Mercredi, 2 septembre 2009 — Tout est immobile. Fenêtres et fenestrons sont ouverts et pourtant l’air ne circule pas. À chaque heure l’église jette quelques sons de cloche qui se perdent dans les roubines. Quant aux cigales, on a l’impression qu’elles ont émigré. Il faut que je mette aujourd’hui la dernière main à la communication que je ferai le 12 à l’Académie car la règle veut que j’en envoie d’abord le texte au secrétaire perpétuel. Mais ce temps bizarre ne m’inspire guère.

Vendredi, 4 septembre 2009 — Ce matin, nous étions à huit heures, Christine et moi, dans le cabinet arlésien de l’ophtalmo qui, après avoir jugé de l’opacité du cristallin, a confirmé la nécessité de m’opérer de la cataracte dès notre retour. Je me rappelle que, dans l’adolescence, pendant la guerre, mes copains et moi qui avions juré avec superbe de ne pas accepter l’humiliation du vieillissement et qui dévorions Les hommes de bonne volonté de Jules Romains, nous y avions trouvé une phrase que j’ai renoncé à chercher dans les vingt-sept volumes de ce roman-fleuve et qui disait, à peu près en ces termes, que “la sclérose du cristallin commence à vingt-cinq ans”. Et, jeunes imbéciles qui jurions de n’être jamais de vieux imbéciles heureux, nous jurions encore de nous flinguer avant la soixantaine alors même que nous lisions avec ferveur des auteurs qui avaient largement dépassé cet âge. Là-dessus nous préférions ne rien dire et citions plus volontiers Rimbaud et Radiguet. Les amis avec lesquels j’avais fait ce serment stupide sont morts mais tous après la soixantaine. Lire la suite


Jeudi, 1er janvier – Nous étions seuls hier, Christine et moi, et pour achever 2008 nous nous sommes offert l’un des plus longs réveillons de notre histoire. Nous avons pris le thé à l’heure habituelle et nous nous sommes ensuite installés devant le grand écran pour revoir un film de circonstance, Nos meilleures années. Il dure plus de six heures et, avec un entracte pour un dîner de crêpes, il nous a conduits à minuit. Ce film de Marco Tullio Giordana, à l’origine un téléfilm à épisodes, est certes inégal, mais il y a des épisodes si justes, si émouvants, des réminiscences si fortes d’événements qui ont marqué notre temps, que par moments j’ai pensé à L’art de la joie de Goliarda Sapienza. À minuit il y eut un petit feu d’artifice au village. Dans la nuit noire, des chèques en blanc, les vœux… Lire la suite


1er janvier 2008 – Vœux présidentiels, d’année en année même rhétorique qui rappelle les compliments qu’on apprenait jadis aux enfants tenus de les faire à leurs parents, le 1er janvier, serment de sagesse, de respect et d’assiduité. Il arrive cependant que des mots ont soudain un ton qui s’écarte du ronronnement habituel. Hier ce fut le souhait d’une « politique de civilisation ». Le président ne s’est pas gêné pour détourner de son sens une formule d’Edgar Morin…

8 janvier – Cinquième volume de la Correspondance de Flaubert que la Pléiade vient d’éditer. Le 29 mai 1876, sa dernière lettre à George Sand se termine par ces mots : « Adieu, chère bon maître. Amitiés aux vôtres. Je vous embrasse bien tendrement. Votre vieux. » George Sand est morte neuf jours plus tard. Au moment où je m’endormais, ce fut avec l’impression que j’avais pris le deuil.

On se demande parfois comment le monde pourrait finir. Pour le savoir, peut-être suffit-il de regarder aux actualités les images de Naples ensevelie, non pas sous les cendres du Vésuve, mais sous les détritus qu’on ne ramasse plus depuis des semaines… Lire la suite


octobre – Avant que Denis Podalydès ne lise hier soir au Méjan, devant plus de deux cents personnes, de larges extraits des Rêveries du promeneur solitaire, j’ai raconté comment Rousseau avait confirmé ma vocation littéraire quand, à l’âge adolescent, j’étais tombé dans les Confessions sur l’épisode où il raconte la fin de Mme de Vercellis. « Elle ne garda le lit que les deux derniers jours, et ne cessa de s’entretenir paisiblement avec tout le monde. Enfin, ne parlant plus, et déjà dans les combats de l’agonie, elle fit un gros pet. Bon ! dit-elle en se retournant, femme qui pète n’est pas morte. Ce furent les derniers mots qu’elle prononça. » En quelques phrases Rousseau avait rapporté l’aventure, la grâce, l’affront fait à la beauté et au talent par la maladie, la mort. Oui, je crois que c’est ce jour-là, précisément ce jour-là, que ce pétard me fit prendre le chemin de l’écriture.

6 octobre – Les enfants sont en effervescence. Avec des amis ils s’établiront ce soir dans la bergerie devant le téléviseur que nous y avons fait installer pour eux. Ils sont portés par le téméraire espoir de voir l’équipe de France filer la pâtée aux All Blacks de Nouvelle-Zélande. Difficile de comprendre ce qui, confusément, les porte et les transporte. Un fond d’orgueil gaulois ? Le syndrome de David face à ces Goliath du bout du monde qu’on appelle chez nous les « connards » (dixit Le Monde)} Le désir de donner des vacances aux idées ou le besoin d’être « voyous dans les règles », comme dit l’un de « nos » joueurs, et ainsi de laisser libre cours à la violence que sans cesse attisent les injonctions dans notre société ?

Avant de monter, ce soir, j’ai jeté un coup d’œil à l’écran pour voir où en était le fameux match. C’était à la 63e minute, la France venait d’égaliser (13 – 13) et j’ai d’abord vu le sourire satisfait du président Sarkozy qui était à Cardiff avec sa ministre manifestement préférée, Rachida Dati. L’équipe de France a remporté la victoire in extremis (20 – 18) mais je ne sais ni comment ni pourquoi car, même si j’ai de la curiosité pour le vocabulaire, je ne comprends décidément rien à ces mêlées brutales, bouquets de fesses, cravates, mauls, saucissons, arrêts-buffets, plaquages en cathédrale, fourchettes, mêlées écroulées, billes en tête, bouchons, bras cassés pour dire coups francs, à ces cathédrales, roulottes, ruées sans grâce, à ce catch dans lequel le faux et le vrai se dissimulent sous des masques qui se voudraient terrifiants. Lire la suite


4 juillet – Par la presse belge j’apprends que Reinhoud d’Haese est mort à Paris. J’aimais le voir faire à table des petits monstres avec de la mie de pain. Il avait l’humour tendre et froid. Chaque fois que j’entre dans ma salle de bains ou que j’en sors, mon regard passe par une de ses lithos où est représenté un personnage de sa façon qui me tire la langue. La langue ou le nez ?

Ce soir, vu Good Night, and Good Luck, le film en noir et blanc de 2005 avec lequel George Clooney montre dans quel détestable climat Edward R. Murrow, présentateur à C.B.S., et Fred Friendly, son producteur, s’en prirent au sénateur McCarthy pour mettre fin à sa chasse aux sorcières de sinistre mémoire. Un film aux résonances très actuelles qui devrait faire partie du matériel pédagogique de toute école de journalisme.

6 juillet C’est en juin 1996, près de Pigalle, dans une voie privée, à l’étage d’une maison couverte de feuillage et de fleurs, que j’avais rencontré Régine Crespin dont tant de fois, à l’époque, j’avais fait entendre la voix dans mon Domaine privé, à l’antenne de France Musique. Quand j’avais pénétré dans le salon tout de rouge tendu comme une loge, une mélopée de John Coltrane ruisselait de haut-parleurs invisibles et, tournant le dos à la fenêtre, fume-cigarette aux lèvres, verre à la main, il y avait cette femme multiple, Tosca, Kundry, Carmen ou la Maréchale, au regard solaire derrière d’immenses lunettes. Elle vient de mourir, cette diva, mon fils me l’a appris hier au moment où je disais avoir l’impression de me tenir au bord d’une falaise et de voir se précipiter dans le vide des gens qui, par l’âge, auraient dû le faire après moi. Régine m’avait fait revenir plusieurs fois avenue Frochot, m’avait emmené en province pour assister à quelques master classes et elle m’avait raconté mille souvenirs pour m’inciter à rééditer ses mémoires, À la scène, à la ville. Je me souviens de sa gourmande gaillardise, de ses impertinences langagières, de son exigeante et tendre amitié, et j’ai parfois rêvé aux méharées sensuelles qu’elle avait dû offrir aux hommes qui avaient traversé sa vie. L’amour et la vie d’une femme. J’écoute Schumann. Exit Régine. Lire la suite


18 avril – James me fait passer un extrait des mémoires de Kurt Vonnegut, l’auteur d’Abattoir 5, qui est mort la semaine dernière. « Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, écrit Vonnegut, nous sommes maintenant craints et haïs partout dans le monde, comme le furent en leur temps les nazis. » Un peu plus loin, il dit encore de manière sarcastique : « Je suis donc un homme sans patrie (without a country), sauf pour les bibliothécaires et un journal de Chicago, In These Times. » Comment oublier que la pax americana c’est encore les 40 assassinés d’hier sur un campus américain et les 200 morts du jour à Bagdad ?

20 avril – Ce soir au mas, dîner familial. Nous avons refait l’histoire de France des dernières années et confronté nos pronostics pour dimanche et pour le 6 mai. Parler de ça avec ses enfants, « Ne tombons pas dans le travers vulgaire qui est de maudire et déshonorer le siècle où l’on vit », s’exclame Hugo dans Napoléon le Petit que je viens de rééditer. Nous nous sommes quittés également persuadés qu’il y a en ce moment une effervescence qui atteste un grand désir de voix au chapitre et de droit à la parole dans un pays que ses frontières ne sauraient isoler du monde. Lire la suite


12 mars 2006 – Voilà un moment que j’observe la marche solitaire de Ségolène Royal vers les présidentielles. Cette femme a pour seuls bagages sa condition de femme dans un temps où elles sont plusieurs à monter au créneau, un nom qui, mine de rien, la porte, les deux mots habilement choisis pour l’association qu’elle a créée : « Désirs d’avenir », et des sourires qui sont mieux perçus que les idées confuses des autres candidats. Mais voilà que, par la presse on l’apprend, elle se serait assuré les services de Jacques Séguéla, ce vieux routard de la pub politique. Ségo – Séguéla… Rumeur ou information ? Bobard ou traquenard ?

9 octobre – Les Russes flinguent l’une de leurs meilleures journalistes, les Coréens du Nord font péter leur première bombe atomique et diffusent des images d’une liesse qui me rappelle celle des Chinois quand ils en étaient au même stade. Les États-Unis, prenant exemple sur Israël, élèvent un mur de je ne sais quelle longueur et quelle hauteur pour se protéger des invasions mexicaines. En Belgique, on se réjouit que les extrémistes qui grimpent, qui grimpent, qui grimpent comme certaines petites bêtes, n’aient pas atteint les records qu’ils attendaient lors des élections communales de ce dimanche. Ici, on va vers l’interdiction totale de la mer. Avec l’air de supprimer la peine de mort volontaire, mais en se gardant bien de s’en prendre à tout ce qui tue bien plus sûrement que le tabac. La bêtise et le reste. Au train où ça va, il est de plus en plus évident que ce qui n’est pas obligatoire sera interdit. C’était quoi encore cette liberté dont vous parliez si souvent ? nous demanderont bientôt les enfants de nos petits-enfants. Vous inquiétez pas, leur dirons-nous. C’est rien, rien, rien. Et puis, elle est pas belle la vie ? Si la télé le dit, c’est que c’est vrai. Il y a quelque chose qui ne va pas ? m’a demandé Christine… Lire la suite