
pour la seule liberté d’aller
de l’avant de l’arrière de côté de partout
Quel serait le résultat de mes semis
à long terme réconciliateurs ? En attendant
j’étais ailleurs
Mauvais poète, m’enfuyais-je encore ?
passant entre les mailles d’épreuves qui m’échappaient ?
En mes cycliques mais zigzagants tours du monde
je croisai les bottes
Dans l’une nichait une bête à long cou, sorte de girafe
Dans l’autre, des fleurs à longues tiges avaient poussé
pareilles à des glaïeuls
Tour à tour les deux règnes enjambaient
vingt-huit kilomètres *
Ils suivaient leur évolution
fuyant des menaces de stagnation
Le ciel vibrait du passage ailé de la sirène
Elle réveillait des monts
qui pesaient sept fois leur lever
afin de ne pas se déplacer à la légère
Si avant d’écrire l’on tourne sept fois
sa plume dans son encrier, les sept tours sont déjà
paroles avant l’infinie
Il arrive que le tourbillon éclate le verre
comme un impatient « génie » brise son flacon
pour en sortir enfin
Merci, Blaise, poète de cent vingt ans,
si bon poète lu en mon adolescence,
merci d’avoir ici été le supporter
de mon souffle androgyne
* Une lieue valant quatre kilomètres, sept lieues en valent vingt-huit.