Bruxelles au loin

Gaston Compère,

Enfance aux mots dorés dans la lumière bleue

Nande Marie-Ghislain, Alpha, p. 48

 

Dix vingt quatre-vingt-sept Bruxelles en moi qui bougent

en gelée condruzienne ou tonnent et ruissellent

en pluie d’or comme entre les fuseaux

d’une Danaé brabançonnne

 

Bruxelles le plus ancien comme une orange rouge

 

C’était au temps de la campagne obscure

celle qu’on dit profonde

des feuillages illuminés des mousses blondes rondes

de l’azur aimé des chenilles et des aragnes

C’était au temps des lunes rousses

des lunes bleues et des orange amer

le temps des matins clairs qui galopaient hip hep hup houp

avec en croupe hop ma mère et son homme

Jules Ferry en personne

– oh du ciel la clarté de la terre le sel ! –

dont le frère major dans l’armée belge

la seule armée « l’armée des héros d’aujourd’hui »

se marrait rue du Trône à Brusselge

pas bien loin de l’Académie

 

Ce bon vieux major était un oncle très malin

il s’appelait Henri comme le roi Albert

l’Albert de ce temps-là

l’héroïque l’auréolé

qui montait un poulain

lors des défilés militaires

dans le soleil tuant ou dans les giboulées

Le grand Albert

 

Or ce vingt-deux juillet Le journal de midi

Et le défilé de la veille

« Oh regardez-moi ça ! la loupe ! la loupe ! »

Houp houp houp

Sur la même photo le roi et l’oncle Henri

le solaire et l’ensoleillé

C’était Brussel

 

July Ferrul lisait La Nation Belge

journal aimable et fade qui le foutait en rage

quand de l’archevêque il flattait l’organe malinois

Aïe aïe aïe mon père multiplié

les trois mélangés pêle-mêle

des pieds partout des mains et les cris symphoniques

« Ça c’est Brussel ! ça c’est Brussel ! »

Panique

« Calme-toi Jean disait sa femme calme-toi »

Il repartait « foutu bordel » et caeterage

Et c’est pourquoi après l’épouvantable rixe

(ma pauvre mère !) cette fois-là

pédagogue il me fit écrire

Brussel avec un esse Brussel avec un ixe

Dites là qui était baba ?

 

Ixelles rue du Trône

Oh la jolie carte postale

(Elle était chamois comme l’uniforme héroïque

de l’oncle Henrique en forme)

Une croix sur un toit le héros dormait là

 

« Je veux vous faire découvrir

le palais où travaillent ? » Et moi enfant de la Belgique

d’enchaîner mine de rien

« les héros de la culture démocratique

— Très bien »

 

Le train crachait ses escarbilles

dans le trou d’or d’un soleil impatient

Le train faisait tchouf tchouf « Eh là vous le train c’est ?

— C’est le progrès démocratique — Calme-toi Jean

disait sa femme calme-toi – Bruxelles étouffera

les cris de rage de la réaction – Calme-toi » Ciney

aimait Namur Namur Gembloux Gembloux Bruxelles

Le soleil se fracassait sur le Quartier Léopold

« C’est le progrès universel le progrès

On renversera les idoles avec leurs catéchistes

Tu seras un homme mon fils »

 

Le tram allait brinquebalant sans escarbilles

Bruxelles était un vrai raffut de pierres sales

Les relents lents de la capitale talquée de gris

étourdissaient le gamin ébloui

qui la veille jouait aux billes

On descendait aux écuries

On admirait l’Académie

lieu des athlètes du cassis

Ah que l’on aimait l’oncle Henri

 

Bruxelles astre doré ballon

vermeil coloquinte de feu

déjà et mieux encore

Oh Bruxelles sonore grande Oreille

et moi fœtus du labyrinthe.

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