Coffee met tarte al djote

Nadine Monfils,

Jefke et Ginette vivaient dans une tasse de café à Bruxelles. Lui était né à Molenbeek-Saint-Jean et elle à Gembloux. Ils se sont rencontrés par hasard, comme dans toutes les bonnes histoires d’amour, parce que le service offert en cadeau de mariage provenait de la tante Juliette, une vieille dame tellement avare qu’elle avait acheté ça dans une brocante. Du coup, les tasses venaient de Flandre et les soucoupes de Wallonie. Après y avoir versé du café et bavé quelques miettes de tarte al djote, pour faire plaisir à la matante, ce service hétéroclite fut vite rangé à la cave par le couple de jeunes mariés qui finit par l’oublier. Jusqu’au jour où, sept ans plus tard, madame trouva un texto sur le GSM de monsieur, disant « Chouchou je suis chaude comme une machine à smoutebollen et je t’attends dans le parking de la gare du Midi pour te montrer mon nouveau string à la framboise. » Monsieur eut beau tenter de raconter des bobards, genre c’est une erreur ma bibiche adorée, je ne t’ai jamais trompée, je le jure sur la tête de ma mère ! Il se retrouva avec sa valise sur le palier. Et en prime, il reçut le service à café de sa tante, jeté du troisième étage sur sa tronche. « T’as qu’à l’offrir à ta pouffe » furent les derniers mots de Madame Ex. Le drame est que Jefke et Ginette, les deux cafards qui vivaient tranquillement dans leur tasse depuis des lustres, furent projetés sur le trottoir. L’un à gauche et l’autre à droite. À l’emplacement même où les Flamands avaient tracé une grosse ligne rouge et malheur aux imbéciles qui causaient cette langue de barbare qu’est le français. Complètement dans leur bulle, Jefke et Ginette filaient le parfait amour (qui n’existe que chez les cafards) sans se rendre compte que dehors c’était la pagaille. Ils furent abasourdis quand une armée de doryphores flamands se rua sur Ginette (éjectée du mauvais côté et vice-versa), qui se retrouva en proie à un interrogatoire musclé dans une sorte de tribunal improvisé sur une vidange de saint-émilion. Crimineil zat, le président de cette assemblée interrogea la malheureuse en flamand. Comme elle avait acquis quelques notions grâce à Jefke et savait au moins dire : ik hou va je, le président du tribunal fut clément et lui permit d’aménager avec son Jules qui lui, causait la langue de Vondel, dans une boîte à conserve toute cabossée, à la lisière de la ligne rouge. Big problème : Jefke et sa dulcinée avaient eu le temps pendant toutes ces années de faire des petits cafards qui eux-mêmes copulèrent gaiement entre eux, quoi de plus naturel puisque nous sommes tous issus d’Adam et Ève dont les rejetons se reproduisirent entre eux. Ce qui explique certainement pourquoi les humains sont si djoum djoum. Les petits cafards, trop occupés à s’envoyer en l’air, n’avaient pas eu le temps d’aller à l’école. Et puis, à quoi ça pouvait bien leur servir, dans une vieille cave qui sentait le bébé pourri ? Parce que c’est là que madame enterrait ses fœtus. Aubaine pour la famille Cafard qui avait de quoi se nourrir pendant toute l’année. Fini de chanter fleurette ! L’heure était venue de patauger dans le grand monde, c’est-à-dire dans la merde. Les enfants Cafard furent envoyés à l’école flamande. Tous les matins, ils partaient avec leur petit cartable. Et tous les soirs, ils rentraient en larmes, déjà de par leur nature prédisposés au cafard. Outre le fait qu’ils détestaient l’école, ils ne comprenaient rien à tout ce charabia. N’écoutant que son cœur de mère, Ginette se mit du rouge à lèvres et enfila des bas résille sur ses six pattes pour aller voir le juge. Toujours crimineil zat, celui-ci ne succomba pas à ses charmes car trop imbibé, il ne savait plus bander. Et Ginette rentra bredouille. Quand elle annonça à sa marmaille qu’ils n’avaient pas le choix et devaient continuer à aller à l’école flamande, cent quarante-huit d’entre eux grimpèrent sur le poteau électrique et sautèrent dans le vide. Ils furent tous décapités. Comme il s’avère que les cafards peuvent vivre plusieurs jours sans leur tête et continuer à se reproduire, la police ne fut pas prévenue tout de suite. Idem pour ceux qui optèrent pour la noyade en se jetant dans le canal de Willebroek, puisqu’un cafard peut rester quarante-cinq minutes sans respirer, ayant la possibilité de ralentir les battements de son cœur (1). C’est donc au bout de quelques jours qu’un gros scarabée commissaire vint enquêter et conclut au suicide. Bien sûr les parents furent tenus pour responsables et, malgré les récriminations de Ginette à l’encontre du juge, il ne fut nullement inquiété. Normal, un représentant de la loi est au-dessus de tout soupçon. Restaient les trois cent quarante-neuf autres petits cafards qui firent bloc pour boycotter l’école. Paumés devant une telle révolte, Jekfe et Ginette décidèrent d’aller habiter ailleurs. Le choix fut cornélien ! Ils cherchèrent un endroit où il n’y avait pas de guerre de religion, ni de racisme, ni de pollution et ne trouvèrent aucun lieu qui répondait à ces critères. Fatigués de toutes ces conneries, ils rêvaient d’un pays où tous les êtres vivants s’aiment et se sourient, peace and love, Martine à la ferme… Mais il y a longtemps que les poules sont élevées en batteries et que les vaches sont devenues folles. Quant à Martine à la plage, tout est pollué jusqu’en Louisiane. Que reste-t-il de nos amours ? Ben rien que de la misère emballée sous vide.

— Très bien, conclut Jefke. Puisque c’est comme ça, viens Bolleke, on retourne en Wallonie.

Pas si simple ! Désormais, il fallait des papiers et ils n’en avaient pas.

Ginette rameuta sa troupe et ils franchirent la ligne rouge en stoemelinks, la nuit des macrales, avec tout leur barda.

Oui mais… Une fois de l’autre côté, ils ne virent plus leur point de repère qui était l’Atomium ! Pfouit, parties les boules en alu !

— Comment, vous n’êtes pas au courant ? fit une vieille mite qui revenait du marché aux herbes où elle était allée acheter du shit, ils l’ont déplacé à Antwerpen.

— Awell, c’est pas possible, s’exclama Jefke tout estomaqué.

— Si, assura Madame Mite, d’ailleurs comme on est rattachés à la France, ils vont mettre la tour Eiffel à la place.

— C’est nin vré ! s’écria Ginette qui, comme toute nana, adorait les boules.

— Si fé, m’fille, pleurnicha la mite. Et l’pire c’est qu’en échange, les Français vont transférer notre Manneken-Pis sur la place du Tertre à Montmartre.

Abattus, le moral dans les chaussettes (même s’ils n’en portaient pas), les membres de la famille Cafard se trouvèrent devant une alternative : la passivité ou le combat. Autrement dit : se planquer dans une cave ou entrer en résistance. Mû par sa fibre héroïque, Jefke opta pour cette dernière solution, ordonnant à son épouse de trouver un endroit cossu, genre morgue où les petits auraient de quoi se nourrir jusqu’à la fin de leurs jours. Les adieux furent déchirants et Ginette pria Madonna, la femme de Jésus, pour qu’elle épargne son biquet d’amour.

— N’y va pas ! s’écria une dernière fois sa femme en le regardant s’éloigner. Tu vas te faire écraser comme une blette.

— M’en fous, décréta Jefke. Je préfère mourir en héros plutôt que de vivre en pantoufles.

C’est ainsi qu’au moment de l’enlèvement de Manneken-Pis, il s’agrippa au tichke du gamin en criant : « Banzaï ! » et qu’il fut effectivement écrabouillé, sprotch, laissant une tache laiteuse sur le prépuce du p’tit ketje de Bruxelles.

Même si sa mort n’a servi à rien et que Manneken est allé pisser chez les Parisiens, la morale de cette histoire en tous points vraisemblable est qu’il vaut mieux mourir au bout d’un zizi que de croupir au fond d’une cave.

1 Rigoureusement exact, les cafards et blattes étant les insectes les plus résistants de la planète. Quand les hommes se seront tous entre-tués avec leurs conneries, les cafards, eux, seront toujours là.

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