Les étiquettes commodes ne sont pas toujours mensongères : le dix-huitième siècle de Voltaire, le dix-neuvième siècle de Victor Hugo ?

À côté du premier, on citera à un titre égal, voire supérieur, sous certains aspects : Diderot, d’Alembert, Montesquieu ; et à côté du second, Lamartine sans doute, Vigny et Musset pour compléter le quatuor traditionnel du romantisme français. Mais qui ne déclarerait pas sans exagération que le dix-neuvième siècle est le siècle de Musset ? La célébrité n’est pas ici en cause, c’est plutôt l’envergure qui s’impose au jugement et celle-ci relève d’une pluralité de facteurs difficiles à démêler et dont certains, paradoxalement, sont voués à l’obscurité. La sûreté du style de Hugo, soit. Mais celle, non moins remarquable, du style de Nerval ? La maîtrise du vers, certes, mais est-elle moindre dans Jocelyn que dans les Feuilles d’Automnel J’en arrive à supposer chez Hugo un élément particulier d’aisance de l’expression que plus d’un qualifierait volontiers de facilité. Hugo se lit avec facilité, il entraîne son lecteur, il l’emporte, mieux, il le contraint par la justesse du mot plus souvent, reconnaissons-le, que par la justesse de l’idée. À quoi faut-il attribuer cet étonnant pouvoir et celui-ci est-il payé par un sacrifice trop grand à l’ordre des concepts ? La réponse ne saurait être univoque. Elle exigerait un examen des genres pratiqués par l’écrivain, elle oblige également à envisager le contexte socio-politique de l’époque et à jeter un regard au-delà des frontières de la France, si centrale que soit cette dernière dans la vision de Hugo. Lire la suite


κτημα εις αει : un acquit éternel. Cette parole qui figure dans la Guerre du Péloponnèse de Thucydide définit le paradoxe de l’historien, le souhait de celui qui, acharné à récupérer le temps disparu dans les moindres détails, fait le vœu d’en arrêter le cours et, par l’effet d’une obsession qui pourrait être le désir d’objectivité, entend annuler le temps pour mieux comprendre son décours. Indépendamment de l’importance fondatrice pour l’Histoire de cette œuvre célèbre qui raconte avec cruauté la lente dégénérescence d’Athènes et son effondrement terminal, elle nous apprend que l’acte d’écrire la réalité n’est rien d’autre que la tentative d’annuler le temps. Une telle destruction du fugace, si elle soulève un problème de cohérence dans la définition de l’œuvre de l’historien (lequel ne peut négliger la moindre parcelle de la réalité qu’il tente de ressusciter s’il se veut fidèle à sa mission), fonde au contraire l’œuvre du poète et sa nécessité. Lire la suite