L’enfant : Maman, maman, regarde !
La mère repasse :
Tais-toi et mange !
L’enfant : Maman, maman, regarde !
Elle lâche la pile de linge
Twin towers,
le loft story de la guerre
On nous casse tout,
on n’y peut rien
plus on en voit,
plus on ne sait rien
Twin towers
apocalypse de la modernité, qui révèle en même temps son omnipotence technologique et son impuissance concrète.
Sur la planche, la vapeur fuse
Un peu plus tard, sous la couette
un demi-sommeil brisé,
l’ouïe abusée,
instants de panique
pour un feu d’artifice
27 fusées
L’entre-deux c’est
le grondement des avions comme en 40,
même si on n’a pas connu 40
une mémoire insoupçonnée se lève de la chair de l’histoire
Et la mère dit à l’enfant : ce n’est rien, mon chéri, rendors-toi
L’entre-deux c’est
dans la cuisine, éplucher les derniers jours de la vie de tous les jours
au-dessus de la poêle
pelure après pelure
suer d’angoisse
Ma petite entreprise ne connaît que la crise
lundi gris,
mardi noir,
mercredi le jour d’après
le jeudi cherchez l’ennemi
le vendredi,
grande prière, raie au beurre et lumières du shabbat
Non
Le vendredi on fait
son vendredi
et ses trois minutes de silence
Les tours fument encore
la mère lâche le fer
et se recueille
Assomption de la démocratie : se taire est une parole politique
une marque noire s’imprime sur la toile d’amiante
L’entre-deux
c’est la peur des gens
et un nouveau devoir civique :
Soyez patriotes, consommez !
Le samedi, pour toute la semaine
les courses dans une grande surface
au rayon librairie
Entre le noir et le rose
les mains bredouilles
entre l’album souvenir du 11 septembre et les photos d’un
bonheur royal
Icônes d’une apocalypse et d’une nativité.
Une femme dit : Aucune guerre n’est juste
et reprend sa lecture, à l’unisson de la joie princière
L’entre-deux,
c’est l’attentat en direct,
mais deux jours d’attente
avant de voir le visage du bébé
la vie invisible et la mort en pavane.
L’entre-deux c’est
Ground zero
les tours fument encore
L’entre-deux c’est
101 coups de canon
mille et une nuits
mille et une bombes
la mère dit : Non, pas ce soir
Occident crétin
Saladin de mauvaise copie vidéo,
Fantasme de petit Saoudien pourri gâté,
british school
et mauvais trip
au pavot afghan
Kung-Fu de bazar
sur les ruines de la politique néocolonialiste
et de la non-pensée unique
L’entre-deux c’est
l’hébétude de la raison
l’habitude du feuilleton
le besoin de sensations
L’entre-deux c’est la madone et l’enfant princier
avec en prime un père moderne
qui crève l’écran
son sourire blond sous sa blouse verte
verte aussi
la pluie des bombes
étoiles assassines qui filent, muettes,
vers le sol
Il faut inventer le son
et découvrir
la queue infernale des malentendus
bombes à fragmentation sociale
Dégâts collatéraux
dans nos quartiers aussi
Entends-tu le canon ?
madone à l’enfant
crème de bonheur
dragées
qui pleuvent
sur femmes et enfants d’Afghanistan
le souffle va-t-il soulever les burkas ?
elles prennent la fuite,
prendront-elles la parole
et pour dire quoi ?
qu’elles rêvent elles aussi de tous les petits princes et petites princesses du monde
et d’un peu de pain
L’entre-deux c’est
la pensée qui trébuche
médusée sous le choc des images
L’entre-deux c’est
l’innocence épouvantable
de celui qui arme la haine de son voisin
en toute ingénuité
et la pensée qui jacasse les ritournelles d’autrefois
L’entre-deux c’est
le feu sous la cendre qui
soudain s’embrase
le mal innommable
tant il est invasif
L’entre-deux c’est
la physique des matériaux
et la chimie de l’épouvante
le sale nid de l’idéologie aveuglée
et ses enfants malades qui s’entredévorent,
politique et religion
L’entre-deux c’est
le B.A.BA de la politique, un langage à réinventer, grammaire et vocabulaire
L’entre-deux c’est relire
Brecht,
pour sauver l’humanité
apprendre la ruse
L’entre-deux c’est
j’aurais voulu écrire une fiction et je n’y parviens pas
l’avion continue de s’écraser et ma pensée ne décolle pas
À la mer les enfants font des châteaux de sable