Au-delà de la mémoire,
À l’horizon de son ombre portée,
Qui lentement absorbe le passé,
Au-delà de l’enfance
Et des premières paroles
Au-delà de ce qui s’est tu
Il y a longtemps
Et encore au-delà,
Bien avant les âges des brumes torrides
Et des marécages géants,
Un poète est né
Personne ne le reconnaît
Mais chacun une fois l’a entendu
Nous parler à voix basse du temps
Comme une litanie sans fin
J’ai largué jour après jour
Les lourds navires de ma mémoire,
Au crépuscule, un à un,
Pour qu’ils glissent dans la nuit noire
Portés par une marée
Qui n’en finit plus de descendre
Bientôt la mer sera tellement loin,
Qu’un oiseau s’arrêtera en haut d’un mât
Pour y faire son nid et appeler sa compagne
Depuis que je n’attends plus personne
Je rêve de cet oiseau qui s’installera
Peut-être aux limbes de ma mémoire
Et chantera là-haut face au soleil levant
Sur mon ombre errant sur la mer.
C’était hier, juste au bord du souvenir,
Une tablée de fête où les rires
Se sont émiettés dans la rosée du matin
Ô ma mémoire de plus en plus blanche
Comme une tache sans contour s’agrandit
En s’accrochant çà et là
À des détails que je ne reconnais pas
Douce mémoire aux visages aimés
Tes champs avancent dans le vent
De leurs longs pas de géant
En route vers l’autre côté du monde
…
Tout va s’oublier dans ce voile en lambeaux
Dans le tremblement de nos ombres,
Les premiers pas de nos enfants
Les regards perdus de nos défunts
Alors se tend l’envers de la mémoire au ciel blanc
Très vieille demeure aux corridors aveugles
Où je ramasse à tâtons ce qui reste de mes songes