Christophe Colomb et le trader : comme un vol de gerfauts vers le charnier final

François de Callataÿ,

Et quoi, il les divertat tout simplement ! Il leur contit l’histoire de ce capitaine qui, de Palos, de Moguer, s’en allit sur sa nef, franchat les océans, mouillit dans d’inombrables ports, s’y établa quelquefois, escaladit plusieurs montagnes, besognit, géma sous les haubans, s’accroupa avec ses hommes, grognit avec eux face aux vents contraires et aux mères plates. Enfantit enfin d’un périple qui allait être narré, découvra en outre des espèces nouvelles qui ravèrent les botanistes, au point que plusieurs réclamirent son élection comme associé (et qu’il n’y parvurent finalement pas ne doit pas faire oublier qu’ils s’y efforcirent).

Bien sûr, il menta sans arrêt, mais pas pour les roustir. Au contraire, comme Colomb face au scorbut, pour mieux les ragaillardir, serfouir leurs doutes, rabonnir leurs convictions, que jamais ils ne s’anordissent de ces mers chaudes qui les avaient tant ébaubis, et que toujours ils catissent la peau mégie de leurs corps au contact des épreuves, pour les dénantir en somme de leurs craintes, qu’ils arrêtent de glatir sur leurs malheurs, qu’ils ne surissent pas leurs inquiétudes.

Mais qu’il prisse le temps ou qu’il s’en fichasse éperdument, il ne lui était plus permis de feindre ignorer ceux, quels qu’ils fussent et quoiqu’il les convainquisse, qui avaient ourdi sa perte. Il eût été bien aise qu’ils le trouvassent pardonnable, ce qui eût pu advenir s’ils n’eussent appris le fin mot de sa perfidie. Tel ne fut pas le cas. « Peut-être auriez-vous pu me détourner de mon dessein, si vous m’eussiez instruit plus tôt d’une irritation qu’il était difficile que je soupçonnasse ». Cette bravade à l’amiral acheva de couper le fil dont il n’était que l’hameçon et le renvoya plus vite encore vers les tribunaux.

On le jugea, bien jeune. On requalifia ses actes : « fusions & acquisitions » devinrent « pognon & illusions ». Pourquoi avait-il maintenu le cap de la haute mer ? Pourquoi avait-il jeté l’astrolabe et le sextant par-dessus bord ? Que signifiait cette bave qui filait de sa bouche et que décrivent ceux qui le retrouvèrent ? Il balbutia : « Père, où ? ». On ne comprit pas ; on le fit répéter. Il se retourna mais il était seul. Il dit à voix basse qu’on l’avait drogué tout jeune encore dans des écoles de commerce amorales. On lui avait dit : « Pas vu, pas pris ». Il avait tout appliqué à la lettre, sauf que le voilà pris – petit poisson au bout d’une ligne hiérarchique, qui s’était déjà mise à l’abri alors que les avis officiels de gros temps n’étaient pas encore tombés. Capitaine de corvette, cela le posait naguère encore. Mais aujourd’hui il pue, comme le poisson après trois jours. On lui dit même, sans qu’il le comprisse, que sa trahison causait du chagrin et aussi qu’on le buterait pour la perte du fric.

Que va-t-il faire ? Partir à l’assaut du Léviathan, avec ses petits bras tannés ? Devenir moine dans une cellule avec ou sans gardien ? Embrasser le bouddhisme et lorgner vers la prochaine réincarnation ? Ou trouver que la plaisanterie a assez duré et d’un lacet prêté se pendre au plafond ? Il hésite. Les paris, il connaît. Il a longtemps joué gros et tout sur le quatre, mais avec la complicité du croupier. C’est ici bien plus risqué : c’est qu’il est jeune encore, le trader, et que le choix de Pascal ne lui a pas beaucoup été enseigné. Il faudrait que ses oreilles s’y familiarisent. Comment fait-on quand on est classé néo-con ? Le croupier, c’est lui : tout sur rien : PAN !

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