« Jacques, on vieillit autour de toi. Que dirais-tu de vieillir autour de nous ? Tu as encore tant à nous apprendre. »

Ma mémoire fuit. « L’âge… » est-il écrit dans le visage de ceux à qui j’en parle, n’osant avancer ce qu’ils enterrent sous d’innombrables théories (mon cerveau serait un disque dur d’ordinateur en cours de délestage sélectif). J’ajoute que je ne dors pas. Ça les rassure, ils établissent le lien entre mon insomnie et mon amnésie. On se quitte en se serrant la main, en se faisant la bise. Pendant ce temps-là, je ne dors pas. Et je vieillis. Lire la suite


Sitôt l’auto démarrée, il a déclaré que le français, il s’en foutait, car « le plus important, pour moi, c’est de nourrir ma famille. » Le ton de la voix et le regard qu’il m’a lancé, mélange de mépris et de pitié, indiquaient qu’il plaçait à hauteur de vertu sa principale préoccupation – jusque-là j’avais cru qu’il s’agissait de son auto. De sa manière de détacher « pour moi » se dégageaient quelques sous-couches : « t’es trop jeune pour comprendre les soucis d’un chef de famille » ; « le sort du français est une niaiserie à côté des vraies responsabilités de la vie ; ceux qui pensent autrement sont des sans-cœur » ; « à force de se faire casser les oreilles avec vos revendications, les compagnies finiront par se tanner et sacrer leur camp – on sera bien avancés : c’est-tu votre gang de chialeux qui va me donner de l’ouvrage ? », ce qui visait probablement mon père par ricochet, dont on ne pouvait pas ne pas connaître les convictions politiques. Lire la suite