Collection thématique

Roger Foulon,

Depuis son plus jeune âge, Aurélien était un collectionneur passionné. Il amassait les vignettes qu’il trouvait dans les tablettes de chocolat : coureurs cyclistes, footballeurs, animaux. Il en possédait des centaines qu’il s’amusait, des heures durant, à regarder, donc à connaître par cœur. Les boîtes d’allumettes, les capsules de bouteilles et beaucoup d’autres objets avaient également ses faveurs. L’âge venant, et comme il faut bien modérer ses désirs, Aurélien adolescent était surtout devenu un collectionneur de timbres-poste. Son oncle et d’autres parents, employés dans l’import-export, raflaient pour lui des vignettes venant du monde entier. Ses trésors philatéliques furent vite considérables.

Cependant, il comprit peu à peu que s’intéresser aux images émises partout était impossible. Il devait se limiter, d’autant plus qu’il ne roulait pas sur l’or avec son modeste traitement de pion. D’ailleurs, au fil des ans, pour renflouer leurs finances, beaucoup de pays émettaient de plus en plus de séries coûteuses.

Fréquentant les expositions philatéliques, il décida d’imiter ses amis. Il allait se constituer une collection thématique. Mais quel sujet choisir ? Trains, avions, chiens, fleurs, monuments célèbres ? Et, comme il s’intéressait à la géographie, plus spécialement à la géopolitique, il décida de consacrer le meilleur de son temps et de ses économies à l’Europe.

Car, depuis longtemps, il entendait évoquer les problèmes de l’Europe en formation. Il avait lu beaucoup d’ouvrages relatifs à cette question. Il avait ainsi appris que, dès 1946, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, Winston Churchill avait lancé l’idée des États-Unis d’Europe. On avait bientôt créé l’Organisation européenne de coopération économique groupant dix-huit pays. L’effort d’unification économique fut prolongé sur le plan politique, par la création, en 1949, du Conseil de l’Europe. Bientôt, ce fut le Conseil européen du charbon et de l’acier. Malheureusement on échoua dans la réalisation de la Communauté européenne de défense en raison de l’attitude de la France. Pourtant, le général de Gaulle avait prôné un jour une vaste Europe, de l’Atlantique à l’Oural. Aurélien trouvait cette idée formidable. Un ensemble regroupant tous les pays qui, souvent, s’étaient entre-déchirés, où les gens pourraient vivre en bonne harmonie, pour leur bonheur et leur progrès. En 1957, on signa le Traité de Rome qui instituait le Marché commun, puis, au cours des dernières années, les Traités de Maastricht, d’Amsterdam et, enfin, de Nice. On choisit même Bruxelles comme capitale de l’ensemble.

Depuis peu, hélas, Aurélien assistait – oh, combien impuissant ! – à un certain effilochage de l’idée européenne. On s’était déjà bagarré lors de l’entrée en lice de l’Espagne et du Portugal au sein de la C.E.E., puis lors de l’adhésion, en 1995, de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède à l’Union économique. En 2004, l’adhésion d’une dizaine de pays avait finalement triomphé après bien des palabres. La future entrée de la Roumanie, de la Bulgarie et, surtout, de la Turquie, provoquait bien des débats. Cela n’en finissait pas. À présent, la ratification de la Constitution européenne suscitait beaucoup de remous. Certains parlements voulaient la ratifier de facto sans recourir à l’avis de leurs ressortissants, d’autres avaient décidé de solliciter l’avis des gens grâce à un référendum. Les journaux étaient pleins de discussions oiseuses. La télévision n’était pas en reste. Qu’adviendrait-il de tous ces différends ?

Aurélien, lui, ne jouait pas l’Europe à pile ou face. Le nombre de pays intéressés grandissait et accroissait sa collection. Cela lui posait cependant bien des embarras pécuniaires. Car chaque nation entrant ou souhaitant entrer au sein de l’Union européenne émettait régulièrement des vignettes sur le sujet. Comment suivre ce déferlement qui devenait vraiment très coûteux ? Qu’importe ! Engagé à présent dans cette voie, impossible de s’arrêter.

Il évoquait ces choses en sortant du bureau de poste où il venait d’acheter les nouveaux timbres émis par la Belgique, son pays. Afin de ne pas être pris de court et de pouvoir honorer les échanges qu’il pratiquait sans cesse avec des tas de correspondants, il avait acquis une centaine de vignettes. C’étaient des timbres autocollants répartis en séries de dix, d’une valeur de 44 centimes.

Comme chaque fois après un tel achat, aussitôt rentré chez lui, il prit sa loupe et se mit à examiner ses nouveaux trésors.

Chaque timbre s’ornait d’une couronne de douze étoiles d’or. Sous les initiales EU-UE, apparaissait le nom des pays honorés et classés alphabétiquement en français et en néerlandais, de Chypre à la Slovénie, en passant notamment par la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie.

Aurélien était surtout séduit par les drapeaux représentés avec leurs couleurs et leur graphisme parfaitement reproduits. Il confronta ces vignettes avec un grand dépliant qu’avaient publié récemment des journaux. Il avait évidemment conservé soigneusement ce document. Longtemps, grâce à lui, il voyagea parmi ces vastes espaces qui, souhaitait-il, continueraient leurs aventures européennes.

Les jours suivants, avec soin, il rangea dans la chemise ad hoc les vignettes qu’il avait achetées. Il se prit à souhaiter que, bientôt, le rêve du général de Gaulle se réalise, non seulement pour la paix du monde, mais pour le développement de sa collection thématique. Bientôt, quand il la présenterait, lors d’une exposition philatélique, il était sûr de remporter un franc succès.

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