Certaine fille à marier,
Le jour du Bal des Débutantes,
— Doux Jésus ! — avait sur le nez
— Ô fatalité accablante !
Cataclysme ! Calamité !
Ô malédiction outrageante ! —
Un bouton rouge, violacé.
*
Dépitée, cette bourgeonnante,
Pressée de s’en débarrasser,
Pinça, toutes affaires cessantes,
L’objet de sa contrariété,
Si bien que notre Débutante,
À l’approche de la soirée,
Devant la glace, chancelante,
Se vit trois boutons sur le nez.
*
Ces excroissances révoltantes,
Plutôt que de décourager
Les ardeurs de la Débutante,
Les portèrent à se déchaîner.
Prise de passion triturante,
Œuvrant de deux doigts effrénés,
Un peu plus tard, la Débutante
Avait dix boutons sur le nez.
*
Sa mère vint, fort mécontente
De la trouver défigurée
Avant le Bal des Débutantes
Et son courroux a éclaté.
« Ma fille, vous êtes repoussante !
Jamais vous ne pourrez trouver,
Ce soir, au Bal des Débutantes,
L’ombre du moindre cavalier !
Sachez pourtant, jeune inconsciente,
Que jamais je ne souffrirai
Qu’à ce Bal, vous soyez absente.
Vous danserez, vous brillerez
Et vous serez éblouissante !
Allons ! Il faut s’y employer !
Je vous veux reine des Débutantes ! »
*
La mère de la fille à marier
L’enduisit de pommades collantes,
Plusieurs couches additionnées
De baumes aux vertus calmantes,
Vaselines, crèmes de beauté,
Et sous cette pâte abondante
Camoufla les boutons du nez.
Puis cette mère, qui était prudente,
Par mesure de sûreté,
Sur l’éminence turgescente
Appliqua un joli faux nez
Retroussé de façon charmante,
En cuir de veau de qualité,
Et emballa sa descendante
Dans un gracieux tulle brodé.
Plusieurs tours du tissu léger
Aux facultés encoconnantes
Purent dignement enfermer
Le chef de notre Débutante,
L’emmailloter, l’enturbanner.
« Vous serez la plus envoûtante,
Vous serez la plus recherchée,
Promit sa mère, jubilante,
En la coiffant avec fierté
D’un chapeau de plumes amarante.
Les hommes seront à vos pieds ! »
Et, ce soir-là, la Débutante,
Sous son chapeau empanaché
Et sous ses voilettes troublantes,
Dessous les lustres éclairés,
Ses dix boutons rouges en attente,
Valsa avec félicité.
*
Blondins qui, ce soir, danserez
Et qui êtes d’humeur galante,
N’invitez pas les Débutantes
Sans voir ce que cache leur nez.