Et quoi, il les divertat tout simplement ! Il leur contit l’histoire de ce capitaine qui, de Palos, de Moguer, s’en allit sur sa nef, franchat les océans, mouillit dans d’inombrables ports, s’y établa quelquefois, escaladit plusieurs montagnes, besognit, géma sous les haubans, s’accroupa avec ses hommes, grognit avec eux face aux vents contraires et aux mères plates. Enfantit enfin d’un périple qui allait être narré, découvra en outre des espèces nouvelles qui ravèrent les botanistes, au point que plusieurs réclamirent son élection comme associé (et qu’il n’y parvurent finalement pas ne doit pas faire oublier qu’ils s’y efforcirent). Lire la suite


Acte I

À la Bibliothèque royale de Belgique, section des manuscrits

« Quand on est comme moi, cher Monsieur, férue d’héraldique et assise — si je puis m’exprimer de façon aussi cavalière — sur les précieuses copies d’archives familiales d’une province ayant beaucoup à déplorer la disparition des originaux dans les bombardements de 14, vous pensez bien que je les attrape comme des mouches. Depuis le temps que je les observe, ces généalogistes, je me targue de prévoir leurs pathologies. Car naturellement, ils sont tous cinglés. Folie douce, la plupart du temps (pourquoi me frapperaient-ils ?) mais folie réelle et dangereusement dégénérative, avec pas mal de carbonisations neuronales au final. Lire la suite


N’eût-il pas mieux valu qu’il se défiât de cette créature aux reflets vénitiens (oui, lecteur : une blondasse) ? Qu’avait-il à attendre, quand bien même l’eût-il crue, d’une telle amazone en blouse blanche ? Malade, lui ? Il n’en avait cure. Et se plaisait de se savoir bien portant quand bien même s’approchait le croquant. Rebelle aux check (in, out). Esclave ? Jamais ! Ni de ses peurs ni de la Faculté. Ne serait-ce donc l’attrait de cette Barbarella dont le derme aiguisait son appétit, c’est à reculons qu’il pénétra dans le cabinet. « Porte-t-elle un corset ? Quelles en sont les bretelles ? Il faut choisir : le satin ou le grain. Je suis prêt ». Lire la suite


Planter là devant soi les amazones, c’est entreprendre une fois encore le grand voyage, celui des constructions et des perceptions. Soit trois types d’amazones : les originelles, celles de la Grèce antique — Penthésilée et Hippolyte —, celles du xviiie siècle et même du romantisme, façon Lady Montagu et Esther Stanhope (mais on peut aller jusqu’à Mata-Hari) et puis les Modernes, avec Xena la Guerrière et aujourd’hui toutes les bandes de filles déterminées à s’affranchir du mâle, poussées dans le dos par la « on-culture » des magazines féminins qui est conscience de classe, moulage de fesse et sent la fosse. Lire la suite


Ilon Specht a aujourd’hui soixante ans et vit à Ojai, une bourgade au nord de Los Angeles, toute proche de Santa Barbara, qui passe pour un paradis sur Terre depuis que Frank Capra y tourna Lost Horizon en 1937, et où elle tient Hacienda Antiques, une boutique qui fait dans le vintage colonial espagnol et pour laquelle elle a inventé un joli slogan : « Just listen to how quiet it is ». D’elle, pas une photo sur le net qui nous fasse connaître ses traits. Un choix, sans doute, dans cette Californie des harders et de JCVD. Lire la suite


À vingt ans, mon plan était simple : un, trouver la femme de ma vie; deux, vieillir ensemble dans la félicité d’un amour qui, pour ne pas réclamer des ressources pharaoniques, eût été dégagé des soucis matériels; trois, très vieux, déclinant, mais avant d’être une charge ou une misère, se reconvertir en terroriste et s’envoyer ad patres en concrétisant un rêve très cher : dynamiter la banque. Lire la suite


Quand les quatre dieux (qui sont les quatre points cardinaux, qui sont les quatre éléments, mais qui ne sont pas les quatre vertus théologales) se réunirent, non pour créer le monde (il avait été créé sans eux) mais pour le rafistoler – c’était il y a environ cent millions d’années –, ils s’assirent et pensèrent à l’histoire et à la justice, comme le font les dieux quand ils s’accroupissent sur nos misères.

Parmi les quelques résolutions prises alors, il en est une – capitale – dont nous vivons actuellement les convulsions annoncées. Il fut décidé, dans un esprit de grande équité, d’accorder à chacune des principales parties du monde la suprématie sur les autres, pour un temps imparti par eux. Je m’explique : la pange, cette masse initiale et compacte de terres émergées, avait vécu. Les dieux, dont la prescience est grande, firent le pari de quatre continents, ce qui les arrangeait bien puisqu’ils étaient quatre. Ils tablèrent aussi sur une évolution exponentielle du progrès technique qui ferait s’accélérer le cours de l’histoire commune. À partir de là, ils mirent au point la règle suivante : la suprématie sur les autres parties du monde serait d’abord infiniment longue, puis de plus en plus courte pour les deux suivantes, et enfin sans fin pour le dernier des quatre, en réalité le plus malin. On pouvait, au choix, décider de régner vite et pour très longtemps ou alors attendre en embuscade d’être le dernier à entrer en lice. Il convenait en revanche d’éviter de régner en second, et plus encore en troisième position, ce qui revenait à obtenir la période de temps la plus brève. Jeu subtil, en vérité, impliquant la patience et l’impatience mais aussi la foi dans l’avenir, car les dieux n’exclurent à aucun moment que la terre soit détruite prématurément. Lire la suite


Mon cher Jacques,

Vous nous invitez, nous autres auteurs marginaux, à dresser sur fond de frivolité estivale le portrait d’une joueuse de tennis. Une « vas-y-que-je-te-lobes », une « tape-balle », une « han-han-le-long-de-ses-lignes », une « raquette-à-deux-mains-parce-que-c’est-joli » ou « à-une-main-parce-que-mon-dieu-c’est-encore-plus-beau », je ne sais plus. Et tout cela avec vos airs charmeurs, votre ton benoît, l’espèce d’embarras feint dont vous vous êtes fait une spécialité et qui n’invite à rien d’autre que de contempler le plissement de vos ridules encadrant la contraction de vos pupilles. Et, au-delà de cette malice, l’intense satisfaction du diablotin que vous êtes un peu moins que vous ne rêvez de l’être. Lire la suite


Longtemps, je me suis défini comme chercheur. « Et vous cherchez quoi ?« , me demandait-on. « Je fais des recherches en histoire ancienne, grecque plus précisément« . Une façon très sûre de ne pas être embêté. Je dois pouvoir encore citer la liste des personnes qui se sont trouvé le coeur de me questionner plus avant. Aujourd’hui, j’ai des titres et je les jette en pâture quelquefois. J’utilise « Sorbonne » souvent et ce n’est pas bien, mais « académicien » est plus tangent encore. « Conservateur », de façon ludique, tant semble répandue l’image du vieil homme à lunettes, blanchi et chenu, un peut triste encore que foldingue. Je me donne, pour rire, du « responsable », moi qui contemple avec bonheur ceux qui ont tant voulu le devenir. Et j’attends comme un frisson sénile le jour où je ne rirai plus. « Directeur » et « chef » (ah, bon ?) me sont cause de gratouillis asociaux, ce qui est pécher gravement (j’y suis très sensible), sans fruit au surplus. « Docteur » appelle le complément d’information. Vous pouvez être docteur en médecine, usurper votre titre de docteur en droit ou être italien, et dès lors né avec. « Docteur à thèse », dit-on aujourd’hui, par souci de précision (« Docteur ès lettres » était déjà présenté comme vieilli il y a trente ans). Lire la suite


J’extrais d’un curieux dossier, sur lequel je compte revenir, le document suivant. Il s’agit d’un poème et de son commentaire relatifs au boustrophédonisme ou, à ce que certains préfèrent appeler Les Amis de la Boustrophède. Je rappelle d’un trait que Les Amis de la Boustrophede, dont l’appellation actuelle rend mal l’extrême ancienneté, forment ce que l’on désigne, au choix, comme une secte ou un cercle d’initiés. Je publierai, ici ou ailleurs, d’autres pièces importantes tombées entre mes mains. Centrale est l’idée que, à chaque situation, il existe deux réponses possibles d’ailleurs opposées. Ce qui n’est pas admis, c’est le médian, le tiède, le mou, le consensuel – jugé faux par nature.

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