Estoilete, je te voi,
que la lune trait a soi ;[1]
*
Ces jours qui te semblent vides
Et perdus pour l’univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts.[2]
*
Jamais immobile. Différente la veille. Autre le lendemain. Progression qu’à peine on perçoit. De l’aigu d’une échancrure à la perfection du cercle. Puis l’érosion, le noir, la renaissance. Croissant d’or dans les cheveux de la déesse. Chaste regard sur l’éphèbe endormi. Maîtresse des marées. Un royaume pour les rêveurs. Elle coule sa blancheur entre les arbres. Plaint le hurlement des loups. Un jour porte son nom. La nuit est son domaine.
*
Lune, ô dilettante Lune,
À tous les climats commune,
Tu vis hier le Missouri,
Et les remparts de Paris,
Les fjords bleus de la Norvège,
Les pôles, les mers, que sais-je ?[3]
*
Le premier mois de la belle saison. Une planète rouge. Un dieu portant casque et cuirasse. Épopées, chansons de geste, récits glorieux exaltent les combats où des héros s’affrontent : leur éclat traversera les temps. Glaives, cnémides et boucliers d’argent. Heaumes, lances, hauberts, destriers, gonfanons. Les fifres, les tambours. Les mousquets, les canons. La mort vaut moins que le renom. Plutôt que le sang des colombes, saluer l’offrande au printemps. Et s’amuser de la joute où l’emporte, avant Carême, Carnaval.
*
Il chantait lui sous les balles
Des mots sanglant est levé
D’une seconde rafale
Il a fallu l’achever[4]
*
Prince des voleurs, protecteur des marchands, il court, il court, le vif-argent. Il a des ailes, il est partout, s’empresse, s’entremet, guide les morts, garde les portes, sauve l’enfant d’un dieu, écoute, conseille, intervient. Il s’amuse. Il voit tout. Efficace, effronté. Un double serpent l’accompagne. L’écaille abandonnée se fait musique entre ses doigts. Les voyageurs l’invoquent. Sous son regard, les routes se prolongent, les océans et les airs s’apprivoisent. L’espace ouvert et libre lui revient.
*
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.[5]
*
Son nom est lumière. Il règne. Il est le père. Le très grand. Maître des éléments : à lui la foudre violente, la douce pluie fécondant les semailles. Garant de l’ordre. Souverain juge des conflits. La cité le révère. Seul le destin peut le soumettre. De l’échanson divin à l’ourse qui fut nymphe, le ciel nocturne raconte sa légende. La majesté du dieu, les amours triomphantes, l’art des métamorphoses. Le jour qui est le sien n’évoque pas sa gloire. Mais se souvient qu’il abrita les jeux des enfants d’autrefois.
*
Jupiter, voyant nos fautes.
Dit un jour du haut des airs :
« Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l’univers
Habités par cette race
Qui m’importune et me lasse.
Va-t’en, Mercure, aux enfers :
Amène-moi la Furie
La plus cruelle des trois.
Race que j’ai trop chérie.
Tu périras cette fois. »[6]
*
Née de l’écume marine et de la semence d’un dieu. Belle. Incomparablement. Puissante. Elle détient le charme qui soumet. Ambiguë. Étreintes flamboyantes, enchantement ; leurre vénéneux, jeu cruel. Les poètes ont chanté la guerre issue de sa promesse. Brillante. Elle guide le berger. Protectrice de la ville, d’une illustre descendance. Elle aime. Elle est aimée. D’elle naît la vie féconde. L’espace ni le temps n’importent. Jour sévère pour certains. Le serviteur d’un marin solitaire porta ce nom.
*
L’amour comme le phénix
Renaît toujours de ses cendres.
Aimons-nous et soyons tendres.[7]
[…]
Et notre cœur amoureux
Flambe clair dans la nuit pâle
Comme flammes de Bengale.
Le temps de joie et d’amour
Est de retour : [8]
*
Jour sacré pour le peuple élu. Piété, gestes rituels. Soir de fièvre en tourbillon urbain. Rythme, danse, musique, lumières et paillettes. Il eut jadis le nom d’une planète. Ailleurs on le sait encore. Père et dévoreur, le temps détruit ce qu’il génère. Signe funeste. Bile noire, mélancolie. Le règne du froid. Mais la graine qui dort est grosse des moissons. L’heure viendra des vignes alourdies. D’un âge étincelant par ses milliers d’anneaux. Et la fête où l’esclave est l’égal de son maître.
*
Il est morne, il est taciturne.
Il préside aux choses du temps,
Il porte un joli nom, Saturne,
Mais c’est un dieu fort inquiétant ?[9]
*
Le soleil, le seigneur. Éclatant. Révéré. Des brumes nordiques aux steppes brûlées. Des hauts plateaux à la vallée qu’un fleuve fertilise. Le faisceau pétrifié de ses rayons devient tombeau de roi. Son char est de feu, ses chevaux de lumière. La nuit, sa barque franchit l’océan. Chaleur. Clarté. Indispensable à la vie, à l’esprit. Jour espéré. Attendu. Pour le repos, le plaisir, l’escapade. Jour où tout est fermé. Que hait celui qui crie sa solitude. La semaine s’achève. L’astre s’est enfoncé dans les eaux souterraines. Manquant le rendez-vous de la reine nocturne.
*
Dans ce vague d’un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche. [10]
*
Or a sa joie Aucassins
et Nicholete autresi :
no cantefable prent fin
n’en sai plus dire. » [11]
[1] Aucassin et Nicolette, XXV, chantefable du XIIIe siècle. « Je te vois, petite étoile / que la lune tire avec soi; »
[2] Paul Valéry, Palme (Charmes)
[3] Jules Laforgue, Complainte de la lune en province (Les complaintes)
[4] Louis Aragon, Ballade de celui qui chanta dans les supplices (La diane française)
[5] Charles Baudelaire, L’invitation au voyage (Les fleurs du mal)
[6] Jean de La Fontaine, Jupiter et les tonnerres (Fables, Livre VIII, Fable XX)
[7] Guillaume Apollinaire, Casanova, comédie parodique, acte II
[8] Ibidem
[9] Georges Brassens, Saturne
[10] Paul Verlaine, Sagesse, XIII
[11] Aucassin et Nicolette, XLI. « Maintenant Aucassin est en joie / et Nicolette aussi : / notre chantefable prend fin, / je n’en sais dire plus. »