Dedans et autour

Véronique Biefnot,

La parenté spirituelle, fondée sur le rituel du baptême, a été instaurée dès le VIe siècle par l’Église, dans une perspective de sublimation de la parenté charnelle basée sur la relation sexuelle.

Alors, la mère raconta cette grande aventure, ces heures si particulières chargées d’émotion, de peurs, de fragile magie.

La faille anthropologique dans la réflexion bioéthique amène à envisager des dérogations et non plus des interdictions. La parenté au sens large peut devenir un choix indépendant de la génétique.

La mère parla du désir d’enfant, elle dit ces mois où le corps se transforme, s’arrondit, s’alourdit, se prépare, où tout se met en place pour le grand rendez-vous.

La famille traditionnelle, soumise à des défis de survie, est orientée vers la reproduction de la vie, centrée sur la transmission, de génération en génération, d’un patrimoine biologique, matériel et symbolique.

Elle se souvient des premiers mouvements perçus, d’abord subtils frémissements, puis maelström au cœur des viscères. Ensuite, vient la surprise suffocante de la douleur, martelante, répétitive, des heures durant.

La rigoureuse structuration des systèmes de parenté, couplée aux ordres symboliques, canalise la violence, originelle, de l’individu. L’institution organise ce qui, autrement, ne serait que chaos et violence ; elle tente de compenser la singulière précarité biologique de l’enfant humain.

L’enfant qui trace sa voie, lentement, vers la lumière. La douleur, encore, toujours, au point qu’on croit ne jamais pouvoir la maîtriser. Le travail, lent, profond, laborieux.

Chez les enfants nés de parents trop âgés, on dénombre un taux anormalement élevé d’autisme et de schizophrénie.

Le long, lent, profond, laborieux travail d’apprentissage de la douleur, d’acceptation du corps qui s’ouvre et fait le chemin du bébé.

De par les critères de sélection exigés, les enfants issus de donneurs de sperme présentent moins de cas de mongolisme.

Ce temps commun, partagé, de la femme qui accepte et de l’homme qui accompagne. Cette autre dimension où elle se réfugie pour apprivoiser le rythme implacable des contractions, des heures durant.

L’accès des femmes à une certaine égalité des droits, leur participation accrue au marché du travail, n’a pas éradiqué les discriminations dont elles font l’objet mais a néanmoins modifié l’approche normative de la parentalité.

Et lui, l’homme, le désormais père, qui accompagne, en massages, en pensées, qui suit la progression du petit, il finit par les voir, ces ondes de douleur traversant le corps de sa femme. Elles sont là, vagues implacables, croissantes, décroissantes… alors, pour ne pas perdre pied, il faut habiter cette répétition, avoir confiance, savoir que le calme, provisoire, viendra après le pic.

Les progrès techniques et biomédicaux en matière de contraception et d’assistance médicale à la procréation ont permis de dissocier sexualité, procréation et parentalité.

La mère doit lui donner un nom ou une couleur à cette onde qui la submerge, pour pouvoir la supporter. Elle doit se réfugier dans un scénario, une histoire apaisante, cyclique pour surmonter les montées lancinantes.

La question du mariage pour tous met en jeu la question de la lignée humaine. Les populations océaniennes, davantage préoccupées du lien social, dissocient traditionnellement consanguinité et parenté.

Qui choisit le visage à donner à cette douleur particulière ? Qui écrit le scénario de ce voyage intérieur ? Elle croit que c’est le petit… le petit qui arrive, qui travaille avec elle, qui imprime déjà son monde, son univers en ouvrant son chemin dans le corps de sa mère.

à l’heure actuelle, lors d’une procréation médicalement assistée, la bioéthique permet de détruire les embryons surnuméraires mais, jusqu’à nouvel ordre, pas de se livrer à des expériences sur ceux-ci.

La mère se trouve ballottée avec l’enfant qui vient dans la mouvance lui traversant le corps, bondissant à chaque contraction, parcourant le circuit répétitif du tracé de la douleur, au plus fort de l’effort. Ensemble, pour l’apprivoiser, ils l’habillent de couleur et d’espoir.

Procréation médicalement assistée et adoption procèdent-elles de l’eugénisme ?

Ces voyages intérieurs, intimes, semblent une première façon, pour ces presque nés, d’imposer leur marque, d’annoncer leur univers propre. Cette plongée onirique, lénifiante au cœur de l’intime, donne un sens à la souffrance ordinaire de l’enfantement…

L’enfant adopté, défini par son âge biologique, ses droits et ses besoins, présupposé sans attache, non pas fils ou fille de ses ascendants, mais laissé à lui-même, sans communauté de référence ou d’appartenance, devient donc un être dont la vie sociale commence par l’adoption.

Le corps de la mère accepte alors, dans un ultime élan, de s’écarteler davantage, d’ouvrir la voie au petit qui, le crâne fripé, collant, ridé, apparaît. Moment d’éternité, d’absolu, où on navigue au plus près de la mort, au plus près de la vie, où il semble qu’un souffle suffirait à faire basculer dans l’un ou l’autre camp, et la maman et le bébé, vers les nouveaux venus, vers les déjà partis.

La tentative de refonte des comportements au sein de la famille peut indiquer un nouveau mouvement : celui des hommes investissant le terrain de la famille, à l’inverse de celui opéré au siècle dernier par les femmes, investissant le marché du travail.

Le visage se déplie, corolle de chair au matin de sa vie. Ce nouvel être ouvre les yeux sur ce coin du monde où il est arrivé… et c’est le miracle banal, extraordinaire, inouï, de la vie qui paraît.

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