Colères analogiques

Jean-Baptiste Baronian,

Un de mes livres de chevet est le Dictionnaire analogique de la langue française de Jean-Baptiste Prudence de Boissière, édité à Paris en 1862. Je n’arrête pas d’y puiser des bonheurs – bonheurs des mots, dans les mots, par les mots, autour des mots.

L’entrée colère se trouve entre coing et colique. Elle est, selon l’expression consacrée, une mine de renseignements utiles et de découvertes inattendues. En la lisant avec la plus grande attention, j’ai ainsi appris qu’Achille et Ajax étaient « cités pour leur colère » et que les colériques, les courroucés, les emportés, les enflammés, les impétueux, les outrés ou encore les prompts souffrent tous d’avertin, c’est-à-dire d’un « accès ridicule de colère ». Pourquoi « ridicule » ? Mon cher Jean-Baptiste ne le dit pas.

En revanche, il précise que la bourrasque est un « accès violent et passager », le courroux une « colère durable », le dépit un « chagrin mêlé de colère », la crispation une « colère nerveuse », l’émoi une « émotion qui approche de la colère », l’exaspération une « colère très violente », l’indignation une « colère suscitée par la vue de l’injustice », la saillie une « une parole ou action vive qui échappe dans la colère », le trépignement un « piétinement répété de colère », la sortie une « rude réprimande »… Il note également que la fermentation des esprits est un « mouvement intérieur qui présage une colère prochaine ».

Les verbes de la colère, que Jean-Baptiste Prudence de Boissière aligne les uns derrière les autres sur trois colonnes, sont assez nombreux. En particulier : bondir, cabrer, déborder, épancher, gendarmer, révolutionner, tempêter… De même : crever de dépit, distiller sa rage, échauffer sa bile, sauter aux nues ou encore ulcérer, savoir « causer un grand déplaisir mêlé de colère ou de haine ». Ou des verbes plus imagés tels que monter sur ses grands chevaux, montrer les dents, sortir de ses gonds, casser les vitres, lâcher les cataractes… Et puis il y a toute la série des métaphores comme feu (le feu de la colère), levain (le levain de la colère), mouche (quelle mouche le pique ?), moutarde (la moutarde lui monte au nez)…

Dans son article, mon homonyme (partiel, s’entend, vu que mon deuxième prénom, et je le regrette, n’est pas Prudence) m’a par ailleurs fait connaître quelques termes rares, que j’aimerais utiliser un jour ou l’autre pour épater la galerie. Par exemple la dysthésie, qui est « l’impatience des malades » ou la picrochole, que je placerai à la première occasion et qui est l’état d’un individu abondant en « bile amère » ou « enclin à la colère ». Jean-Baptiste mentionne toutefois que picrochole est, déjà en 1862, un mot inusité ou, à tout le moins, peu usité – raison de plus pour que je l’arrache dare-dare à l’oubli.

Quel type de colérique suis-je ? Un dindon (celui qui a des colères ridicules comme celles d’un dindon) ? Un flamboyant ? Un foudroyant ? Un salpêtre, donc un « homme pétri de salpêtre, vif comme la poudre » ? Ou alors carrément un volcan, un « homme qui se livre à de violentes explosions de colère » ?

Je sais, j’ai le sang chaud, sujet à des avertins fréquents, qui me rendent cramoisi, au point de me « faire renier chrême et baptême » – locution très désuète, mais colériquement [sic] bienvenue sur laquelle je me retire du jeu (de mots).

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