Dépôt clandestin

Jack Keguenne,

Meurtrissure insidieuse.

Un chagrin d’amour du monde, le baiser de la distance, une querelle de voisinage.

Plus aucun voyage dans le souffle, traverser une atmosphère d’embruns. Tisonner les soupirs, suffoquer seul.

*

Ni fleurs ni couronnes.

Ténébreuse, une muraille, cerne des chagrins, accompagne abrupte silence et désormais absence. Passer du présent à un temps à jamais figé, un égarement de fréquence.

Solitaire, affligé, le recueillement laisse s’éloigner un linceul béant.

*

Société en débâcle, estompe des responsabilités, un désaveu sans pudeur.

Le dépôt clandestin d’une civilisation, une négligence pour les destinées, et le crible d’un tri. La planète est étroite.

Solder les laissés-pour-compte.

*

Confins d’un appartement.

Fenêtre entrouverte et, au large d’un petit balcon, parfois, quelques papillons dans un nouveau printemps.

Sur le guéridon, un soliflore en verre où fane lentement un souvenir coloré.

Meubler une transparence tourmentée.

*

Mousse à raser, une présence fantomatique dans le miroir et l’ennui des mêmes gestes.

Ni lien ni dialogue, un aparté monotone, sans éclat, à l’écart.

Aucun bruit dans la rue et les enseignes restent éteintes. Journée égarée, à traverser en dépeçant chaque instant.

Il n’y a pas d’écho dans les déserts.

*

Les bruits statistiques d’une calamité, une oreille devenue distraite aux informations données à la radio. Ne plus compter, ou plutôt si.

Derrière les dénombrements des catafalques, imaginer la quantité de vies que la mise en veille a permis d’épargner, croiser les courbes de valeur des durées respectives, même si le sursaut reste néanmoins désespéré.

À l’aveuglette sur son erre, une fin de monde.

*

Encore l’habitude, une installation dans le vague, un domicile indécis et des projets dénudés d’échéance.

Vouloir bondir, mais, essentiellement, trépigner. Se figurer tranquille comme on porterait la cicatrice d’un apaisement.

Devant un café et un cendrier, un soliloque rêveur sur la pose d’arcs-boutants pour entraver la dérive des continents.

*

Dans l’usage générique des jours, seuls frappent les chiffres de quelque catastrophe particulière, vite forclos de chaque mémoire. Les circonstances usuelles sont rarement méditées, et d’autant moins qu’elles s’éloignent de l’intimité.

Subjugué par sa propre durée, le for intérieur véhicule, comme un porteur sain, des idoles morbides. Tous les ravages sont en latence au sein du quant-à-soi et le moindre éveil masque mal un étonnement sournois.

*

La mort n’est pas crédible, comment deviner ce qu’elle fomente, protégée derrière l’abri de son rempart. Toucher un cadavre, approcher encore une forme connue, une figure familière, réconforte peut-être, ou console. L’effroi assiège.

Mais que ressentir pour les morts dans les lointains, ceux dont on ne connaissait ni la langue ni le son de la voix ? Et de quelle amplitude est la douleur de ceux qui se voient privés du moindre dernier échange avec qui ils ont longtemps vécu au plus intime ?

L’indifférence efface, le rite fait naître. Une généalogie des ombres.

*

Ni repli ni répit, aucune grâce. En sourdine, des pensées rampantes, rompues, des horizons démantelés. Aucune échéance à la condamnation. Inutile la révolte, et sans écho. Dans les manœuvres de veille, acclimater les sursauts.

À travers le silence transversal, imaginer construire une cabane dans les bois. Trouver à partager avec les oiseaux. Rétablir une connivence.

*

Il ne s’agit pas de rendre les armes ni de faire faux bond à ses aspirations. Au creux de l’identité emmurée, couver un complot de tripes, l’inverse d’un cri et les intrigues d’une continuité. À bout de bras, un écheveau de perspectives

Surseoir au statut de rescapé.

*

Pléthore de questions et le faux-fuyant des réponses, des solutions aux mœurs d’anguille. Affaires courantes, entériner les reports, acter les délais. Plus aucune terre ferme, plus le moindre chemin, s’accrocher vainement à l’insignifiance des énumérations, à l’inondation obtuse.

Une escroquerie aux dépens de l’innocence, de la fragilité, une responsabilité puérile. Aucune caution.

*

Chagrins en bannière, mais, face aux murs, un cortège empêché, une manifestation dans les impasses.

À la sauvette, des témoignages enroués, le langage des larmes, le babil des détresses. Visages de circonstances, compassion ou désarroi.

En aparté, chacun sauvegarde les tumultes pour plus tard. De part et d’autre, une procrastination du deuil ou de la réjouissance.

*

Dans l’enfermement, il n’y a nul refuge possible, aucun recours.

Pas d’autre sortie que le labyrinthe des pensées, un enfer de réponses évasives et des tourments exaltés de songe-creux.

Annuler les ailleurs, s’effondrer au cœur de turbulences innommables. Fragile, désœuvré, envisager mourir.

*

Les toujours identiques murs, une mitoyenneté confuse. Aucun horizon où se transporter, fût-ce sans bien mesurer l’attente, pas même un projet dans un temps à venir, l’espace où rebondir au sortir d’une échéance encore indéterminée.

Une date opaque, une distance sans gloire ni frôlement. Égaré entre deux frontières, niveler un no man’s land.

*

Vaciller entre défaite et résignation.

Par instants, se modeler une certitude et reprendre pied en se disant qu’on verra bien.

Mais le regard reste équivoque et les paupières pèsent.

*

Apprivoiser toutes les pertes.

Glisser dépouillé, dépourvu, démuni et, plus que nu, écorché. Aucun avoir, aucun au revoir. En surcharge toutefois, une pagaille de sanglots, les préjudices d’un dépit.

Sur la table rase désormais, un désordre de rayures.

*

Spirales de toutes parts, entre étourdissement à s’ausculter, à s’interroger et une sarabande de comptes inquiétants, quoique provisoires, de conseils prodigués, mais confus, incertains ou variables, selon l’heure du jour où la voix qui les porte et plus ni appel possible ni paroles réconfortantes, l’anxiété fait florès. Le désarroi gouverne, promulgue les craintes.

Un désespoir sans issue accable vers les profondeurs, tombe tant bas que naufrage n’est même plus le mot adéquat.

*

Laisser monter l’ombre, stagner le soupçon.

Une deuxième vague.

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