American Great Chance

Jean-Pierre Berckmans,

Dune du Pyla, 11 octobre 2015

 

Donald l’a repérée dès son apparition sur la terrasse de « La Co(o)rniche » où il discute avec Alain Juppé « the fucking mayor of Bordeaux » comme il l’appelle. Ce n’était pas une négociation facile, Juppé semblait contrarié, limite agacé. « French Bullshit » pense Donald. Du coin de l’œil sous sa mèche blonde, il surveille les allées et venues de cette jeune rousse aux cheveux lisses le long de la piscine à débordement qui semble prolonger la vue sur le bassin d’Arcachon et le banc d’Arguin. – « Beverly Hills style bitch »- mais quelque chose d’un peu distrait et méprisant dans son allure lui dit qu’elle fait partie des « rich and famous » !

Juppé insiste. Même en étant propriétaire d’un château, il était impossible d’utiliser une partie des vignes à la Nappa Valley en gardant l’appellation. « Fucking rules » pense Donald, crétins ces règlements merdiques qui s’opposent au commerce, à la libre circulation des biens et du fric… tout ce qui fait la force du capitalisme dont il est l’image parfaite. Le capitalisme glamour, souriant, éclatant, bref américain. Et si mal représenté par un président noir et politicien démocrate qui n’avait jamais créé de richesses de sa vie et ne pensait qu’à dépenser pour les blacks, les latinos et autres paresseux… tout ça pour préparer l’élection de cette connasse d’Hillary Clinton. Juppé se lève, « désolé, je ne peux pas faire plus »… Il sourit et lui serre la main « Good luck Donald, take care ! ». Il sourit… « désolé, mon cul ! » pense Donald. Il considère le maire de Bordeaux comme un « foutu gauchiste » mais, d’un autre côté, un type qui peut transformer du vin en une montagne de fric, avec un temple futuriste au bord du fleuve, mérite un fameux coup de chapeau. Derrière Juppé, il aperçoit la longue rousse assise au bar qui le regarde les yeux mi-clos ; intérêt ou foutage de gueule ? Difficile à dire, à deviner mais peut-être une possibilité… Après un échec, rien de mieux qu’une bonne baise pour vous remettre en forme…

Donald s’approche, elle parle français avec le barman. Donald ne parle aucune langue étrangère sauf quelques mots d’espagnol pour donner des ordres à ses chefs de chantier. Il considère que le monde entier parle suffisamment l’anglais pour qu’il puisse se faire comprendre « loud and clear » et quant aux femmes, il n’a pas envie de perdre son temps à les écouter… « grab them by the pussy » ! Il commande deux coupes de champagne et s’approche de la jeune femme. Il remarque ses yeux turquoise.

— Donald Trump comme la Trump Tower !

— Je sais très bien qui vous êtes Monsieur Trump, mon père est sénateur républicain du New Jersey.

Donald n’aime pas qu’on le challenge… il attaque…

— Dites-moi comment une couille molle comme lui a pu faire une fille aussi sexy ?

— Mais avec sa bite, comme vous !

Elle baisse les yeux vers son pantalon puis le regarde avec insolence et ajoute :

— Ne me prenez pas pour une des pétasses que vous trimballez dans les pages de « Vanity Fair » !

Elle lui tend la main « Je m’appelle Jennifer »….

— Eh bien Jennifer, si nous allions à Bordeaux ? J’ai une suite au Grand Hôtel et un chef français peut nous préparer quelque chose d’assez raffiné pour vous !

— Gagnons du temps Donald. J’ai une chambre ici avec une superbe vue (elle dit « dramatic vue »).

Elle ouvre son sac Hermès (le même qu’Ivana remarque Trump), en sort un dé à jouer, le fait sauter dans sa main et annonce :

— Pair, on couche ensemble, impair on se dit au revoir.

— Et si on disait plutôt : pair vous couchez avec moi, impair je couche avec vous !

Elle hausse les épaules et lance le dé sur le comptoir. Trump suit le tressaillement du petit cube comme s’il avait joué un million de dollars au baccara. Le dé s’arrête sur le chiffre 4. Jennifer descend de son tabouret, le regarde dans les yeux, provocante.

— Emportons notre champagne dans la chambre, nous le boirons en baisant.

Donald imagine que le paradis doit ressembler à ça…

La chambre semble suspendue au-dessus de la dune « blanche comme mes fesses » dit Jennifer.

Elle tient le dé entre deux doigts… « pair tu me suces, impair je te suce »…Donald déteste le cunnilingus qu’il considère comme « un truc de lesbienne », il prie pour un numéro pair. Oh God ! donne-moi un 2 ou un 4 ou un 6 ! Le dé roule et s’arrête sur 5. Donald est anéanti mais quand Jennifer relève sa jupe, fait glisser sa petite culotte en dentelle noire, découvre son sexe mince épilé surmonté d’un trait de poil roux, puis s’étend au bord du king-size et lève ses jambes écartées, il a une érection évidente. Quand il s’agenouille et écarte les lèves roses et brillantes, il bande comme un taureau. Il enfouit sa langue dans le sexe de Jennifer qui saisit sa célèbre mèche blonde et le maintien en place. Elle pose ses hauts talons sur les épaules de Donald.

Entre ses encouragements, ses plaintes et ses insultes (fais-moi jouir motherfucker !), Donald ne sait pas trop ce qui s’est réellement passé pour Jennifer mais il a apprécié la chose « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d‘avis » est sa devise en affaires et en politique… pourquoi pas en baise ?

« Maintenant le dé va nous dire combien de doigts tu pourras introduire en moi » annonce Jennifer.

— Et si c’était un 6 ? Il sourit un peu bêtement.

— C’est limité à 5, idiot ! (stupid).

— Va pour une main entière alors… « pas d’alliance, pas de chevalière » ordonne Jennifer en regardant ses grosses mains. Il tombe sur 3. Manque de bol dit-il mais ça aurait pu être le 1…

« On va passer aux choses sérieuses » dit-elle. On va voir si tu baises ma chatte ou si tu m’encules.

— On ne pourrait pas arrêter ce jeu de pédé et décider ça entre nous comme des gens intelligents ?

— Écoute-moi bien… Quand j’avais 15 ans, j’ai lu le livre de Luke Rhinehart « The dice man » (L’homme dé), l’histoire d’un homme qui laisse les dés diriger sa vie, il ne prend aucune décision, il laisse le hasard choisir… alors j’ai décidé que toute ma vie sexuelle et sentimentale serait confiée au roulement d’un dé et je ne fais aucune exception à cette règle. Tu as compris ?

Plus tard, Donald Trump se dit qu’il n’oubliera jamais cette journée au moment où son sexe pénètre profondément le délicieux trou du cul, entre les « fesses blanches comme la dune » de la folle et rousse Jennifer (fuck my ass, big pig !).

 

Quand le champagne est bu et que tout est terminé, il s’apprête à sortir de la chambre mais Jennifer l’arrête :

— Attends, je vais voir si j’ai été sodomisée par le futur président des États-Unis : pair tu es élu, impair c’est Hillary ;

Le dé indique 6

— Waouh… j’ai baisé l’homme le plus puissant du monde avec deux ans d’avance…

— Ce dé est trop con ! Ce sera un miracle si je suis représentant des républicains siffle Donald Trump.

Ils décident tous les deux ne plus se revoir à cause d’un 6.

New York, 5 janvier 2017

Donald Trump deviendra président le 20 janvier. Il a déjà choisi ses ministres, placé ses pions, distribué les rôles (y compris dans sa famille). Il faut maintenant « make America great again » comme il l’a répété 1 000 fois pendant sa campagne. Mais il a dit tout et son contraire parce qu’il fallait créer le buzz, faire du storytelling, ne jamais laisser retomber la pression sur les électeurs et clouer le bec à tous ces connards de journalistes et ses pétasses des médias qui léchaient tous le cul des Clinton qui dirigeaient les States depuis 25 ans comme des manches. Sans compter ces enfoirés de sondeurs qui le donnaient tous battu pour « décider les indécis ! ». Là, il doit choisir des changements radicaux, des lois nouvelles qu’il a promis, des lois qui doivent casser le système des « politiciens professionnels » qu’il a vilipendé pendant des mois. Le problème c’est que les votants sont minoritaires face « au peuple ». S’il veut faire un second mandat, il faut convaincre tout le monde et malheureusement les médias aussi, puisqu’ils manipulent l’opinion (pense Ronald). Il se souvient d’un premier ministre français fraîchement démissionné qui avait trahi son président, ce triste François Hollande. Un grand journal du soir avait commenté, en première page, son meeting électoral tenu devant 200 personnes.

200 personnes, c’était un drink du vendredi dans son penthouse de New York. Et ça se dit journaliste…

Il faut faire mieux que promettre, mieux que parler, il faut créer, en mieux, ce qui lui a toujours réussi : de l’entertainment.

C’est alors qu’il repense à Jennifer, celle qui, il y a presque deux ans, lui annonçait qu’elle avait baisé avec le futur président des États-Unis de façon tellement ludique, après un simple roulement de dé. Et cette jeune salope avait prévu (presque) l’impossible victoire à partir d’un putain de roman. Ronald va voir sur le net… il découvre que ce livre « The dice man » a eu un fucking success que c’est un best-seller (quel beau mot !) culte aux States et qu’il parle pas mal de cul (quel beau mot aussi !) en passant, bref un satané bon bouquin ! Un critique clame : THE DICE MAN is « a way of life » et pourquoi pas « a way to do politics » mieux « a way to govern ». Quoi qu’il décide il y aura une multitude d’emmerdeurs pour le critiquer : trop ceci, pas assez cela, mais personne ne critique jamais le hasard. On se dit : si ça ne fonctionne pas pour moi cette fois-ci, ça marchera la prochaine, ou après, ou plus tard… La chance finit toujours par tourner, elle ne choisit pas, elle passe et on la saisit, on râle parfois mais on n’ose jamais l’insulter, c’est l’instrument parfait pour trancher un conflit, comme l’avait vu cette chaudasse de Jennifer : « Pair, on baise, impair, on ne baise pas » ! Et si ça n’avait pas marché pour lui elle aurait sûrement recommencé avec le barman (plus jeune, plus beau mais pas président ce petit con !).

Donald Trump imagine déjà. Lui et son gouvernement à Las Vegas, la télé en mondovision, les lois proposées et décidées en direct – roll the dices – au casino, le show, la pub qui paye et le peuple qui applaudit. L’entertainment pour remplacer l’ennui et le bourdonnement morne des parlements enculeurs de mouches.

Las Vegas 20 mars 2017

Donald a choisi le Caesars Palace. Il a un hôtel casino ici mais ce serait un peu gros comme conflit d’intérêts. Et puis il aime bien l’idée d’un empereur romain qui dirigeait le monde avec « du pain et des jeux ».

La gigantesque salle de spectacle est devenue studio de télé ; le show est présenté par l’ancienne bête noire de Trump : Megyn Kelly, qui a changé d’avis et ne se préoccupe plus de ses « propos sexistes » (elle avait ses règles pour être aussi agressive !) après sûrement de discrètes excuses du président.

Megyn fera la présentation politique mais Chuck Norris sera là pour l’animation, le show : il se battra contre des comédiens déguisés en « ennemis de l’Amérique » (Corée du Nord, Daech, Venezuela, Cuba etc.), racontera des blagues et fera applaudir John Voight et Dennis Rodman (le black de 2,20 mètres percé partout) qui fera une démonstration de basket sur un panier cerclé de diamants.

Donald Trump se trouve dans la tribune d’honneur avec son gouvernement, certains conseillers et, bien sûr, sa famille glamour. Après la partie fun on passera aux choses sérieuses : le choix des 10 lois proposées au Sénat (acquis au président) pour le vote (sans surprise !). Megyn annonce le choix entre deux propositions :

Pair – construction, aux frais du Mexique, d’un nouveau mur sur toute la frontière avec les États-Unis

Ou

Impair – renforcement des patrouilles, d’où engagement de gardes-frontières mais pas de nouveau mur.

Donald a bien réfléchi, il peut défendre les deux propositions contraires avec la même conviction. L’un, c’est la sécurité absolue. Une promesse électorale, mais cela créera une multitude de problèmes à l’ONU et finalement, c’est l’État qui devra payer la note… L’autre est créatrice d’emplois et puis ON lui a rappelé gentiment que la riche Californie a besoin de ces Latinos sans-papiers, vulnérables et donc prêts à accepter n’importe quel boulot de merde pour un salaire ridicule.

La musique hollywoodienne monte. Trump descend sur le podium, il s’arrête devant une longue table recouverte d’un tapis de jeu vert pelouse. Dans ses mains, il tient deux dés assez gros mais qui peuvent tenir dans une de ses (grandes) mains. Il annonce que pour décider du choix d’une des lois il faut que les dés soient tous les deux, pair ou impair.

Solo de batterie, le président lance les dés sur la table ; pendant le roulement la musique monte, la caméra suit les dés en gros plan ; ils s’arrêtent ! Coup de cymbale, zoom sur le résultat : l’un indique 2, l’autre 5 ! Donald lève les bras, lentement va rechercher les deux cubes d’ivoire (ancien comme on l’a précisé pour l’écologie). Il fait durer le suspense, dépose son veston, se retrousse les manches, la musique l’accompagne. Il relance les dés : un 4 et un 6 ! De ses mains écartées, il désigne les dés à la foule debout qui applaudit, et annonce « pas de nouveau mur mais une nouvelle frontière » il sait que c’est un succès, que le hasard a désigné le bon choix, et, pour beaucoup de ses compatriotes, derrière le hasard il y a la main de Dieu, une vérité plus forte que les hommes, il y a la voix de l’Amérique profonde.

Le « show politique populaire » comme l’a baptisé Trump se poursuit, les sondages-minutes sont étonnants : les « pour » ne cessent de monter en puissance. Trump voit qu’il a réussi. Il a transformé la triste responsabilité du peuple en un jeu pour tous, un jeu du samedi soir, et puisque tout le monde (ou presque, mais bon…) a du pain et de la bière, il offre gratuitement, joyeusement, régulièrement ce que ce même peuple attend : l’irresponsabilité, la liberté de ne pas devoir faire son choix. Voilà le peuple américain enfin libéré de ce stressant pouvoir, le sien et celui de ses dirigeants.

Washington, 20 septembre 2017

Le troisième show de l’année est encore un énorme succès. Une nouvelle série de lois vient d’être choisie. Donald sort du Sénat. Dans le couloir il aperçoit une chevelure rousse, intrigué il se déplace pour mieux la rencontrer. Il reconnaît Jennifer, elle parle à l’oreille d’Hillary Clinton. Jennifer est serrée contre elle, très proche. Donald s’arrête à quelques mètres, Hillary le salue avec son éternel et grotesque sourire stéréotypé. Jennifer s’approche de lui : « Bonjour Mister President » (avec un peu d’ironie) puis elle poursuit d’une voix assez haute pour qu’on puisse l’enregistrer avec un simple smartphone :

— D’où vous est venue cette idée absurde de décider du futur de ­l’Amérique avec de stupides dés ? Je ne vois rien de plus méprisant pour le peuple américain. Qui vous a refilé ça ? Ivana ? Votre gendre Jared ?

Trump reste cloué sur place, « dis vite quelque chose » pense-t-il, mais il ne trouve rien et puis c’est trop tard. Jennifer tourne ses hauts talons et se perd dans la foule, son joli cul oscillant en cadence au sommet de ses longues jambes.

Et Donald Trump essaye de se rappeler comment est mort César… mais il ne voit qu’une dune blanche éclatante de soleil.

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