L’oreille gauche

María Dulce Kugler,

Traduit de l’espagnol par Vanessa Bigonzi

Zé Mourinho da Silva, sept ans, se réveilla avec un bourdonnement dans l’oreille. Il avait rêvé une fois de plus de l’eau, de cette eau verte et immense qui venait de partout et prenait ensuite possession de la savane, laissant à son passage de la fraîcheur, des plantes, et de la joie. Il sentait encore dans la bouche sa soif étanchée et sur la peau une sensation rafraîchissante qui le libérait, comme à chaque fois qu’il faisait ce rêve. Le bourdonnement était par contre quelque chose de nouveau, comme si l’eau était entrée dans ses oreilles alors qu’il nageait dans la plaine aqueuse.

Il se redressa. Autour de lui se trouvait la même terre dénudée, douce et légère, sur laquelle il avait l’habitude de dormir seul, près du lit desséché du grand fleuve par lequel s’écoulait à peine, de jour en jour, un filet boueux de couleur grisâtre que les gens buvaient faute de mieux. Les gens : les rares habitants qui réussissaient à survivre en déracinant de ce sol dépeuplé et aride le peu qui lui restait, une mauvaise herbe, quelques graines, un biscuit d’argile. Sans doute sa mère et ses frères se trouvaient, en ce moment même, quelque part, en train de rechercher quelque chose à se mettre sous la dent.

D’aucuns disaient que dans ce lieu même, des centaines d’années auparavant, ou peut-être moins que ça, se trouvait une énorme forêt alimentée par de nombreux fleuves et ruisseaux ; mais, en voyant cette poussière rougeâtre et légère qui pénétrait partout y compris dans les narines et les oreilles, et n’apercevant pas la moindre tache verte, pas la moindre ombre – à l’exception de quelques troncs râpés et des tissus dont les habitants se couvraient – Zé avait du mal à le croire.

Il allait devoir se lever s’il voulait chercher quelque chose pour le petit-déjeuner. Après avoir fait des nombreux efforts à l’aide de ses frêles membres, il parvint à se mettre debout. Son oreille gauche continuait à bourdonner. Un oiseau s’était-il peut-être niché à l’intérieur ?

Il fit deux pas en direction des roches rouges, sous lesquelles il trouvait d’habitude des insectes. Le soleil du matin projetait des ombres vers l’ouest. Souvent, faute de miroir, ou même d’une flaque d’eau, Zé se regardait dans la silhouette obscure qui s’étendait devant lui sur le sol. D’où il se tenait, il voyait un tronc maigre couronné d’un crin raidi par la crasse.

Il avait l’habitude de voir cette espèce de crinière qui se déployait dans tous les sens. Il se reconnaissait en elle. Mais aujourd’hui il y avait quelque chose de différent dans son ombre, quelque chose de nouveau qui ne s’y trouvait pas auparavant… Qu’était-ce ? Il leva la main jusqu’à la chose qui partait de son oreille gauche en vibrant comme un bourdon.

Il sentit une protubérance grasse qui sortait de l’orifice et, à sa grande surprise, alors qu’il la tenait entre les doigts, la chose commença à grossir. Au fur et à mesure qu’elle prenait de l’ampleur tout en se ramifiant, le bourdonnement se fit de plus en plus grave et devint un O profond qui se logea dans son sein avec une détermination toute maternelle. Entre-temps, la chose avait atteint la hauteur de son bras et Zé vit de ses propres yeux qu’elle était verte.

Une plante ! Zé ne fut pas surpris qu’avec la quantité d’eau présente dans ses rêves, une graine errante parvint à germer en lui. Il considéra avec curiosité la belle plante tropicale qui, née de son oreille, poussait des branches, des feuilles, des fleurs et même des fruits ! Zé tendit la main droite jusqu’à la plus haute branche, en prit un et le mangea.

Ensuite, il appela ses frères et d’un commun accord, ils s’assirent en rond et déjeunèrent.

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