Marginales 265 – Les carnets d’Hubert Nyssen

Hubert Nyssen,

12 mars 2006 – Voilà un moment que j’observe la marche solitaire de Ségolène Royal vers les présidentielles. Cette femme a pour seuls bagages sa condition de femme dans un temps où elles sont plusieurs à monter au créneau, un nom qui, mine de rien, la porte, les deux mots habilement choisis pour l’association qu’elle a créée : « Désirs d’avenir », et des sourires qui sont mieux perçus que les idées confuses des autres candidats. Mais voilà que, par la presse on l’apprend, elle se serait assuré les services de Jacques Séguéla, ce vieux routard de la pub politique. Ségo – Séguéla… Rumeur ou information ? Bobard ou traquenard ?

9 octobre – Les Russes flinguent l’une de leurs meilleures journalistes, les Coréens du Nord font péter leur première bombe atomique et diffusent des images d’une liesse qui me rappelle celle des Chinois quand ils en étaient au même stade. Les États-Unis, prenant exemple sur Israël, élèvent un mur de je ne sais quelle longueur et quelle hauteur pour se protéger des invasions mexicaines. En Belgique, on se réjouit que les extrémistes qui grimpent, qui grimpent, qui grimpent comme certaines petites bêtes, n’aient pas atteint les records qu’ils attendaient lors des élections communales de ce dimanche. Ici, on va vers l’interdiction totale de la mer. Avec l’air de supprimer la peine de mort volontaire, mais en se gardant bien de s’en prendre à tout ce qui tue bien plus sûrement que le tabac. La bêtise et le reste. Au train où ça va, il est de plus en plus évident que ce qui n’est pas obligatoire sera interdit. C’était quoi encore cette liberté dont vous parliez si souvent ? nous demanderont bientôt les enfants de nos petits-enfants. Vous inquiétez pas, leur dirons-nous. C’est rien, rien, rien. Et puis, elle est pas belle la vie ? Si la télé le dit, c’est que c’est vrai. Il y a quelque chose qui ne va pas ? m’a demandé Christine…

10 octobre – C’est aujourd’hui la Journée mondiale contre la peine de mort et le 251‘ anniversaire de son abolition en France. Ce que célèbre à sa manière M. de Villiers qui, à cor et à cri, en demande le retour par voie référendaire. Victor Hugo désignait la peine de mort comme un acte qui est pour qui le commet une énigme et pour qui le voit commettre, un crime. J’ai toujours été fasciné par ce face-à-face de l’énigme et du crime, l’obscurité de l’une et l’évidence de l’autre.

3 novembre – Thierry Fabre est venu déjeuner, après quoi nous avons examiné la manière de mieux préciser l’orientation de La pensée de midi dans le choix des thèmes, dans la construction de la couverture par laquelle le lecteur doit pouvoir identifier la revue, et par le rôle des images qui n’ont d’utilité dans une revue d’idées que si elles expriment une chose que les mots ne peuvent traduire. Et puis nous avons dérivé vers les sujets littéraires qui nous intéressent et les problèmes politiques qui nous inquiètent dans une époque où l’impulsion est plus vive que la réflexion et où le dernier à éternuer recueille souvent toute l’attention.

5 novembre – Je n’ai jamais eu pour ambition de convaincre mes enfants, et encore moins mes petits-enfants, de conserver en l’état le monde que nous sommes en train de leur léguer. Je crois que si j’étais à leur place je ferais la gueule. Un cadeau pareil, non mais… En revanche, leur apprendre à poser des questions sur ce qu’ils ignorent ou connaissent mal, sans leur donner l’impression qu’à toutes nous connaissons les réponses, les initier à l’art de dénouer celles qu’on leur présente comme des énigmes destinées à les confondre, bref leur inculquer des manières de réfléchir, oui. Pourtant, ce soir, au cours d’une discussion familiale à propos des élections de l’an prochain, j’ai eu l’impression de n’avoir réussi à rien faire passer de tout ça.

Dommage que la panne d’hier ne nous ait pas atteints, elle aurait mis fin aux divagations que suscitait à table l’insupportable binôme Ségalo-Sarko. Car, pendant que nous discutions ainsi, parfois au bord de la prise de bec, de vastes parties de la France et de quelques autres pays étaient plongées dans l’obscurité par suite de je ne sais quelle rupture de la distribution d’électricité en Allemagne. Dans des dimensions plus considérables il est vrai, le scénario de la panne générale est entré dans la légende américaine voici quelques années déjà. Mais deux trois jours ou deux trois heures, qu’importe, la leçon est la même. Brèves ou longues, les pannes de ce genre nous rappellent que le fonctionnement de notre société dépend de quelques conduits bien fragiles, d’eau, d’électricité, de pétrole… Comme un ballon dépend du manche par où passe le gaz ou l’air chaud. Et une fleur, de la tige par où passe la sève…

12 novembre – Ce soir, paisible dîner avec nos amis S* où il est question des élections américaines et des problèmes liés à la cohabitation des démocrates avec les républicains au moment où les massacres, en Irak, reprennent de plus belle, du rôle des femmes en politique et de Ségolène Royal à laquelle ses compères font la vie dure dans les derniers jours avant les primaires.

16 novembre – Les primaires socialistes de ce soir vont-elles mettre en piste une femme pour la course présidentielle de 2007 ? Après avoir écouté ce qui déjà s’est dit sur l’éventuelle présence d’une présidence à l’Élysée, et entendu ce qui ne s’est pas dit, on voit bien qu’il ne s’agit plus de rire ou de sourire comme on le faisait, lors de précédentes élections, devant des candidates de petites formations qui n’avaient aucune chance de l’emporter. Si Ségolène passe au premier ou au second tour des primaires, on fera bien de lancer un avis de tempête dans le langage. Certains mots vont changer de sens.

17 novembre – Que la victoire obtenue hier soir par Ségolène Royal entraîne les mots dans son tourbillon, c’était évident ce midi à Montauban quand Christine et moi, à peine débarqués, nous nous sommes retrouvés au restaurant avec Alberto Manguel, Javier Cercas, Philippe Catinchi, Maurice Petit, directeur du festival, et quelques autres. Il n’était question que de Ségolène, de la victoire de Ségolène, de l’attifage de Ségolène, et chacun cherchait les mots les plus justes, ou les moins inappropriés, pour tenter de dire ce que cette élection représentait et allait avoir pour conséquence. Les mots eux-mêmes, au moment d’être prononcés, paraissaient jeter un coup d’œil au miroir et rajuster leur tenue…

25 novembre – Je fus invité, il n’y a guère, à faire une courte causerie sur la cruauté, sujet obligé. De la cruauté je m’étais alors limité à dire le rôle qu’elle a dans la littérature, et que si l’on s’avisait de l’en ôter il ne resterait pas grand-chose de lisible. Je m’en suis souvenu dans les ruminations de la nuit, et me suis dit que je serais aujourd’hui plus à mon affaire si l’on me demandait de parler de la fourberie, cette fleur vénéneuse qui a toujours infesté les plates-bandes de la vie sociale. Trois citations me sont revenues que je suis tout de même allé vérifier, tôt ce matin. La fourberie ne se voit jamais de face qu’à l’œuvre, dit Shakespeare dans Othello. À quelques-uns, dit La Bruyère dans ses Caractères, l’arrogance tient lieu de grandeur ; l’inhumanité de fermeté ; et la fourberie d’esprit. Et Anatole France, pince-sans-rire dans L’île des Pingouins, note que les imbéciles ont dans la fourberie des grâces inimitables. On jurerait qu’ils parlent tous des prochaines élections.

8 décembre – Envie de le dire à mes enfants et déjà à certains de mes petits-enfants : prenez garde au mauvais exemple, le nôtre. Car dans ma génération, nous n’avons vraiment pas été à la hauteur. Nous fûmes certes nombreux à manifester de mille manières nos idées et l’intérêt que nous portions à celles des autres. Mais nous n’avons pas assez pris en compte que si, d’un côté, toutes les révolutions débouchaient sur la Terreur, de l’autre, le libéralisme en profitait pour installer le totalitarisme du profit avec de la démesure dans le cynisme. Nous, entre les deux, in trutina, nous avons fait trois tours de valse avant de regagner nos places. Et surtout, surtout, nous avons laissé réduire, malmener et dévaluer l’instruction qui enseigne à voir le monde, et le langage qui apprend à le nommer. Nous avons assisté, quelquefois même en complices, aux exploits de ces managers de toutes tailles qui les dopaient l’un et l’autre, l’instruction et le langage, à grands coups d’anabolisants médiatiques et d’hormones publicitaires. Sarko, n’en parlons même pas, mais si j’avais l’oreille de Ségo, je le lui dirais. Regardez, il a suffi que, femme, vous soyez élue en ces primaires pour que le langage des politiques commence à perdre ses repères et ses lieux communs. Il y a là une faille qu’il faudrait élargir. C’est, je crois, la seule voie honorable, celle qui consiste à dire ce que l’on est et à être ce que l’on dit.

19 décembre – Ce matin, chez Actes Sud, c’était mon tour de passer devant les représentants pour leur commenter les parutions de mars dont je m’occupe. Ces représentants, qui comptent une belle majorité de femmes, n’ont jamais été à mes yeux de ces colporteurs qui promènent le ciel et le salut pour vendre leurs bricoles. Ils sont passeurs de quelque chose qui dépasse de beaucoup le format des livres, le poids du papier et le prix de l’ouvrage. Les rencontres avec eux sont des moments que j’ai toujours aimés car ils me fournissent l’occasion de leur parler des livres avec le sérieux et l’humour dont j’ai appris la recette dans la fréquentation de philosophes qui traitent d’idées et de passions sans céder au confort de l’hermétisme ni à la complaisance de la vulgarisation. Ce matin j’avais une belle partie à jouer avec une armada dont le navire amiral est Napoléon le petit de Victor Hugo. Un livre qui, paraissant à la veille de l’élection présidentielle, poussera quelques-uns à se demander : mais à qui donc ce petit Napoléon me fait-il penser ?

20 décembre – En habit de fête, voici donc le dernier jour de l’automne. Thierry Fabre est venu de Marseille pour déjeuner au mas. Ce fut comme d’habitude, sans perdre de temps, un déferlement de réflexions autour de La pensée de midi. Et, au-delà, une impatiente confrontation de nos regards sur les événements du monde. Presque toujours, Thierry et moi, nous nous retrouvons en complices pour débattre de ce fascinant paradoxe : l’incessant renouvellement du charivari perpétuel. Nous avons fait quelques haltes, aujourd’hui, pour nous redire la sagesse avec laquelle Deleuze, s’interrogeant sur la philosophie, ne séparait pas la pensée des circonstances où elle se manifeste. Pour nous attarder sur le pouvoir émancipateur des questions dans le climat d’injonctions exclamatives où nous vivons. Pour nous indigner des salaires indécents, bonus et profits quand on dit l’argent introuvable pour la solidarité sociale et la recherche. Et pour constater que le despotisme économique n’a plus de leçons à recevoir du despotisme politique. Il les a déjà dépassées.

22 décembre – Si une insomnie fait une déchirure dans ma nuit, au lieu de me lancer dans une inutile controverse avec le sommeil qui se refuse, j’ouvre la radio. Ainsi, la nuit dernière, ai-je pu entendre soudain une mère sénégalaise parler d’enfants privés d’éducation. Ils ne connaissent que ce qu’ils voient, disait-elle. Éblouissante ellipse.

30 décembre – Quand, hier, le nom de Ceausescu a refait surface, je ne m’attendais pas que pour de comparables raisons il fût rejoint ce matin par celui de Saddam Hussein… L’épouvantable individu a été livré par les geôliers américains aux exécuteurs chiites, et il a été pendu à l’aube. Un vrai scénario de western. Ainsi se perpétue l’antique injonction du talion qui substitue la vengeance à la justice.

Tiens, c’est vrai, tout récemment Chirac, lui, a eu l’air de se souvenir qu’il serait peut-être temps d’inscrire l’abolition de la peine de mort dans notre constitution. Si Ségolène accédait à la présidence, elle serait sans doute avisée de rappeler un Robert Badinter place Vendôme.

janvier – Avec nos amis suisses que Valérie et Jules étaient venus rejoindre à notre table, hier soir, il fut d’abord question de ces communautés d’émigrés qui parfois ont pesé sur le destin du monde, comme les puritains, et d’autres qui y ont introduit des usages comme, dans un cas très particulier, ces Tessinois qui montaient chaque hiver à Paris avec des sacs de châtaignes pour les rôtir et les vendre au coin des rues. Chauds, les marrons ! Bonne odeur de mon enfance… Après, on est venus, inévitablement, à la politique, à la politique française évidemment, et aux présidentielles dont la crête commence à être visible dans les brumes de l’horizon. Intéressant, ce prisme dans lequel on les regarde. Les uns avec prudence, ardeur et inquiétude, car c’est de leur avenir qu’il est question. Les autres, avec un intérêt amusé car, quoi qu’on dise, ce qui se passe ressemble de plus en plus, pour eux, à un cancan, un spectacle à la française. Mais pour moi, qui suis accoudé sur la barrière qui sépare la vie de ce qui ne l’est plus, c’est le sujet d’une incessante délibération. Comment être utile à ceux qui nous succèdent dans cette société dont nous tenons encore certains leviers et qui, pourtant, est maintenant la leur ? L’inquiétude n’étant pas ma litière, je me suis dit que la réponse était dans la question. Comment être utile ? Pardi, en posant des questions !

8 janvier – Aux spécialistes des allergies, je recommande l’examen du cas présenté par M. Guy Carlier. Le seul nom de Ségolène Royal passant dans un communiqué provoque chez lui, comme ce matin, de bonne heure sur France Inter, des éjaculations (au vieux sens du mot) de misogynie qui sont souvent au niveau des sinistres bouffonneries de Jean-Marie Le Pen. Ah, je sais, il faut prendre garde, la liberté d’opinion passe par le droit à la caricature. Mais, attention… la caricature commence toujours par donner une idée de celui qui la pratique. C’est par quoi l’on voit que, dans ce monde-là, il y a de grands esprits et de fort médiocres.

30 janvier – André Glucksmann annonce et explique dans Le Monde le parti qu’il a décidé de prendre pour Sarkozy dans la compétition présidentielle. Et le carrousel est lancé… À chacun des candidats de collectionner ses Johnny Hallyday et ses Guy Carlier. J’avoue une préférence pour Aimé Césaire.

7 février – La fièvre électorale monte qui fait sortir de l’ombre ce que l’on eût préféré ne pas voir. Ainsi de certaines femmes qui, à la seule idée qu’une Ségolène pût devenir présidente, retroussent les babines et aboient avec la même rage que si elles étaient tenues en laisse. Ainsi encore de M. Roger Hanin annonçant qu’au deuxième tour des présidentielles, il votera pour M. Sarkozy qui est à ses yeux, dit-il, le seul vrai socialiste dans la compétition. Mais peut-être n’ai-je rien compris et s’agit-il d’un mauvais tour que l’un joue à l’autre…

10 février – Je viens de lire dans Le Nouvel Observateur les avis de cent femmes (en vue, et ce n’est pas innocent) sur Ségolène Royal. Il y a au moins un point auquel je me tiens depuis le début et n’en démords pas… L’entrée en lice de cette femme, après son élection aux primaires socialistes, a modifié la manière de parler des débats politiques et de chercher des puces (et pas n’importe lesquelles) chez l’adversaire.

Comme au Chili avec Michelle Bachelet et aux États-Unis déjà avec Hillary Clinton. Mais la pratique divinatoire est vaine dans un climat où certaine réflexion de Nancy Huston, dans Lignes de faille, prend route sa résonance : lu sais quel est le problème avec les êtres humains ? Ils ont des tripes à la place du cerveau…

16 février – Dans la foire aux promesses électorales, il y en a une qui me botte parce que l’image en est forte. C’est la promesse que fait Ségolène Royal de consacrer à l’éducation, si elle était élue, le budget prévu pour la construction d’un second porte-avions nucléaire. Ça, c’est de l’investissement équitable !

20 février – Les élections auront peu d’incidence sur mon avenir, car mon avenir est court. Et pourtant elles m’importent, ces élections, car elles vont parachever l’héritage que ma génération laisse aux suivantes. Donc, quand M* est passée hier, à l’heure rituelle du thé, nous nous sommes dit que nous allions, dans la soirée, regarder le même « film ». Et nous l’avons regardé avec, me signale-t-on ce matin, neuf millions de téléspectateurs. Cette production, on aurait pu l’appeler Ségolène au bûcher. Car, de l’avis de beaucoup, on allait la voir réduite en cendres, la Jeanne d’Arc. Combien d’hommes avais-je rencontrés qui, selon leur bord et leur nature, d’avance en rigolaient ou le déploraient. Hélas, aussi des femmes qui n’ont pas compris quelle brèche, avec une femme, pourrait être ouverte dans la mâle présomption… Nul candidat à la présidence, homme ou femme, ne peut prétendre détenir les réponses à toutes les questions qui relèvent du gouvernement d’un pays lui-même soumis à la dérive politique des continents. La candidature suppose donc une conscience fondée sur la nécessité de se poser les justes questions et non sur la prétention d’en connaître d’avance les réponses. Eh bien, je le dis, je l’écris, je le demande, combien de petits juges formés à l’école de Salem, qui avaient condamné Ségolène Royal avant qu’elle ne parût, auraient comme elle soutenu pendant deux heures ces feux croisés de questions ? Combien auraient gardé calme et sourire, combien auraient répondu sans se dérober ? J’ai assisté à pas mal de soutenances de thèses et me souviens en particulier d’amis philosophes qui se faisaient étriller en public par les professeurs dont ils deviendraient les confrères à l’issue du supplice. J’y pensais hier en la regardant et en l’écoutant, la candidate qui, elle, à l’issue de la soutenance, ne serait pas reçue avec ou sans les félicitations du jury car il lui faut attendre les deux tours d’avril et mai pour être fixée. À l’issue de cette cruelle exhibition, aurais-je été dans le studio de TF1, je lui aurais témoigné mon admiratif respect. Me réservant, pour une autre circonstance, de lui dire que si les candidats à la présidentielle ont glissé dans leur programme ces choses étranges qu’on appelle la culture, la lecture et ce qui va avec, ils ont dû leur donner un autre nom. Car je ne les y ai pas trouvées.

En avant-soirée, discussion avec une amie que je tiens en grande estime et qui a suivi l’émission d’hier. Et la voilà, cette femme électrice qui tombe à bras raccourcis sur une femme candidate (guerre des sexes devenue guerre civile), et il ne faut pas longtemps pour comprendre qu’elle n’a retenu de cette émission que ce qu’elle y a apporté. Elle savait d’avance ce que la candidate allait dire, comment elle allait sourire, les tics qu’elle aurait, ses manquements et même, je crois, sa manière de se vêtir. Avec une consternante bonne foi, elle a remplacé ce qui s’est dit par ce qu’elle était sûre qui allait se dire, et ce qu’elle a vu par ce qu’elle était d’avance certaine de voir.

22 févrierLe Monde arrive, même si c’est, comme chaque jour, avec les vingt-quatre heures de retard infligées aux provinciaux. Il est accompagné d’un supplément « femme » (singulier très injonctif) où j’apprends des choses essentielles : l’éclosion d’une femme fleur après quelques années d’absence, les drapés subliment le corps en transformant les femmes en divas et, mazette, ce n’est pas rien, la mode imagine un demain sidéral. Ah, si nous avions pour candidate à la présidentielle, une femme-fleur à la fois diva et sidérale… la France gouvernerait le monde.

25 février – Ce matin, à la table du petit-déjeuner, discussion avec Jules sur la situation politique. Discussion est vite dit. C’est lui qui débobine ses vues et idées dont j’apprécie la clarté, la rigueur. Soudain, sans cesser d’être attentif à ce qu’il dit, une partie de moi, à l’appel de la mémoire, se retrouve quelque soixante-dix ans plus tôt, à pareille table où mon grand-père écoutait mon père lui faire état de ses espérances et de ses craintes à propos du Front populaire et de la sinistre aria que, dans les variations de la politique, proposait la Guerre d’Espagne…

28 février – Je note ici et là que des journalistes commencent à s’énerver parce qu’on leur déroberait le privilège de former l’opinion des gens par leurs comptes rendus critiques de l’actualité. On n’en aurait plus, disent-ils, que pour de maudits sondages qui ne sont pourtant que des photographies. Eh oui, mais peut-être devraient-ils, ces journalistes révoltés, s’interroger sur la part qu’ils accordent eux-mêmes aux sondages dans leurs articles. Je pense à Duvignaud et à ses réflexions sur le comportement de l’observateur et de l’observé, sur leurs regards qui se modifient l’un l’autre. Il n’est pas très différent, l’effet miroir des sondages qui renvoient aux électeurs une image dans laquelle ils croient devoir se reconnaître. Jeux de dupe… Et si nous reconnaissions que, dans ces temps d’élections, le sens des idées importe moins que leur style, leurs effets moins que leur tendance, et la vitesse plus que la réflexion ? On n’est ni au jardin d’Éden ni au jardin des supplices, mais au jardin des modes…

3 mars – Bruxelles. Il fut aussi question des élections, car les françaises et les belges vont coïncider, et par force de l’image de Ségolène Royal qui est, ici comme en France, contestée par les femmes plus que par les hommes pour des raisons qui relèvent du préjugé. Il m’a semblé, ai-je dit à M*, que si j’étais caricaturiste je représenterais Ségolène courant derrière Ségo, ce double qui lui est étranger, pour lui demander raison de l’imposture et de l’usurpation.

8 mars – Ce soir, avec le souvenir de Chronique d’un scandale, nous avons revu Judi Dench dans Mrs Henderson Presents. Christine, elle, ne l’avait pas vu. Elle en a eu la surprise et moi, le plaisir que donne la relecture d’un bon livre. La jubilatoire démonstration de cette Mrs Henderson, vieille dame encore en proie à d’intimes émotions, m’a rappelé une phrase relevée hier dans Libé : L’amour et le désir des vieillards qui sont des jeunes comme les autres… Voilà qui pourrait être suggéré aux candidats à la présidentielle puisque le troisième âge prend de plus en plus d’importance. C’est le moment, ils seraient trois maintenant au coude à coude si l’on en croit les sondages. Mais les sondages sont pareils aux thermomètres, ils disent la fièvre sans prédire l’issue.

9 mars – Pourquoi les candidats à la présidentielle n’ont-ils pas dressé une liste alphabétique des problèmes auxquels ils prétendent s’attacher ? Ainsi, allant à la lettre L, aurais-je eu peut-être, sans courir de déclarations en on-dit, la confirmation qu’aucun d’eux n’accorde beaucoup d’attention à des choses qui me sont importantes et qui devraient figurer aux rubriques livre, lecture, librairie. Et à quelques autres de même espèce. Par exemple, à la lettre T, je chercherais un avis sur le presse-purée qu’est devenue la télévision dite populaire. Pas loin de chez nous, en Italie, on a vu, ces dernières années, les dégâts provoqués par la berlusconienne mainmise sur cet instrument de pouvoir aux effets duquel l’Éducation nationale a peu de moyens de s’opposer. Ce sont là quelques réflexions que j’ai laites à une voix charmante qui, par téléphone, s’inquiétait de mon soutien à la cause qu’elle défend. Une voix qui a eu la décence ou la courtoisie de ne pas s’exclamer : ah, encore ces intellos !

10 mars – Autodafé ? je venais d’écrire là-dessus quelques lignes, et j’apprends par la presse du marin (bien qu’il s’agisse du Soit) que cinq jeunes Allemands ont été condamnés en Saxe-Anhalt à neuf mois de prison avec sursis pour avoir brûlé en public le Journal d’Anne Franck et vociféré que « tout cela est étranger à la race ». Ohé ! des candidats à la présidentielle… À la lettre R comme dans Race ex Racisme, que comptez-vous proposer ? N’essayez pas de vous dérober et de me faire le coup de Nicolas en répondant qu’à la lettre ! vous avez prévu un ministère de l’Immigration et de I Identité nationale. Mieux vaudrait une réflexion sur X Indignité.

11 mars – Nos candidats à l’élection présidentielle ne se servent sans doute pas de l’agenda de la Pléiade. Trop intello ! Pourtant, la semaine dernière ils auraient pu faire main basse sur une réflexion de Michel Leiris : Ne rien promettre qu’on ne soit certain de tenir : bonne excuse pour refuser tout engagement. Une mine, cet agenda Pléiade, car cette semaine on y trouve un autre argument de campagne formulé par Héraclite il y a vingt-six siècles : Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas. Par curiosité, je cours voir au dimanche 22 avril, premier tour, et je lis ce propos désabusé de Nerciat : Le parfait amour est une chimère. Puis je vole au 6 mai, dimanche du second tour où tour sera joué… Aïe, aïe ! Là, c’est Marguerite Yourcenar qui officie : L’alcool dégrise. Après quelques gorgées de cognac, je ne pense plus à toi. Mais à quelle pythie, chez Gallimard, confie-t-on le choix de ces citations ?

12 mars – Écoutant Chirac, hier soir, il me sembla voir un père de famille qui, avant de se retirer à la campagne, cherchait à s’exonérer de ses manquements et, pour ce faire, n’hésitait pas à se réclamer de valeurs qui ne furent jamais les siennes. Et s’amusait à faire piétiner d’impatience le petit Nicolas qui s’attendait au titre d’héritier. M’est revenue alors la citation que les Badinter, Élisabeth et Robert, avaient mise en épigraphe à l’ouvrage qu’ils avaient consacré à Condorcet en 1988 et qui était sous-titré Un intellectuel en politique : Toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes est trompée par des charlatans.

Après l’allocution présidentielle, Le Soir de Bruxelles n’y va pas avec le dos de la cuiller… Les années Chirac : douze ans d’immobilisme éclairé. Une de ces sentences qui réjouissent par leur formulation et agacent par la dérive du sens.

En parcourant la presse, j’apprends avec consternation que M. Albert Frère, pour n’avoir réussi à accroître sa fortune en 2006 que de cent millions de dollars, a reculé de cinquante-cinq places dans la liste des hommes les plus riches de la planète. Sincères condoléances.

13 mars – En Arles, ce matin, alors que B* passait me voir, Majid Rahnema est entré dans mon bureau. Et avec lui l’ombre de son ami Ivan Illitch dont nous venons de publier La corruption du meilleur engendre le pire. À B* j’ai fait observer la complicité de ce livre avec celui de Majid : Quand la misère chasse la pauvreté. Et à part moi je me suis dit que ces deux-là, qu’on lit sans les écouter, et dont nul, bien entendu, ne tient compte dans les controverses électorales, apparaîtront un jour et trop tard comme de justes augures de notre temps.

Entre les rendez-vous que j’avais, j’ai picoré dans le livre d’Avital Ronell, Stupidity, qui venait de tomber sur ma table et dont j’ai commencé à marquer les phrases dès la première page. Et, entre autres, celle-ci qui promet de belles plongées au lecteur insomniaque que je suis : Liée par essence à l’inépuisable, la bêtise est aussi ce qui épuise le savoir et consume l’histoire. On pense à Flaubert et à son fameux seule la bêtise conclut. Mais aussi à tant de paroles électorales qui vont d’un côté quand leur sens part de l’autre.

Je veux remettre de la pensée et de la volonté dans la politique culturelle de notre pays. […] Jamais je n’accepterai que la culture et l’information soient abandonnées aux seules forces du marché et à la marchandisation galopante, induite par la mondialisation libérale, vient de déclarer Ségolène Royal. Ainsi donc, des questions que je m’étais posées me reviennent-elles, dans un bruissement de ruche, avec le pollen de premières réponses. Voilà qui est dit, et maintenant doit venir la suite, et ce n’est pas rien.

Parmi les gens que j’aime et respecte, j’en devine qui se paieront pourtant ma tête, me brocarderont pour crédulité et trouveront l’occasion belle de reprendre le procès d’intention qu’ils instruisent depuis des semaines, non contre la candidate mais contre la femme qu’ils inventent et que, dans leur phallocratique imagination (et pour le plus grand plaisir de Napoléon le petit), ils mettent à la place de celle qui est pourtant de leur bord. Ou de celui auquel ils prétendent appartenir. Qu’ils prennent garde, il y a des dénis qui risquent de coûter cher. Tiens, « déni »… Qu’en dit Freud ? Refus de reconnaître une réalité dont la perception est traumatisante pour le sujet. Eh bien, mes amis…

14 mars – Il y a des révolutions qui paraissent s’être déroulées en un instant. Celle, par exemple, du passage de l’hiver au printemps avec une semaine d’avance. Ce matin nous avons pu reprendre le rite de la promenade au lever du soleil et, ce midi, déjeuner en terrasse. À moins que… À moins qu’il ne s’agisse d’un caprice du temps, comme ceux que l’on observe dans les intentions de vote. Avec retours de bâton prévisibles.

Dans cette campagne électorale (et elle n’a pas encore officiellement commencé) des idées sont avancées mais avant de les bisser sur le podium, on les a maquillées en alléchantes promesses, et c’est surtout de ce maquillage dont on nous parle. Comme dans ces défilés de mode ou les mannequins sont attifés de nippes que jamais une créature normale ne porterait dans la vie courante. À la veste blanche ou au chemisier rouge de Ségolène Royal et à quelques mots qui ont surpris, on s’intéresse plus qu’au sens des idées ou au tait que cette candidate est, me semble-t-il, la seule à avoir fait observer que la présidence ne fait pas de vous un homme (ou une femme) orchestre mais le responsable d’une orientation à donner au gouvernement. Bref, au lieu d’un inventaire d’idées on a droit à un défilé de tendances. Il en résulte une errance des « intentions de vote » qui vont d’un côté ou de l’autre et prédisposent les gens à se déterminer selon ces tendances plus que par une réflexion sur les conséquences du choix qui sortira des urnes. Après cela, que les idées se glissent où elles peuvent ! Ce n’est pas sans risque. On le sait, la télévision populiste en a fourni la preuve : les téléspectateurs lobotomisés demandent et redemandent ce dont on les a gavés.

16 mars – Mais qu’est-ce qu’ils fichent en Europe, ces gens-là qui prétendent y donner de la voix, et même des leçons ? Les jumeaux Kaczynski, l’un président de la Pologne, l’autre premier ministre, ont donc lancé aujourd’hui l’opération « lustration » (i.e. purification rituelle) qui oblige des milliers de gens, parmi lesquels députés, sénateurs, ministres, magistrats, diplomates, enseignants, journalistes, à déclarer par écrit leurs liens ou leur absence de liens avec les services communistes. Ce sera donc la confession, le mensonge ou la compromission. Les osselets du sénateur McCarthy doivent cliqueter de bonheur dans sa tombe. Mais voilà qui devrait faire réfléchir les électeurs d’ici sur les dessous de certains programmes électoraux pour la présidentielle.

17 mars – Comme Pierre Mertens dans sa contribution mensuelle au Soir de Bruxelles, j’aimerais savoir ce qui s’est passé dans la tête de Glucksmann et de quelques autres passés à droite et à Sarkozy, quand ils ont appris l’intention qu’avait celui-ci de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale…

Mais les préliminaires électoraux s’achèvent et dans quelques jours, avec la feria de Pâques, commencera le temps des vraies corridas. Picadors et autres servants s’affairent. On attend les face-à-face, les phrases qui tuent, les mises à mort. Sauf que, dans chacune des corridas électorales, ce sont deux toreros qui s’affronteront.

18 mars – Parti tôt ce matin dans la colline, je me suis gelé et querellé avec le mistral. Il y a des jours où, dans ces conditions, la marche me paraît un exploit comparable à celui des intrépides qui se baignent dans la mer le 31 décembre. Oui, mais après, quel feu d’artifice intérieur… on est remboursé au centuple, ils le disent, je le sens. En revenant, j’ai acheté au village ma quotidienne Provence, impatient de lire les commentaires sur la sécession des mistraliens qui, défilant à 2000 hier en Arles, entendaient se démarquer des 20 000 qui défilaient à la même heure à Béziers pour demander la reconnaissance de l’occitan par l’État. Si ces controverses sur l’identité provençale prêtent à sourire au moment où un olibrius nous promet un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale (qui, soit dit en passant, aurait du pain sur la planche dans notre région), je n’ai pourtant pas envie de sourire car je pense à la disparition accélérée des langues sur la planète (de l’ordre de quatre-vingt-dix pour cent d’ici 2100) et au danger d’une globalisation linguistique qui risque, à terme, de favoriser la pensée unique (si tant est que l’on pourrait encore appeler cela une « pensée »). J’ai aussi acheté Le Journal du Dimanche à cause du gros titre : Le mystère Ségolène. J’espérais une analyse mais je n’ai trouvé qu’un ramassis de rumeurs et d’informations déjà glanées ailleurs et, à la page consacrée… au tout prochain Salon du livre, un dessin de Wolinski représentant Ségolène Royal en petite mère des peuples du genre Staline et Kim II Sung. L’excès de critique engendre l’inintelligence, m’a murmuré Flaubert.

20 mars – « J’aurais volontiers changé de sexe pour pouvoir signer ton adresse aux femmes », ai-je dit à Pierrette Fleutiaux qui récolte des signatures en faveur de Ségolène auprès de celles qui écrivent. Il y a dans son texte un passage, entre autres, qui me botte en particulier : Ce n’est pas parce qu’elle est une femme que je la choisirais. Ça serait de la misogynie à l’envers.Ah bon ? Ne vous suffit-il pas d’avoir eu des décennies, des siècles de misogynie à l’endroit ?

26 mars – Pas mal de gens avec qui je parle des prochaines élections ont l’air de se poser en douce la question d’Arletty dans Hôtel du Nord : Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Oui, quelle gueule elle aura, la France d’après les présidentielles ? Mazette, telle une réponse, une photo sans origine déclarée est apparue sur mon écran. On y voit le siège de l’UMP avec une grande banderole sur laquelle on peut lire : Imaginons la France d’après. Un slogan qu’a fait sien M. Sarkozy. Et que voit-on dessous, au pied de l’immeuble ? Une trentaine de CRS en faction… Ce n’est pas une mince affaire d’imaginer la gueule qu’aura la France d’après. Mais il faut y songer. On ne va pas avec n’importe qui, et encore moins se met-on sous sa coupe, surtout quand c’est pour cinq ans au moins.

28 mars – Je porte en moi un bouffon. En bonne compagnie, et en particulier devant les dames dont les jupons frémissent quand il est question de psychanalyse, je l’appelle « mon Doppelganger ». En d’autres compagnies, où je suis plus à l’aise, je dis « ce petit con de Max ». Max parce que c’est un nabot qui s’est bricolé une devise latine : Maxima in minibus. Mais sous l’un ou l’autre nom, c’est toujours le même histrion, un matassin, un zanni, un fagotin, plus souvent loustic et grotesque que cocasse ou plaisantin, brel un bouffon. Et cet animal qui prétend, lui, ne pas vieillir, fait de mon âge le sujet préféré de ses brocards jusqu’à me mettre dans l’état second, troisième ou pénultième où je suis certains jours… Aussi, à ce bouffon qui est voyeur et qui prétend écouter aux portes, ai-je fait reproche de ne pas s’être introduit dans la luxueuse résidence hôtelière du Paradou où Nicolas Sarkozy, au cours d’une conférence secrète tenue cette nuit, a convaincu Jean-Louis Borloo de lui apporter un soutien indispensable à la conquête présidentielle. Tout de même… notre petit village pourrait avoir son nom dans l’histoire si l’histoire de France devenait sarkozienne ! Et ça le vengerait (le village) d’avoir dû troquer, sous l’Empire, son beau nom de Saint-Martin-de-Castillon pour celui du Paradou, ce moulin à foulon où l’on apprêtait le drap en se servant du chardon… Tout un programme !

29 mars – La Maison des Écrivains me propose de signer le texte d’un manifeste pour protester parce que la culture reste absente du projet des candidats à la présidence de la République, et en particulier le sort de la télévision de service public. On ne s’informe donc pas rue de Verneuil ? Le 13 mars, Ségolène Royale affirmait : Jamais je n’accepterai que la culture et l’information soient abandonnées aux seules forces du marché et à la marchandisation galopante, induite par la mondialisation libérale. Et le 26 mars elle avançait dix propositions dont une qui est d’assurer un véritable pluralisme de l’audiovisuel et de la presse par de nouvelles règles anti-concentration, par une refonte des systèmes d’aides, par une nouvelle autorité de régulation et par la refonte d’un système indépendant de soutien à la création et à la promotion de la culture. À la Maison des écrivains, on ne s’informe donc pas ? Non, je ne signerai pas leur manifeste.

Dans Le Monde des livres, courtoise mais cinglante réplique de Jean Rouaud à Nicolas Sarkozy qui, dans l’un de ses discours, avait parlé des Champs d’honneur comme d’un exemple de patriotisme pour la jeunesse. Le candidat, prompt à faire flèche de tout bois, n’avait pas lu le roman. On n’ira pas s’en étonner.

31 mars – Pour l’anniversaire de notre petite-fille Claudine qui doit son prénom à Colette, j’ai ressorti cette recommandation de la dame du Palais-Royal : Faites des bêtises, mais faites-les avec enthousiasme. Ça tombait d’autant mieux que Claudine est née, selon le calendrier celtique, sous le signe du Noisetier qui prétend être toujours le premier… Mais, à la réflexion, faire des bêtises avec enthousiasme, ce pourrait être un programme dans la campagne présidentielle.

1er avril – S’il est vrai que Le Monde roule en douce pour Sarkozy, comme on le dit, comme j’en ai souvent l’impression et comme on me l’a confirmé, c’est peut-être parce que, s’il advient que le tzar Nicolas règne sur la France, le quotidien augmentera son tirage en se rangeant avec un air de bonne conscience du côté de l’opposition républicaine. Tout ça finit par ressembler à un jeu télévisé du style « le maillon faible ». De l’une et l’autre de ces choses nous avons devisé à l’heure du thé avec nos voisins de passage, Anne-Marie Garat et Jean-Claude Chevalier. Et puis, par des propos imprudents, nous nous sommes engagés dans l’obscur labyrinthe où se cache l’avenir du livre. Mais pourquoi cet avenir nous serait-il révélé ? Tout au plus pouvons-nous adopter la sagesse chinoise qui recommande de ne pas faire de nos idées un barrage contre les idées nouvelles.

4 avril – Tout à coup, esprit de l’escalier, je me demande pourquoi, à France Inter, ils ont viré Alain Rey et adoubé Guy Carlier. Et préféré complaire à comprendre. Et confondu populisme avec populaire. Petits arrangements avant que le pouvoir change de camp ?

7 avril – Pour avoir touché à la cartographie, j’ai toujours eu de la curiosité pour les géographes. Aussi, quand j’ai vu dans Le Monde qu’un du nom d’Armand Frémont avait écrit un article intitulé Géographie mentale des candidats, je me suis empressé de lire et ne résiste pas au plaisir de reprendre la conclusion qu’il donne aux profils de Jean-Marie Le Peu, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : Nous aurons à choisir selon moi, écrit-il, entre le chef protecteur, l’aimable centriste, le zappeur zappé et la nouvelle Marianne.

11 avril – Dans Le Monde d’hier qui est daté d’aujourd’hui, Benoîte Groult s’en prend à ceux que misogynie atavique et peur de l’imprévu dressent contre Ségolène Royal, socialistes compris. Dieu n’est-il pas toujours mâle dans nos trois religions monothéistes, qui ne se soucient guère de parité ! note-t-elle au passage. C’est bien pourquoi, me suis-je souvenu, Strindberg, dans Mariés, s’en prenait à la dévotion mariale qui n’avait selon lui d’autre ambition que de refouler l’image de Dieu dans l’ombre de Marie, femme et mère. Et dans le même Monde du même jour, même page, Bernard-Henri Lévy, à la question de savoir ce qui se passerait si le sort était défavorable à Ségolène pour laquelle il dit vouloir voter, répond : « Champ de ruines. Tout à refonder. » Autour de Dominique Strauss-Kahn, s’empresse-t-il d’ajouter. Manière d’insinuer qu’il ne faut pas trop compter sur une femme. Mais moi je sais une chose, sans les femmes, Actes Sud ne serait pas ce que c’est. Ni moi, d’ailleurs. Voilà qui ne pèserait pas lourd dans une controverse, mais pour ma pomme, pardon, ça compte énormément.

12 avril – Aujourd’hui ciel maussade, pluie et nouvelles consternantes. Attentats meurtriers à Alger ; nouvel accès de folie des jumeaux polonais qui poussent leur anticommunisme primaire jusqu’à vouloir supprimer les pensions des retraités qui furent volontaires dans les Brigades Internationales lors de la Guerre d’Espagne ; Forgeard s’en va de chez Airbus avec un bonus de plus de huit millions quand des milliers de gens y perdent leur emploi ; Le Monde trouve des excuses à Sarkozy, cherche des poux à Ségolène et fait risette à Bayrou…

13 avril Sur le site du Nouvel Observateur (nouvelobs.com) on peut lire que la Direction Centrale des Renseignements Généraux est en possession d’une enquête confidentielle sur l’état de l’opinion qui annonce l’élimination de Ségolène Royal au premier tour. Cette enquête effectuée sur un échantillon de 15 000 personnes sur tout le territoire français pourrait annoncer un deuxième tour entre Nicolas Sarkozy et le leader du Front National. Cette information, que la place Beauvau ne peut révéler, pourrait provoquer une déflagration politique. Sarkozy ou Bayrou n’ont aucun intérêt à divulguer les résultats de ce sondage, souligne un fonctionnaire des RG. La révélation de cette info pourrait faire remonter Madame Royal…

Eh bien, si les électeurs qui promènent leur indécision comme une fleur à la boutonnière, si les écervelés qui brandissent leur vote comme une arme à feu et si les autres, plus attachés à leur confort qu’à leur destin, ne comprennent pas, ne se reprennent pas, il nous faudra choisir, le 6 mai, entre Bush et Pinochet !

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