Marronniers de Brugman, châtaigniers de Banne. Et Bill Gates ?

Philippe-Louis Champbon,

Polémiquerons-nous autour de Bill Gates ? Bill Gates ? Bienfaiteur de l’humanité ? Exploiteur à entarter ??

Si Bill Gates pouvait rendre notre « Micro World » Soft plutôt que Microsoft Word…

Pourquoi vous bassiner avec le siliconevalleywonderboy quand mon titre commence par évoquer de sylvestres rêveries bruxello-cévenoles ?

Pour ceux d’entre vous qui ne le savent normalement pas, Banne est une bourgade de très peu d’extraordinaires habitants, régionalement en Rhône-Alpes, départementalement en Ardèche, mais pour ce qui importe vraiment : viscéralement cévenole.

Il reste heureusement vrai que quand on dit « Cévenol », comme quand on dit « Ardennais », on se réfère à quelque chose qui survit aux péripéties les plus administrativo-politico-correctes, et les dépasse sereinement.

Je vais donc tenter de vous narrer les subconscientes interactions de logiciels hyperpugnaces avec de paisibles arbres multi-centenaires.

Et, je l’espère, vous faire partager ma réflexion (je n’ose l’appeler une démarche) débordante de perplexité (et d’espoir) nourrie par deux postulats.

Les logiciels hyperpugnaces, Gatesiens ou autres, ne cesseront de se développer, que cela nous plaise ou non.

Il y aura toujours des marronniers à Brugmann (B-1090) et des châtaigniers à Banne (F-07460). En tout cas, je l’espère profondément.

J’ai vagabondé depuis belle lurette, comme beaucoup, dans le sud de l’Ardèche et plus précisément dans le « Bas-Vivarais cévenol ». Je m’y suis attardé.

Plus précisément à la jonction de la plaine de la Basse Ardèche et des contreforts du massif cévenol. Situez exactement ce coin sur une carte, et vous verrez que c’est une sorte de point géométrique du Mont Lozère et du Ventoux à l’horizontale, de Lyon et de Montpellier à la verticale. Coordonnées non dépourvues de signification, mais dont la vérité profonde se respire par les oreilles et s’écoute dans les parfums. Oreilles, pour capter le coucou de la colline d’en face, qui en fait ne s’entend bien qu’en humant simultanément le sous-bois odorant où se mélangent les effluves du thym et des résineux, plus tard du mimosa, qui prélude au duo du romarin avec la lavande, annonciateurs de la fragrance des figuiers.

Après quelques tribulations locales très peu dignes d’intérêt (surtout du vôtre), j’ai été convivialement pigeonné par un agent immobilier, Parisien déçu, qui, ne se trouvant sans doute pas au « top » de ce que l’on appelle dans ces métiers « la position du promoteur (individu finalement proche du missionnaire) tenant le pigeon au bout du fusil », me « céda » (ne rigolons pas…), enfin me vendit à peu près au prix coûtant une « ruine constructible » qui répondait rigoureusement aux deux critères : ruine on ne peut plus, constructible heureusement.

Pas complètement méchant, il me refila pro deo un plan approuvé de restauration qu’il avait fait initialement à son usage, à charge pour moi de le moduler selon mes désirs, et de le soumettre au Maire et à l’Urbanisme avec les changements éventuels.

Je me suis donc présenté, timidement, presque calmement, enfin : normalement, chez « Monsieur le Maire » avec les papelards requis. J’ai vu un quinquagénaire cévenol barbu, solide, un peu méfiant, jaugeant tranquillement et sans le dissimuler un quinquagénaire bruxellois.

Il a lu les documents…

Et puis, il y a eu un silence.

Et il m’a dit « Ça ne se fera pas demain ».

Et je lui ai répondu « Je sais que cela pourrait traîner ».

Et il m’a regardé avec une douce ironie et m’a dit « Quand même, Monsieur, c’est le Sud mais pas l’Afrique ».

Nous avons éclaté d’un rire libérateur.

Une heure plus tard, nous partagions sous sa tonnelle un pistou ardéchois et d’estimables flacons de Cabernet Sauvignon. Il est devenu un de mes meilleurs amis.

Et chez lui, il y a des châtaigniers merveilleux. Comme les marronniers de Brugmann, à l’ombre desquels ma petite-fille vient de naître.

Vient de naître, dans le premier mois de cette année faussement millénaire.

Ayant décidé de nous retrancher de célébrations médiaticoïdes et fortement artificielles, ma femme et moi avions eu la chance (choisie) de passer le « réveillon » (bête mot ! se réveiller, c’est un miracle parfois difficile mais quotidien, et pas une veille forcée le 31/12) de passer le réveillon, donc, avec nos deux meilleurs amis, sans regarder la lucarne étrange et en bavardant par téléphone avec notre fille qui s’apprêtait à nous faire les seules et plus merveilleuses étrennes qu’une fille chérie peut faire à ses parents : un nouveau-né.

Pendant quelques brèves minutes, j’ai quand même « zappé » sur quelques chaînes, qui m’ont « offert » :

1) le dirigeant suprême de la hiérarchie catholique romaine, sénile, monomaniaque, nocif au plus haut degré mais manifestement non neutralisable par les plus lucides de ses sous-fifres les plus adéquats ;

2) Poutine, vomitiquement glacial, annonçant qu’il se ferait un plaisir d’achever ses ennemis jusque dans leurs latrines… Oh, pôvre connard, même ce que les tsars, puis Lénine, voire Staline et Béria ont fait de plus écœurant, je te crois bien capable de le dépasser… ;

3) un sportif américain de haut niveau expliquant que son titre de champion n’avait été remporté qu’avec l’aide de notre seigneur J.-C.

Bonne année, bon millénaire, bonne santé mentale…

Alors, j’ai eu peur. Peur des siècles de conneries annoncés par ces trois prototypes effrayants et par tant d’autres qui les concurrencent : massacreurs de villageois en Algérie, génocidaires de tous poils sous diverses latitudes, mafieux prospérant sur la prostitution d’enfants camés…

Et quelques jours après, une toute petite fille naissait on ne peut plus harmonieusement, dans une chambre de maternité merveilleusement vieillotte (qui n’aimerait d’être vieux à la Horta ?). En regardant les marronniers hivernaux brugmanniens par la fenêtre j’imaginais que je montrerais à cette enfant les châtaigniers ardéchois en fleurs, qui se relèvent de leur maladie. Protecteurs tutélaires des Cévenols, ils peuvent à nouveau leur offrir leur ombre apaisante mais aussi les dons simples et savoureux de la châtaigne (native, en crêpes, dans le miel…).

Sympathique entarteur mon compatriote, j’aimerais te dire que si j’ai pu faire connaître le minois de ma petite-fille le jour même de sa naissance à des proches de mon cœur éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, c’est un peu grâce à ton entarté de Bill Gates, après tout Vauvenargues disait que l’insolence n’est moralement justifiée que vis-à-vis de ses supérieurs.

Entarter tes « victimes », c’est aussi les distinguer. On n’entarte pas un malheureux, une épave… On n’entarte pas non plus les divers génocidaires, tueurs intégristes et mafieux qui assombrissent les perspectives de l’odyssée de notre espèce. On les subit ou on les éradique.

Que cette odyssée soit guidée non par la soumission aux intégrismes et aux pouvoirs mafieux, mais à la fois par l’efflorescence des technologies et le redéploiement des châtaigniers, à nous de faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Et je n’ai pas encore élucidé la réelle différence entre un marronnier et un châtaignier…

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