Citadelle, et autres poèmes

Véronique Bergen,

Citadelle

Elle, aventureuse dans l’émoi,

sarclant les plaines de son regard.

Toute de marbre parée, arrogante de solitude,

plongeait sa silhouette meurtrière dans le creux des cieux,

Assassine aux mains adeptes du poétique,

tournoyant ses ancestrales rages en des cercles d’airain.

Elle, de ses dépits transmués, ne cessait d’alimenter son fiel.

Cime de toutes les cibles, arbalète de l’intemporel,

Veillant en sa demeure, austère dans l’élément,

capricieuse dans le poème.

Malgré

Malgré ta soif de renoncement,

malgré ton oblation farouche,

Je décochai la lune aux cent noms

et dénudai le visage noir de l’incendiaire.

Malgré ta propension étrange à la disparition,

malgré ta soif d’une dissipation dans le silence,

J’ai guidé la blessure de l’historien

par-delà la ligne absente de la liberté.

Malgré le miroir des jours creux,

malgré le dessin de tes joues en feu,

J’ai apostrophé la muse des rencontres

et élevé une tombe au silence des nuits boréales.

Malgré cette femme à l’enfant-volcan,

malgré l’aveugle danseur des rues.

J’ai creusé d’une rouge incision le rire du roi sans patrie

et éméché les partisans de l’innocence.

Malgré la donation coupable des mots,

malgré la furie de ton existence verticale,

J’ai creusé le vers sans rien y trouver

si ce n’est ton nom effacé

si ce n’est la trace de Bédouins sur le sable

si ce n’est la mélodie du verbe aimer.

L’obsidienne rêve l’obscur

Ils étaient cent, mille et plus que la ronde des nombres,

Effarés par l’oracle d’une froide agonie,

à déchiqueter des portions d’un temps volé ;

Ils étaient cent, mille et l’infini allié

à convertir, triste alchimie,

la chair de Chronos

en l’oripeau traître de l’espace.

Minuit peut-être demain déjà

Et le matin ivre prompt à la vindicte

Minuit peut-être et la culbute en un béant passé

abattue sur les impatients aux larmes essentielles.

L’obsidienne rêve l’obscur

La vestale le sublime courtise

Pour elles seules minuit a la saveur du gouffre

Et dépose à même l’informe la constellation de la nécessité.

Mort d’Ophélie

Minuit, quand à l’aurore de toute béatitude,

divine comédie et suaire d’Ophélie accouplés,

l’aède sacra l’adoubement d’un règne étrange,

constellation d’éther et incarnation marmoréenne.

L’on vit le monde se retourner comme un songe,

surpris par sa propre apparition.

Pathétique vestale de soi,

orfèvre de toutes les hérésies,

maquignon en prise sur la fuite de toute pureté,

le barde échangea ses mots pétrifiés de salves lacrymales

contre un corsage d’enfantins ébats.

Il nous laissa sa rime,

nous lui laissâmes nos vies,

corbeau crépusculaire assis sur la mort de tout élan,

digne prophète de l’absence,

procurateur d’une vie plus haute excavée dans les mots.

Elles qui…

Filles de feu, blasphémant sous la lune,

en un cordon de poudre aux mille artifices,

embrasant le réel

tordu en un point d’interrogation décapité,

Diligentes quant à tout mariage des signes,

artificières d’échauffourées sonores,

de galas cosmiques,

ces harpies d’une parole d’acier

trempée à l’airain de toute ruse

qui, alors que s’éventraient paysages

et se tordaient marées de sable,

s’égaillaient en un réel répudié,

équarri dans ses piliers,

Fiancées de glacier sans âme,

toutes de miroirs parées,

en un piège radicalisant toute capture

qui, portées par la somnolence du marbre,

toujours autres que le jour du trépas,

jamais blanches d’une nostalgique luminescence,

piochaient le cercle rose d’un chemin de croix,

assises, tranquilles, sur leur folie,

alors que se pulvérisaient étoiles et galaxies,

en proie à la séduction d’un radical retrait

alouettes ivres engluées dans le givre des nuits,

pendant que couvait le couvre-feu de tout sens,

elles, droites dans leur chute septentrionale,

éventraient les cheveux du vent,

crinière de larmes et de bave,

les encerclant en un unique visage.

Mode (II)

Fronce satinée à l’image d’une moue boudeuse,

bordant l’échancrure de seins enjoués,

tandis qu’impertinents, talons aiguilles

se tortillent,

aréopage végétal équarrissant tout cadastre,

foulant les tisons refroidis de la morale,

au nom d’aériennes arabesques,

entortillées entre voilure et invisible.

Raglan à l’humeur guerrière,

ravageant l’espace de son audace,

dans l’effleurement de parfums crépusculaires,

frères de toute fin de siècle,

tandis que de badines encolures défiant l’ouvert

parodiaient l’infamie sous le joyau de la nitescence.

Déhanchement des habitudes,

rafale excentrique de sang halluciné,

les roides catogans culbutaient,

insolents, tête et pulsions vers la ligne du simulacre,

commedia dell’arte de tissus égrugeant leurs hôtes,

affûtiaux mordorés, ambassadeurs de l’essentiel.

La féerie de l’instant n’autorise

rien moins que le sacre du rien,

si ce n’est la roue de la Toute séduction.

martelant, telle la fleur des fiançailles,

la terre trop ordonnée de nos ébats.

La brisure baroque des taffetas

réveille vierges félines et loups-garous embaumés,

maintenant que s’assoupit un monde

enfoncé dans le mirage de ses apprêts.

[poèmes extraits du recueil L’obsidienne rêve l’obscur à paraître]

Partager