Après la crise, le bon temps

Lise Thiry,

Pourquoi ce mot de crise a-t-il pris une tonalité aussi tragique ? Après tout, certains adolescents font des crises d’asthme lorsqu’ils vont édifier des meules de foin avec le fermier… Mais, à la puberté, les crises disparaissent, on ne sait trop pourquoi. Et la goutte chez des personnes âgées ? Elle n’émeut pas beaucoup les gens. On n’en parle pas dans les journaux. Par ailleurs, notre planète connaît des crises atroces. Par exemple, celles provoquées par le vibrion du choléra, chez les Hindous qui se baignent dans le Gange, ou bien chez ceux qui vivent sur l’île de Haïti. Mais ce vibrion n’est vraiment méchant que chez des gens mal nourris. Or, les banquiers atteints par la faillite ne se trouvaient certes pas en état de carence alimentaire. Quelle qualité leur manquait-il donc pour ainsi se laisser entraîner dans une mauvaise passe ?

… Bizarrement sans doute, la crise bancaire évoque en moi l’image tragique d’un banquier navigateur qui se laisserait entraîner vers le torrent de la faillite. Et j’assimile cette image à celles que nous avons vues lors des récents Jeux olympiques de Londres. Souvenez-vous de ce navigateur qui s’était par bravade engagé dans le torrent le plus tumultueux. Mais il dressa alors verticalement son aviron tout droit vers le ciel… Comme pour demander aide, pensai-je. Mais c’était en fait pour faire redescendre cet aviron à la verticale, en vrille dans le sol. Le bâton allait alors s’ancrer un court moment — ce qui permettrait au pagayeur de guider le bateau vers le courant plus sage de la rivière… et devenir ainsi champion olympique.

Cette comparaison pourrait être valable pour certains directeurs de banque qui tentent de diriger les événements avec plus ou moins de maîtrise. Mais il y a dans le comportement de la crise bancaire comme un parfum de maladie transmissible. Hypothèse non encore concrétisée par la découverte d’un coupable visible au microscope électronique. Mais a-t-on essayé de reproduire une crise bancaire en laboratoire ? Il serait intéressant d’en étudier les prémices psychologiques. Dans la Peste, décrite par Albert Camus, le médecin bute sur un rat effarouché… qui vient se réfugier près de lui vers lui, à la sortie de l’ascenseur : « Ce rat n’est pas à sa place », dit le docteur. Plus généralement, les animaux sauvages, pris de crainte au début d’une maladie, viennent chercher de l’aide chez l’homme. On a vu un renard en incubation de rage venir se réfugier dans une église, un soir de Vêpres… Et un autre monter dans un bus scolaire puis tenter de se faire caresser par un enfant. Les fermiers savent que, lorsqu’un renard se hasarde à venir rôder parmi les vaches, son cerveau est devenu craintif, et probablement investi par le virus de la rage.

On s’écarte du sujet ? Quel réconfort trouverait-on dans cette assimilation des crises bancaires à des maladies infectieuses ? Est-il judicieux de comparer les banquiers malades de la crise, à ces premiers malades atteints par le sida, à New York et à San Francisco ? La maladie s’y déroula sans aucun remède. Sans qu’aucun frein ne soit apporté au virus. Si bien que le « sidéen » évoluait vite vers des symptômes qui le trahissaient. Et parmi eux, un vieillissement précoce. Alors ce malade, encore beau garçon l’an dernier, passait chaque matin chez un maquilleur avant d’apparaître au travail.

Si j’ose cette comparaison, c’est parce qu’un banquier en proie aux difficultés m’a dit un jour : j’ai l’impression que mes soucis sont inscrits sur mon visage.

Les crises bancaires s’étendent, de pays en pays, comme l’influenza. Alors, diront certains, pourquoi ne pas « jouer comme si » la crise banquière était une maladie contagieuse ? La mettre en quarantaine ? Un peu vieux jeu pour notre époque, non ? Les épidémies de banques en faillite ne se propagent pas en bateau, comme jadis le choléra, mais bien par ce véhicule immatériel qui porte le nom d’Internet ou de Google. C’est tout juste si des pays encore sains, non investis encore par le virus de la crise financière, n’en sont pas un peu honteux : comme si c’était un indice que l’on est d’arrière-garde. Tel pays en voie de développement, comme la Corée du Sud, est venu annoncer avec un certain soulagement que sa patrie n’est plus en arrière-garde : elle connaît maintenant aussi les affronts de la démission bancaire.

Mais une autre tendance irait dans une voie inverse. Abandonner la crise à elle-même : et qui plus est, faire contre fortune bon cœur. Mettre à profit le drame pour sauter à pieds joints dans une autre vie. Un retour à une vie moins artificielle que celle élaborée par les banques. Une vie simple, vieux jeu. Par exemple, vivre de trocs avec des voisins : si votre poule pond trop d’œufs, en offrir à votre voisin, contre le surcroît de ces bonnes pommes qui font plier les branches de l’arbre, chez lui. Inventer ainsi des échanges de bons procédés. Et s’ancrer bien dans le siècle, en pratiquant le covoiturage… Alors peut-être qu’un jour, on se trouvera dans la même voiture qu’un banquier désargenté. Et l’on évoquera avec lui cette terrible époque où l’on n’échangeait que de l’abstrait : des billets de banque.

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