Parce que j’adore Lolita et parce que je n’aime pas Lolita.

Parce que le roman de Vladimir Nabokov est un chef-d’œuvre et parce que le film de Stanley Kubrick n’est pas une œuvre réussie.

Parce qu’il n’y a pas de livres mineurs chez Nabokov et parce qu’il y a des films manqués chez Kubrick.

Parce que je ne retrouve pas mon Kubrick d’avant.

Celui du Baiser du tueur et celui d’Ultime razzia.

Celui, en partie, des Sentiers de la gloire.

Parce que je ne retrouve pas non plus mon Kubrick d’après.

Celui de 200L l’odyssée de l’espace, d’Orange mécanique et de Barry Lyndon.

Sauf dans le plan, au début, où on voit le pauvre Humbert pénétrer dans une villa et poursuivre son rival avant de tirer sur lui avec un revolver et, sans s’en rendre compte, de trouer le portrait d’une drôle de gamine.

Parce que cette gamine, précisément, est une terrible nymphette chez Nabokov et parce qu’elle n’est plus qu’une sorte de pin-up quelconque chez Kubrick.

Parce que Nabokov a illuminé son roman à la lumière aveuglante du scandale et parce que Kubrick a éclairé son film à la triade classique de la psychanalyse hollywoodienne : possession, frustration, jalousie (comme l’a justement noté Freddy Buache dans un de ses articles).

Parce que Nabokov est toujours équivoque et trouble et parce que Kubrick ne l’est que de loin en loin.

Parce que Lolita est le drame de Sue Lyon.

Parce que la jolie petite starlette américaine s’est totalement enlisée par la suite, même après avoir tourné La Nuit de l’iguane de John Huston, Frontière chinoise, l’ultime opus de John Ford, et Tony Rome est dangereux de Gordon Douglas, aux côtés de Frank Sinatra.

Parce que depuis 1980 elle n’est plus jamais apparue au générique d’un long-métrage.

Parce que c’est triste de faire rêver comme ça et puis de ne plus faire rêver du tout.

Parce que le cinéma est un gigantesque piège à cons.

Parce que je suis con, moi, à vouloir comparer le cinéma et la littérature, un film et un roman, des images animées et des mots qui ne bougent pas, Lolita et Lolita, Lolita et Lolita, Kubrick et Nabokov, l’un et l’autre, ceci et cela, le bon Dieu et ses ouailles, les fleurs et le mal, le manche et la cognée, l’air et la chanson, le cor et le cri, les raisins et la colère, les racines et le ciel, Bouvard et Jim, Jules et Pécuchet, Marius et Thelma, Jeannette et Louise, le hussard et le toit, le rivage et les Syrtes, le désert et les Tartares, la madone et le sleeping, Marie et Noël, Tristan et Bernard, Romain et Rolland, Victor et Hugo, Albert et Londres, le pèlerinage et les sources, le quai et les brumes, le lys et la vallée, la cerise et le gâteau, le massacre et la tronçonneuse, la croix et la bannière, le fil et l’épée, le bâton et le maréchal, le doigt et la gâchette, le petit bout et la lorgnette, le péril et la demeure, le marteau et le maître, la pierre et le loup, le silence et les agneaux, la vallée et les larmes, le deuil et les primevères, le faste et le foot, le fer et la plaie, le frit et la lance, la presse et le bouc, la boxe et l’office, les marrons et le feu, les quatre coins et le monde, l’armoire et la glace, l’est et l’Éden, le voleur et la bicyclette, le chien et le fusil, Ada et Spartacus, Loujine et Folamour.

Et parce que c’est comme ça.

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