Tard dans l’après-midi, encore excité par son excursion, François rentra chez lui avec ses parents après une journée de kayak. À dix ans, il n’était pas peu fier d’avoir parcouru la longue descente en solo, alors que ses parents avaient préféré un biplace, plus reposant à leurs yeux.

Jamais fatigué, le gamin proposa à son père de poursuivre la journée par une partie de tennis avec sa console Wii Sports.

— Ah non, s’exclama son père. Le sport, cela suffit pour aujourd’hui. Ta maman et moi allons nous reposer un peu. Tu as assez de jeux pour te passer de nous.

Passant à l’acte, ses parents se retirèrent dans leur chambre, laissant le gamin dépité.

Se sentant exclu, François songea in petto que ses parents allaient encore s’offrir un « cinq à sept », selon une expression tirée du langage fleuri de son oncle et dont il ne comprenait pas le sens. Sa joie éteinte, il se demanda comment occuper cette fin de dimanche. Jouer au foot tout seul dans le jardin ne l’inspirait pas ; dans sa chambre, il prit un jeu de construction et l’abandonna aussitôt : il ne se sentait ni la patience ni l’ingéniosité pour s’engager dans ce type d’activité. Revenu au salon, il plongea dans une bande dessinée, parcourut trois pages et ferma le livre.

Désœuvré, il alla visiter le frigo dans la cuisine, chipa une crème au chocolat et un coca-cola, et rafla un paquet de chips dans une armoire. De retour au salon, il se cala dans un fauteuil et alluma la télévision. Grignotant ses provisions, il regarda avec indifférence les images apocalyptiques des bombardements à Gaza, les actes de barbarie des fanatiques autoproclamés d’Allah, l’assaut de chars rebelles contre l’aéroport de Donetsk et les ravages de l’épidémie d’Ebola. Ensuite, les bavardages à propos de la formation d’un gouvernement le lassèrent très vite. Laissant là la télévision, il attrapa sa console Nintendo 3DS pour jouer avec « Ghost Recon: Shadow Wars 3D », son nouveau jeu finalement plus passionnant que la télé.

Kadidia ramassa le gros caillou et courait vers la borne pour marquer un point. Son frère Hassan, treize ans depuis la dernière saison des pluies, la poursuivit pour couper sa tentative et récupérer le point à son compte. Se voyant rattrapée par son aîné, la petite obliqua vers la case et les deux enfants déboulèrent dans le logement en riant. Surpris par la pénombre après leur course au soleil, ils s’arrêtèrent net et leur regard s’habituant à la lumière tamisée par la paille des murs, ils découvrirent leurs parents qui s’aimaient tendrement sur la paillasse.

Hassan fit un clin d’œil à Kadidia et tous deux sortirent sans bruit. Assoiffés par leur course, ils burent au bol communautaire accroché au-dessus d’un fût posé à côté de l’habitation. Avisant le faible niveau d’eau restant, Kadidia annonça gravement :

— Je vais chercher de l’eau au puits.

— Je viens avec toi, répliqua Hassan.

— Vrai ? interrogea la petite, habituée à ce que cette tâche soit réservée aux femmes et aux filles.

— Ce sera moins lourd pour toi, confirma gentiment son frère.

Ravie, Kadidia empoigna un fût vide et les enfants partirent vers le puits

La petite admirait la force et l’adresse de son frère à remonter sans effort apparent le baquet de bois rempli d’une eau limpide. Du haut de ses neuf ans, sans jamais se plaindre, elle-même peinait durement chaque jour pour réaliser cette tâche et assumer le portage jusqu’à la case familiale. Son rire cristallin accompagnait le couinement du treuil et l’eau qui chantait en coulant dans le fût.

Soudain, sous le regard incrédule de Hassan, Kadidia tourna sur elle-même, battit l’air de ses bras frêles et s’écroula sans un cri au pied du puits, une fleur rouge grandissant à hauteur de son cœur.

Hassan se précipita vers sa sœur, l’appela, la prit dans ses bras, et voulut la faire boire. La petite eut un ultime regard vers son frère, se raidit un instant puis tout son corps se relâcha brutalement. Hassan la déposa doucement sur le sol et s’effondra en pleurs. Il ne comprenait pas.

Penché sur sa sœur, il ne vit ni n’entendit approcher un soldat. Braquant son fusil-mitrailleur sur Hassan, ce dernier lui intima l’ordre de se lever et de le suivre.

— Tu feras un bon soldat, déclara-t-il au gamin atterré.

Sur cette planète en folie, les enfants ne choisissent pas leur berceau.

Partager