Un sage rendait la justice sous un arbre, entouré de ses disciples. On lui présenta le cas d’une querelle entre deux hommes, qui n’avaient pas la moindre intention d’être en quoi que ce soit conciliants à l’égard de l’autre. Il fit venir le premier, qui lui exposa sa version des faits. Le sage l’écouta et, prenant ses disciples à témoin, lui dit : « Vous avez raison… » avant de le renvoyer. Il fit entrer le second, qui lui exposa sa version des faits, complètement aux antipodes de celle du premier. Le sage l’écouta et, prenant ses disciples à témoin, lui dit : « Vous avez raison… » avant de le renvoyer.

Alors, les disciples se récrièrent, et lui dirent qu’il était impossible d’approuver chacune de ces versions, on ne peut plus dissemblables. Le sage les écouta, réfléchit longuement et dit : « Vous avez raison… »

Dit le Seigneur :

1. Puisqu’il faut bien commencer quelque part (même si, toujours, un autre argument servira à faire remonter les origines plus loin et à les faire attribuer à d’autres causes, comme pour la création du monde si l’on ne veut pas remonter jusqu’à Mon existence), la seconde Intifada engendra la rupture du processus de paix,

2. Laquelle engendra le raidissement des négociateurs israéliens,

3. Qui engendra l’échec à Taba,

4. Qui plaça Barak dans une situation intenable en le privant de son principal atout électoral,

5. Lequel, en effet, ne pesa pas lourd lors du scrutin qui porta Sharon au pouvoir,

6. Ce qui, du coup, remit le fléau de la balance vers la droite et le discours sécuritaire,

7. Qui engendra une politique axée sur la brutalité et sur la répression,

8. Qui entraîna une réplique meurtrière sous la forme d’attentats suicide frappant indistinctement la population, si possible en grand nombre,

9. Qui amenèrent Israël à réoccuper les territoires sous contrôle de l’Autorité Palestinienne et à encercler Arafat dans les bureaux de la Présidence,

10. D’où le raïs, à la lueur d’une bougie, en appela à l’opinion mondiale,

11. Qui s’indigna de cette humiliation,

12. Et que le gouvernement de Jérusalem accusa à son tour de partialité et de soutenir une faction voulant la disparition de l’État hébreu,

13. En multipliant les actes d’aveuglement et de barbarie,

14. Alors que, pour les Palestiniens, il s’agissait d’actes motivés par un profond désespoir et l’absence complète de perspectives,

15. Qui, de toute façon, seraient encore plus repoussées par les destructions méthodiques de leurs infrastructures par l’armée israélienne,

16. Dont on se demande ce qu’elle voulait bien cibler, comme elle l’affirmait, tant les populations civiles furent confondues avec les personnes qu’elle recherchait,

17. À quoi les porte-parole du gouvernement Sharon répliquaient que les civils abritant, sous la contrainte ou non, des terroristes que, malgré les sommations, ils refusaient de livrer, ils s’exposaient donc à être traités comme eux,

18. Et ainsi de suite pour les siècles des siècles,

19. Ou du moins pour la génération à venir.

*

Les pourparlers reprirent au milieu exactement du viaduc reliant désormais la bande de Gaza à la Cisjordanie. On y aménagea des locaux provisoires, pouvant à tout moment être démontés. Il n’était encore question que de rendre les contrôles aux checkpoints moins sévères. La question territoriale, celle des implantations et des colonies et celle du retrait jusqu’aux frontières d’avant la guerre des six jours, serait discutée plus tard et seulement si des progrès notables sur quelques aspects ponctuels retenaient les négociateurs autour de la table. Les accès au viaduc étaient évidemment hermétiquement bouclés ; mais ceux d’en bas, perdus dans le grouillement qui était leur lot quotidien, ne pouvaient s’empêcher de regarder en l’air, scrutant un signe ou un augure favorables qui viendrait à fendre cette coulée de béton qui enjambait leurs espoirs et leurs frustrations. Des tireurs d’élite de Tsahal seraient postés tout le long de ce ruban écrasé de chaleur et surveillaient cette multitude, où la tension était palpable. Il n’y eut cependant qu’une alerte, quand on découvrit un engin explosif dans un véhicule garé non loin d’un pilier de l’édifice. Mais, comme pour donner une chance aux négociations, l’engin n’explosa pas, sans que les artificiers y fussent pour grand-chose. Les appels du Hamas et du Jihad Islamique à torpiller les discussions parvenaient naturellement aux oreilles des candidats au martyre, qui n’étaient de toute façon pas disposés à écouter autre chose ; mais ils ne purent jamais s’approcher de leurs objectifs, se faisant sauter sans pouvoir provoquer les carnages escomptés ou y renonçant la mort dans l’âme. Il leur serait toujours loisible d’opérer si d’aventure un accord entre parties intervenait.

C’est pourquoi les négociations durèrent longtemps, alors même qu’on savait qu’elles pouvaient n’aboutir qu’à un répit de quelques jours, voire de quelques heures avant la prochaine manifestation des extrémistes. Sous l’égide des Nations Unies et avec l’intercession de plusieurs églises (catholique, orthodoxe, anglicane, arménienne), du Vatican, de l’Union européenne, de la Russie et des États-Unis, on annonça finalement que les checkpoints seraient tous reculés de cinquante à quatre-vingts mètres selon les endroits ; que l’une ou l’autre rue serait démurée ; que l’accès à l’Université de Bir-Zeit serait désormais allégé dans la mesure où, si le double système de bus et de taxis était maintenu, le passage à pied obligatoire d’un mode de transport à l’autre serait réduit. En contrepartie, les gardes sur les routes menant aux colonies seraient renforcées et la circulation des colons eux-mêmes serait rendue plus fluide par l’élargissement de certaines routes qu’ils empruntaient, étant entendu que la priorité de leur passage était naturellement maintenue où qu’ils allaient.

À Rome, la congrégation de San’Egidio, qui avait déjà réuni des représentants des principaux groupes impliqués dans la guerre civile en Algérie, accueillait au même moment d’autres membres des délégations, pour des pourparlers plus discrets. À vrai dire, les observateurs supputaient que les négociations vraiment sérieuses se déroulaient là. On ne fit rien pour les détromper ; la presse était tenue à l’écart et les participants, peu diserts et comme liés par le secret de la confession, passaient comme des ombres devant les caméras du monde entier. Après quelques semaines, on apprit cependant, par des indiscrétions calibrées (et on y vit un signe de crispation de part et d’autre, puisqu’il avait été convenu tacitement que les négociateurs s’abstiendraient de recourir aux effets d’annonce), qu’il était impossible d’aboutir à un compromis sur les points à discuter et même sur l’ordre dans lequel ces points seraient évoqués, chacun voulant imposer ses priorités. Sans que les religieux italiens se soient donné une obligation de résultat, ils résolurent cependant de laisser se poursuivre ces querelles byzantines, de peur que les parties en viennent à la rupture des discussions. Mais elles se contentèrent de rompre quelques lances sur un système de tunnels entre les divers secteurs de la Vieille Ville de Jérusalem et des moyens à y affecter pour que les belligérants ne puissent s’y rencontrer et ne puissent reporter par surcroît leurs affrontements dans les souterrains. Les parties, après avoir écouté divers experts, conclurent de concert à l’impossibilité de procéder ensemble à ce partage du sous-sol (les Israéliens redoutant des attaques au gaz dans les tunnels qui leur étaient réservés et les Palestiniens craignant que les soldats de

Tsahal fassent disparaître plus aisément les traces de leurs opérations). Mais cet accord était d’autant moins un progrès qu’il impliquait d’en revenir aux négociations sur la terre ferme ; et, sur ce terrain, personne n’était disposé à la moindre concession. Les discussions piétinèrent et, finalement, les négociateurs se séparèrent en s’accusant les uns les autres d’avoir manqué à tous leurs engagements. « Eh bien, la guerre », semblaient dire leurs regards quand la presse tenta de leur arracher quelques confidences avant leur départ. Mais ils ne pouvaient le proclamer aussi ouvertement, du moins aux heures de grande écoute.

Acheva le Seigneur :

20. Et Dieu conclut avec amertume que, sur cette terre qui avait engendré tant de miracles, il n’y en avait plus eu depuis longtemps et qu’il n’y en aurait plus un seul pendant longtemps,

21. Et que, s’il s’en produisait un, il serait aussitôt effacé par l’immense ressentiment des parties en présence,

22. Et pourtant, en dépit de sa colère et du fait que cette colère était impuissante,

23. Bien que sachant qu’il ne parviendrait à faire entendre par aucun de ceux qui l’invoquaient à tout instant qu’il n’était pas un Dieu de guerre,

24. Et bien qu’il ne fût même plus convaincu que, dans sa grande sagesse et pour régler ce conflit séculaire, il avait encore l’éternité devant lui,

Et bien qu’il se sentît inutile, et dépourvu d’espoir, il ne se détournerait pas de cette terre.

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