Le déluge.

Devant nous, le déluge.

Devant : en face de ? en présence de ?

Le déluge : aujourd’hui ?

Le déluge : hier et demain ?

Oui, et davantage encore, dans le vaste espace de ce « devant ».

Et si « devant utilisé pour avant est un archaïsme » (Hanse), l’expression « devant nous », le déluge ne l’est jamais, un archaïsme, tant il (le déluge) ne cesse de se présenter, de s’imposer à nous et en nous. Avec un effroi toujours recommencé, toujours nouveau, souvent inattendu.

*

Le déluge, stupéfiant.

Qu’il soit d’eau ou de feu.

Ou qu’il soit généré par une intelligence maléfique ou un hasard naturel.

Par un malin plaisir à détruire, à avilir, à faire mourir, ou par une abondante mise à mort sans intention de la donner !

Par une volonté dite divine de sanctionner, ou dans un surgissement de convulsions de toutes sortes.

Stupéfiants déluges.

Et la fourmilière humaine ne peut qu’en être stupéfaite.

Les pluies de 40 jours et de 40 nuits, les secousses diluviennes de quelques minutes, les grandes vagues de quelques secondes !

Les exterminations organisées suivies de crémations industrialisées !

Tout en « cela » qui ne peut faire en sorte que la communauté humaine ne soit pas effectivement ahurie.

(Selon le temps que les médias accordent à ce « cela », selon la durée que nécessitent la mise en mémoire ou la réalisation du deuil.)

Stupéfaction.

Et tremblements sismiques (des chairs jusqu’aux os des âmes).

Déluges.

*

Déluge et déluges.

Petite énumération. Manière Prévert ? Non, une certaine poésie en est ici absente.

Le Déluge : inondation universelle, d’après le récit biblique.

Les déluges : pluies torrentielles (exemples : averses orageuses, saisons des pluies, moussons, etc.)

Le tsunami : mot désignant aujourd’hui particulièrement le récent raz de marée meurtrier (dans le sillage des Stille Nacht de décembre) ;

un déluge événement ayant déclenché un déluge de mots, de paroles, d’images (mais attention ! un déluge peut en cacher un autre !).

Les éruptions volcaniques : pluies de laves, de cendres, de scories (les dictionnaires) ; le dictionnaire lui-même, avalanche bien maîtrisée de mots bien ordonnés, serait-il quelque part un déluge ? un déluge verbal ?

Auschwitz : déluge d’un absolu radicalement déplacé : celui du mal, de l’impensable, de l’innommable ; pluies de gaz et de feu œuvrant jusqu’à la calcination totale des âmes et des corps, anéantissement abject de l’être humain par un autre être dit humain ; Auschwitz, mot imprononçable, fût-ce en art, en littérature, en poésie ; mot pas mort (réorganisé ailleurs et autrement peut-être, par une race de « caporaux » en qui la Bête survit et agit).

*

Le Déluge, les déluges.

Et des morts en abondance.

Et la mort encore et encore.

Et pourtant !

Et pourtant il y avait une arche qui flottait sur les eaux du Déluge ; et après 40 jours, une colombe qui en sortit, « avec dans le bec un rameau tout frais d’olivier ».

Et pourtant « comme l’espérance est violente »… a écrit un poète trépané.

Et pourtant, penseront certains (nous ?), en se voilant la face :

un petit ruisseau ne fait pas toujours une grande rivière

une petite pluie ne fait pas toujours un déluge.

Ou encore : après la pluie le beau temps

après nous le déluge !

Le déluge !

*

Oui, le déluge, devant nous.

De petits déluges qui deviennent ou deviendront grands, c’est certain.

Demain, annonce la météo, pluies torrentielles !

La prudence s’impose, annonce encore une voix douce et rassurante.

(Et de souhaiter une très bonne nuit à tous les auditeurs ou téléspectateurs.)

Bonne nuit.

La nuit dans laquelle vous plonge un sale temps ? Ou une sale absence de temps ?

(Voyons : pas demain, murmure-t-on dans les pensées.

Et la mort, si vous parlez d’elle en parlant nuit, c’est après-demain, et c’est pour les autres, bien sûr !)

*

Le déluge.

Avec arc-en-ciel ?

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