Bien avant de recevoir le prix Goncourt, Marie Ndiaye a déclaré monstrueuse la France de Sarkozy. « Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d’une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j’aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : « La droite, c’est la mort ». Pour moi, ces gens-là représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible ».

De tels propos, c’est plus que ne peut en supporter l’obscur député UMP, Eric Raoult. D’une belle envolée écrite, il propose au ministre de la Culture, d’astreindre tout lauréat du prix Goncourt au « devoir de réserve » au nom de la cohésion nationale…

Le sang des intellectuels français et celui de la bécasse ne font qu’un tour : Quoi « Le devoir de réserve » imposé aux « Prix Goncourt » ! Quoi, un écrivain couronné d’un prix prestigieux n’aurait plus le droit de s’exprimer ! Il n’aurait que des devoirs : mesurer ses mots, parler feutré, courber l’échine devant la pensée unique, le politiquement correct, l’ordre établi des nouveaux bien-pensants ?

Ah ! On veut lyncher un écrivain ! Une femme de surcroît, en outre métisse et prix Goncourt ! À tous les étages, on s’indigne, on y va ferme de la députation au ministère de la Culture, à la Présidence. On crie à la bêtise, au scandale, aux propos ridicules, à la stupidité, on se révolte, on tergiverse, on se tâte, des courages font défaut, le jury Goncourt soutient Marie Ndiaye. Eric Raoult tient bon : quand on représente la France, on ne peut pas tout dire, on ne peut pas injurier « tournez votre langue sept fois dans votre bouche, et… fermez celle-ci, surtout quand elle est noire, fut-elle française ». Tout ça très feutré, comme en sous-main, en sourdine, à peine si ça affleure (il doit y avoir quelque chose de raciste dans tout ça, pense la bécasse). Le député Eric Raoult, via le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, demande à Sarkozy des comptes : « Prenez position dans cette affaire. Monsieur le Président ». Mais Sarkozy admire Ndiaye, admire sa franchise, admire cette belle femme si courageuse, si talentueuse, au verbe flamboyant (du nom de la plante aux premières pages du livre). Sarkozy est pour la liberté d’expression, il est pour Marie Ndiaye.

L’image du Président de la République française traverse l’esprit de la bécasse. J’aime bien quand il frétille, pense-t-elle distraitement, quand il soulève d’un tic son épaule, pointe de l’index, écarquille les sourcils. Il a quelque chose d’un gamin arrivé, tonitruant, gesticulant, frappant la France à gauche, à droite afin d’extraire son identité : « Barre-toi pauvre con » Oublieux du ton policé quand la France était un royaume, le Président de la République donne l’exemple de la liberté d’expression. : « Nettoyez cette racaille au karcher. » Ce n’est pas cet obscur petit député Eric Raoult qui le fera changer d’avis. Moi Sarkozy, j’ose. Je frappe, je renvoie, j’occulte, j’expulse, je rejette, oui, j’ose. J’ose dire les choses. Je fesse les choses, mais les choses n’aiment pas la fessée, elles se rebiffent, se mettent à cacophoner dans les banlieues, partout où ça grince. Car la France est à la fois grincheuse et riante, grande gueule et « Démosthène », brillante et insupportable dans ses cocoricos pédants. Oui, Sarkozy prend la liberté à bras-le-corps et, comme chaque fois qu’une liberté ose s’avouer, le tour de manivelle risque de lui claquer au nez.

Certes, Marie Ndiaye n’aime pas Sarkozy, mais elle le dit avec une liberté dans l’expression infiniment plus courtoise que le « barre-toi pauvre con ».

La courtoisie viendrait-elle aujourd’hui d’Afrique (même si Marie s’y sent étrangère) ?

La bécasse qui ose tout (privilège réservé aux bécasses et que pour rien au monde elle n’abandonnerait), se sent menacée. Certes, elle n’est pas « prix Goncourt », mais elle a le pouvoir, en tant que bécasse, de dire tout comme le bouffon autrefois à son Roi. Et si son rédacteur en chef se mettait à penser ? À creuser les moindres de ses divagations, de ses révoltes, de ses coups de cœur ? À la sermonner comme un père sa petite sotte de fille qui ne comprend jamais rien à rien ? Et si ce qu’elle a à dire impérativement lui restait dans la gorge avant même qu’on ne lui tranche le cou ? Un oiseau est fait pour chanter, mais on peut lui couper le sifflet. Il est fait pour voler, mais on peut lui raboter les ailes. Un écrivain est fait pour écrire, mais on peut lui raccourcir la plume. Une bouche est faite pour parler. On lui dit « ferme ta gueule », la bécasse remarque combien l’expression devient blessante et vulgaire, à l’instant du refus d’une vérité.

Je suis un oiseau, pense la bécasse et rien ne m’empêchera de voler et de chanter.

Elle se souvient qu’en Belgique, il avait été question de mettre à la retraite les écrivains : à partir de 65 ans. Vous ne pouvez plus écrire ni publier, black out sur le fondement même de votre existence. La révolte des écrivains, poètes, théâtreux a été immédiate et salutaire : le politique, honteux comme un renard qu’une poule aurait pris est rentré dans sa tanière.

Restons vigilants, pense la bécasse, le danger est à tous les étages, il vient quand on y pense le moins, il surgit de la grosse masse bête des bons sentiments, du bon droit et des bonnes mœurs. Faisons nôtre cette sentence de l’ex ministre français de la Culture Donadieu de Vabres : « le rôle de l’artiste est de provoquer et d’interpeller ».

Le devoir de réserve d’Éric Raoult, député de Seine-Saint-Denis, a indigné et amusé la France. Tout ça ne serait que tempête dans un verre d’eau ? Une effervescence du parisianisme ?

Avec un peu de recul, la bécasse a presque honte de s’être emportée pour si peu de chose, mais ce peu de chose, pense-t-elle, recèle un poison sournois qui pourrait un jour anéantir la libre communication des pensées et des opinions, l’un des droits les plus précieux de l’Homme.

En Belgique, la nouvelle vient de tomber, le Premier ministre Van Rompuy sera le futur Président du Conseil européen !

La France se demande comment prononcer le nom de cet inconnu : Rom(puy), comme (feuille), affirment les linguistes belges. D’un tel honneur, la Belgique se sent fière mais aussitôt en souffrance : il faut remplacer Van Rompuy. Elle regarde avec horreur revenir à grands pas le géant des Flandres, le monsieur aux 800 000 voix et aux dix mille gaffes, l’ex-Premier, plus Flamand que Belge : Yves Leterme.

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