Dernières prémonitions de la mémoire

Alain Bosquet de Thoran,

Au-delà de la mémoire,

À l’horizon de son ombre portée,

Qui lentement absorbe le passé,

Au-delà de l’enfance

Et des premières paroles

Au-delà de ce qui s’est tu

Il y a longtemps

Et encore au-delà,

Bien avant les âges des brumes torrides

Et des marécages géants,

Un poète est né

Personne ne le reconnaît

Mais chacun une fois l’a entendu

Nous parler à voix basse du temps

Comme une litanie sans fin

J’ai largué jour après jour

Les lourds navires de ma mémoire,

Au crépuscule, un à un,

Pour qu’ils glissent dans la nuit noire

Portés par une marée

Qui n’en finit plus de descendre

Bientôt la mer sera tellement loin,

Qu’un oiseau s’arrêtera en haut d’un mât

Pour y faire son nid et appeler sa compagne

Depuis que je n’attends plus personne

Je rêve de cet oiseau qui s’installera

Peut-être aux limbes de ma mémoire

Et chantera là-haut face au soleil levant

Sur mon ombre errant sur la mer.

C’était hier, juste au bord du souvenir,

Une tablée de fête où les rires

Se sont émiettés dans la rosée du matin

Ô ma mémoire de plus en plus blanche

Comme une tache sans contour s’agrandit

En s’accrochant çà et là

À des détails que je ne reconnais pas

Douce mémoire aux visages aimés

Tes champs avancent dans le vent

De leurs longs pas de géant

En route vers l’autre côté du monde

Tout va s’oublier dans ce voile en lambeaux

Dans le tremblement de nos ombres,

Les premiers pas de nos enfants

Les regards perdus de nos défunts

Alors se tend l’envers de la mémoire au ciel blanc

Très vieille demeure aux corridors aveugles

Où je ramasse à tâtons ce qui reste de mes songes

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