L’hélice de l’Argonaute foulait les vagues avec une régularité mathématique. Le sous-marin nucléaire émergeait quelquefois en taisant jaillir l’eau phosphorescente à hauteur de mât. Puis il plongea profondément dans la fosse des Mariannes. L’hélice, comme une queue de cétacé, battit les flots avec lenteur.

On ne devait jamais revoir l’Argonaute, qui emmenait à son bord, outre soixante-quinze hommes d’équipage, le poète et journaliste Stanislas Cerfvol, chargé de la rédaction d’un article sur le huis clos de la vie du bord. Quand il entendit résonner la sirène de plongée, Cerfvol, dans sa cabine, serra plus fort son livre de poèmes. Il y en avait un, de Tennyson, qui commençait ainsi : Sous les tonnerres de la surface, dans les profondeurs de la mer abyssale, le Kraken dort d’un sommeil antique, inviolé, sans rêves. De pâles reflets dansent autour de sa forme obscure. Le jeune homme frissonna. Lire la suite


Tous les enfants le savent : quand on ignore les mots, quand on ne connaît pas encore, dans sa chair, les sensations décrites, quand ni l’intelligence ni le bon sens ne peuvent vous raisonner, alors on peut être, à vie, marqué par un livre, même anodin. La lecture est, on l’a vécu trop bien, une rencontre à laquelle personne ne prépare, un danger que personne ne peut écarter. L’incompréhension est nécessaire à la lecture, elle est un pacte à signer. Lire, c’est être dupe.

Pour faire tomber à genoux, un livre n’a pas besoin d’être Bible. Colette raconte qu’elle a ouvert, à la scène de l’accouchement, le Zola interdit, qu’elle avait dix ans et qu’elle s’est évanouie : « Le gazon me reçut, étendue et molle comme un de ces petits lièvres que les braconniers apportaient, frais tués, dans la cuisine. » Lire la suite