La tête d’Issa en tout petit carré, comme une photo d’identité mais ce n’en était pas une, elle souriait un peu crânement, ses cheveux de rouquine coiffés à la diable, avec dans le regard un petit bâton d’allumette qui s’adresse au photographe, la tête d’Issa donc en couleurs dans le journal était surmontée de son nom dans le titre. Il n’avait plus le temps, il verrait plus tard, laissa négligemment sa tasse de thé qui ne broncha pas dans l’évier, et fila au bureau. Sur l’écran de son portable les courriels habituels, rien d’essentiel, il expédia des réponses durant une heure, puis se reporta sur la version en ligne du journal. Évidemment rien, c’était couru d’avance, pas de photo d’Issa, et apparemment pas d’article non plus, il était encore trop tôt sans doute, ou c’était la première version, ou bien le rédacteur n’avait pas jugé le sujet suffisamment porteur, enfin les excuses habituelles, quoi. C’était ainsi. Dans la salle de réunion traînait un exemplaire du quotidien à peine déplié, il l’emporta. Le matin il n’avait pas vu de quoi il était question, c’était dans les pages arts, et ce n’était pas la première fois qu’il y était question d’Issa, après tout elle avait suffisamment travaillé pour ça, donc il n’avait même pas vu en lisant le titre qu’il s’agissait de la mort d’Issa. Lire la suite


À Daniele Del Giudice et à S. et R.

Contre la promesse de quelques heures d’un sommeil profond, il avait accepté un emploi de chasseur d’images heureuses. Au milieu de la nuit, avant que le merle moqueur ne commence à siffler, il prenait un filet à papillons, et se mettait en route, à demi somnolent. Les images heureuses le narguaient de loin, puis de plus en plus près. Avec de grands mouvements des bras, il finissait bien par en capturer deux, parfois trois. Mais la tâche était plus risquée que ce qu’il avait imaginé. Furieuses d’être empêtrées dans le filet, les images heureuses sortaient leurs angles droits du papier-carton. Elles s’élançaient contre lui d’un coup de ligne tranchante comme un sabre. Même les plus anciennes à bords dentelés le mordaient. Tant et si bien qu’il se retrouvait en nage, suffoquant, battant des bras dans tous les sens, le ventre ouvert par de grandes entailles. Épuisé, son butin accroché à la peau, il échangeait deux images heureuses pour une heure de mauvais sommeil. Lire la suite