Éros ou Thanatos ?

Marc Guiot,

Édith s’était laissé convaincre de venir boire un chocolat en terrasse place Brugman.

Exquis, ce chocolat. Elle s’en était même commandé une seconde tasse, en attendant Véronique, très en retard, comme à son habitude. Elle lisait un Figaro tout chiffonné ramassé sur une table, avait hésité à faire l’acquisition du dernier Goncourt dans la librairie voisine, craignant de déséquilibrer son maigre budget.

Elle parcourait les titres d’un œil narquois : les éternelles polémiques autour de l’expulsion des Roms, l’exil volontaire des juifs français vers Israël, les foyers de tension au Moyen Orient, en Ukraine, le président de la République éreinté par les sondages. Le chômage, le désenchantement, la déprime des familles. Elle avait mal à sa France. Elle replia le journal.

Le chocolat brûlant la réconciliait avec la fraîcheur humide de cette journée d’automne.

Elle était venue à pied, en flânant depuis la place van Meenen où elle occupait un studio avec une jolie vue sur les anges dorés du campanile de la maison communale. Elle l’avait délicieusement meublé « années soixante » aux « Petits Riens ». Elle s’habillait d’un rien à la même adresse où elle disputait à des femmes voilées encombrées de mouflets et à des matrones de Matongué, des escarpins de marque, des cuissardes affriolantes, de jolis ensembles fanés, des pantalons dégriffés et des chemisiers stricts récupérés dans les conteneurs déposés dans les beaux quartiers.

Véronique, une antiquaire excentrique à lunettes rouges, menue, le visage finement ridé, toute de noir vêtue, béret cramoisi et trois nuances de gris dans les cheveux coupés à la garçonne, surgit dans un nuage de parfum d’Arménie, s’excusant de son retard, sans faire beaucoup de manières. Édith grelottait malgré la rampe chauffante installée sous la tente solaire.

— Pour moi ce sera un thé menthe, Mademoiselle.

Toujours pas enceinte ? demanda-elle à brûle-pourpoint, une pointe d’ironie dans la voix.

— Toujours pas, répondit la trentenaire avec un soupir.

— Mais qu’avez-vous toutes à vouloir faire des enfants quand la démographie galope, et que la guerre à nouveau menace. Et tous ces macchabées sur les plages de Lampedusa. C’est confondant.

— Je ne vois vraiment pas le rapport, dit Édith sèchement.

— Mais si voyons, l’Afrique entière dégorge ses cadavres aux pieds de la forteresse Europe. Ça suffit, la barque est pleine. Qu’on leur donne la pilule et des préservatifs à tous ces malheureux.

Saisissant son sac noir de cuir souple, Édith fit mine de se lever.

— Ne fais pas attention ma chérie ; je dis n’importe quoi pour choquer les bobos qui nous écoutent.

Elle se rassit à regret.

La quinqua excentrique lui demanda d’une voix de velours : Paris ne te manque pas trop ma belle ?

— Pas vraiment, répondit la jeune femme qui vivait chichement d’une bourse du FNRS.

— La vie est devenue chère à Bruxelles et on s’y ennuie comme un rat mort.

— J’arrive à peine à boucler mes fins de mois, dit Édith, et je n’ai pas le temps d’avoir une vie culturelle avec mon bouquin à terminer.

— Tu sais, moi aussi j’ai du mal en ce moment. Les antiquités, c’est fini, les gens se meublent IKEA, ils veulent le dernier cri technologique et du confort. Mais je me débrouille, je liquide mes stocks années soixante achetés à vil prix, il y a vingt ans.

— Ne va pas croire qu’on remplit un caddie avec 50 euros comme l’annonce leur pub grotesque

— Fais donc comme moi, ravitaille-toi au marché ma chérie.

— Mais voyons Véronique, c’est encore plus cher.

— Et le marché des Abattoirs, l’as-tu au moins essayé, ma biche ?

— Ah ça non, vraiment pas…

— C’est vendredi. Vas-y voir et tu m’en diras des nouvelles… Et ton homme ?

— Alex est en voyage d’affaires, en Israël en ce moment. Il adore ça, le stress sous les rockets. Il prétend que ça l’excite, que ça booste sa créativité. Il ne supporte plus l’Europe, surtout les Français ronchons. C’est pire qu’une bonne émeute, dit-il… Et ensuite…

— Ensuite Le Pen ?

— Mais tu es folle. Un raz de marée révolutionnaire, une guerre civile mondiale que sais-je ? Tout, mais pas Marine, voyons.

— Arrête, je t’en prie Édith, arrête, je croirais entendre mon père.

— Ou un tsunami sanguinaire, comme en Irak, en Syrie, chez nous bientôt…

— Tu crois vraiment qu’on en est là ?

— Je ne sais pas… Et ton Hubert, il va comment ?

— Ah, tu ne savais pas ? C’est terminé, comme on dit ici, je suis « en bas de mon Hubert ». Je n’en pouvais plus. Mais tiens, regarde justement voici Charles, ma nouvelle flamme dans sa belle auto. Un de perdu…

— Darling, vous ici ? Quelle délicieuse coïncidence. Je passais justement pour acheter ma Libre avant de filer à la vente rue Defacqz, c’est vendredi. Je vous emmène ? Mes hommages du matin mademoiselle, pardonnez-moi je vous l’arrache. Ciao !

— Comme il est original ! Tu me pardonnes Édith ? Je vous suis, Charles… Et elle s’engouffra dans l’antique break Volvo du dandy portant beau.

Édith en fut quitte pour trois consommations qu’elle régla aussitôt. Elle avala le thé menthe que venait d’apporter la serveuse et lui demanda le chemin qui conduit aux abattoirs de Cureghem.

La fille, une grande eurasienne, en fut stupéfaite. Qu’allait faire là cette cinglée ?

Elle s’y rendit en empruntant le métro. Des centaines de voyageurs de tous âges et de toutes origines descendirent à Clémenceau. Édith longea la longue fresque néo-campagnarde de Williaert : pas un seul personnage ! Entraînée par la foule, happée vers la sortie par un interminable escalator qui la sortit des entrailles de la terre comme les travailleurs robotisés sortant en rangs de l’usine dans Métropolis. Enfin, l’air libre qu’elle respira goulûment, frétillante comme le petit poisson que le pêcheur remet à la rivière. Que de monde dans cette rivière : des milliers de chalands de toutes origines, des femmes voilées sauf les noires, quelques blondes, des filles de l’Est. Elle entendait parler en langues. Une brume automnale saturée de soleil flottait sur les vastes hangars métalliques à claire-voie où se tenait le marché couvert. Deux orgueilleux taureaux de bronze montés sur socle gardaient depuis plus d’un siècle l’entrée principale. Partout des étals de vêtements, vaisselles, valises, fruits exotiques et de saison, poissons gluants, crustacés, guirlandes de saucisses séchées, jambons entiers. Des jeunes mecs à l’accent slave proposaient, sous le manteau, des fardes de cigarettes. Elle en acheta une. Une bonne sœur hébétée vendait ses petits calendriers phares. Édith remplit des sacs de brocolis, de witloof, de mandarines, d’oignons rouges, de poireaux, de céleris, – Riklam riklam uniro la kilo – acheta des sardines ruisselantes de fraîcheur, des dorades royales argentées à l’œil éteint. « Nitwajé lepwâson ? » Pour porter ses sachets de plastique blanc jusqu’au métro, elle s’offrit un gros cadi orange à peine souillé, soldé à cinq euros, y engouffra ses provisions, alla s’asseoir au soleil à la terrasse d’un snack halal et se commanda un café au lait brûlant qu’elle savoura à traits lents dans un petit verre, à la marocaine. Elle s’alluma une cigarette de contrebande et observa de loin le ballet grouillant comme un seau d’asticots vivants : que d’humains, trop d’humains…

Les lourdes tables d’un mobilier asiatique, racheté sans doute à une faillite, étaient toutes occupées. Deux Polonaises parlant haut se partageaient une assiette de frites en buvant des pils. Une paire de lesbiennes chargées de paquets sirotaient leur Rodenbach grenadine en décortiquant leurs crevettes roses géantes. Des femmes voilées savouraient leur thé menthe sous le regard d’un Levantin arrogant

tirant sur sa cigarette en buvant son café. Il matait une amazone, gainée de noir, enfoulardée de garance, exhibant ses nouvelles bottes fauves dégotées sur le marché.

Une gamine noire la fixait de ses yeux immenses. Édith lui sourit, lui tendit son biscuit. Sa mère alourdie par les grossesses donnait le sein au petit dernier, un peu de lait giclait sur la mamelle d’ébène. Un mendiant courbé de rhumatismes s’approcha à petits pas de geisha, lui tendit son gobelet de carton bosselé. Elle y déposa quelques piécettes en détournant le regard tandis qu’il portait la main au cœur en signe d’humble reconnaissance.

Elle songea que ce nourrisson goulu aurait vingt ans en 2034 cent ans après le congrès de Nuremberg magistralement filmé par la Riefenstahl. Sans doute saurait-il se défendre « dans la jungle des villes ». Les camionnettes chargées jusqu’à la gueule commençaient à quitter le marché dans un concert de klaxons à l’orientale. Un groupe de jeunes ados, en djellaba et au menton couvert d’un fin duvet noir, hurlaient « mort à Israël ! » et aussi « Allahou Akbar » en agitant des petits corans dorés sur tranche. Édith tressaillit, ça lui rappelait Bagdad où elle avait passé un week-end avec son homme.

Et le sien de bébé qui n’avait pas encore choisi d’être conçu, il ferait comment pour survivre, lui ? Il aurait son âge en 2051, son propre père serait centenaire.

Par dérision, par défi, elle l’appela Roland… non, plutôt Charles ?

Cette pensée incongrue la fit rougir par-devers soi. Elle alluma une autre cigarette et médita longuement en dépiautant une figue fraîche. Et moi ? Je serai vieille et fragile, j’aurai publié enfin

« Le couple chez Hannah Arendt »

et quelques autres bouquins inutiles, je serai célèbre ou misérable.

Vivrai-je encore en Europe ou aurons-nous emprunté les chemins de l’exil comme Hannah fuyant sa chère Allemagne pour Paris en 1933, ensuite pour l’Amérique après l’invasion nazie ? Hannah n’avait pas eu d’enfants, par choix : « d’abord trop pauvres pour se le permettre, ensuite trop vieille » dit-elle dans le biopic de Von Trotta à une grand-mère israélienne, lors de son séjour à Jérusalem pour couvrir le procès Eichmann pour le New-Yorker. « Nous ici, on est pauvre mais on fait des enfants » avait répondu la grand-mère ridée comme une reinette. Ses petits-enfants sont maintenant

retraités, certains avec le grade de général ; les livres d’Hannah lui ont survécu…

Édith ferma les yeux, se concentra très fort pour tenter de penser le monde qui vient, ses mégapoles envahissantes. La pieuvre tentaculaire a dévoré Cureghem et le Brabant. On y parle toutes les langues Il n’y a plus ici d’orient, de nadir, de septentrion, seulement cet espace cosmopolite bigarré. Les fils de l’humanité se tissent sur ce marché en un maillage serré. Elle entendait des cris d’enfants en récréation venant d’une école toute proche.

Elle rapprocha une figue mûre de sa bouche, se commanda un autre café au lait.

Des vendeurs barbus en djellabas blanches partaient rejoindre leur mosquée pour la prière du vendredi. Elle revoyait comme dans un flash-back l’immense fresque murale du créateur flamand imprimant sa vision mystique d’un paysage rural à jamais disparu : Cureghem, jadis rural, presque bucolique. Même les peupliers de la Flandre mythique de Brel vont être abattus pour élargir l’antique canal qui relie Damme à la mer et permettre à d’énormes porte-conteneurs

venus de Chine de rejoindre Bruges-la-Morte.

Son portable sonna. C’était Véronique se confondant en excuses pour sa muflerie à la terrasse de chez Gaudron. Édith ne la blâma point, la remercia au contraire de lui avoir fait découvrir les anciens abattoirs.

— Je savais que cela te plairait, ajouta Véronique qui avait fait chou blanc à la salle de vente.

Veux-tu que nous déjeunions ensemble. Je t’invite : un couscous au Jugurtha ? Ça te va ?

Édith qui ne savait rien refuser à l’excentrique accepta. Encombrée de son caddie orange, elle se traîna à pied en direction de la rue de Moscou, pas loin de son trois-pièces. Elle s’arrêta devant les vitrines des vendeurs de matériel de cuisine, entra, poussée par la curiosité et s’offrit un couteau de chef, comme ceux dont se servent à la télé les cuisiniers médiatisés. Tant pis pour son budget. Ici les pros de la gastronomie avaient le teint bistré des subsahariens. Elle franchit la porte d’une moutonnerie. Six malabars barbus, sanglés dans leurs tabliers blancs maculés de sang servaient derrière le large comptoir. L’un d’eux exécutait méthodiquement la commande d’une matrone congolaise en boubou coloré. Le patron, râblé et roublard, surveillait le ballet des bouchers débitant les côtes d’agneau à la hache, tranchant les côtes à l’os et les épaules de moutons à la scie mécanique, broyant la viande hachée à la moulinette dans une odeur de sang, de sueur et de sciure. Quand vint enfin son tour, elle commanda un collier de mouton et des foies de poulet. Il était déjà près de midi. Il lui restait du chemin pour rejoindre Saint-Gilles. Elle s’arrêta au passage pour acheter des pains libanais sans levain. Se remettant en route en traînant avec peine ses lourdes emplettes, elle s’en voulut de tous ces achats inutiles qu’il lui fallait tirer derrière soi. Elle se traîna jusqu’au Jugurtha. Véronique l’y attendait devant un carafon entamé de vin rouge

— Pardonne-moi, j’ai flâné un peu.

— Tu nous prépares un festin ? dit Véronique en voyant les poireaux, les céleris, dépasser du caddie.

— Il le faudra bien, avec tout ce que je viens d’acheter.

— Je savais que cela te plairait, ma chérie.

— C’est Babel ces abattoirs mais je n’ai pas trouvé le département viande.

— Je te reconnais bien là.

— En revanche j’ai découvert une boucherie dont tu me diras des nouvelles.

— Une moutonnerie ?

— Comment as-tu deviné ?

— Je te mets au défi de trouver une longe de porc sur ce marché, il n’y a plus que dans les grandes surfaces que tu trouves ce type de viande.

— Tu trouves ça normal ?

— On ne marche pas à reculons, Édith. Le monde change. Tiens, par exemple mes antiquités, c’est terminé. Faut que je me recycle.

— On recycle tout aujourd’hui, les meubles de famille en gros chêne sont repeints en gris, les argenteries de nos grands-mères transformées en bijoux rigolos, les vêtements vintage, tout j’te dis. Tout le monde s’y met, surtout les riches, je ne trouve plus rien à me mettre aux Petits Riens.

— Tu prends du couscous ?

— Tajine pour moi. Et du vin rouge.

— Comme tu voudras. Je vois que le marché t’a plu.

— D’abord ça m’a tellement terrifiée que j’ai failli faire demi-tour aussitôt arrivée.

— Tu m’étonnes ? Peur de l’autre ?

— Peur de moi peut-être, ça m’a troublée.

— Je ne comprends pas.

— Peur de la différence, de l’altérité. Ça m’a carrément cassé mon désir d’enfant.

— Tu veux rire, Édith ?

— Ah non, vraiment pas.

— Édith, regarde-moi dans les yeux.

Elle se sentir rougir et eut envie de fuir cette amie qui, comme sa mère, la mettait toujours tellement mal à l’aise.

Le garçon leur fit goûter le vin du gris de Boulaouane. Véronique fit un geste approbateur de la tête. On entendit soudain une débauche de klaxons dans la rue étroite.

— Ils sont tellement…

— Tu veux dire « prévisibles » ?

— Des supporters de foot ?

— À Saint-Gilles, il y a tellement de nationalités que chaque fois qu’un retransmet un match à la télé ça klaxonne à mort dans le quartier. Je parie que c’est une BMW blanche décapotable.

— Bull’s eye, en plein dans le mille !

— Un mariage, dit-elle en soupirant, ah le mariage…

— Y a plus que les sans-papiers et les gays qui le contractent, reprit Véronique. Tu ne comptes donc plus te marier avec ton Alex ?

— Il ne veut pas en entendre parler. Moi, c’est l’enfant qui m’intéressait pas le mariage. Adieu donc, Alex.

— Ça t’est donc vraiment passé ? Je peux très bien comprendre cela, moi qui n’en ai jamais voulu.

— Mais je croyais que c’était le rêve de toute femme…

— Ne dis pas n’importe quoi ! Ton horloge biologique te tourmente, c’est tout.

— Assez ! Tu n’as jamais eu de désir d’enfants, toi ?

— Ma mère, oui, mes tantes, mes sœurs aussi, mais moi jamais.

— Et tu expliques ça comment ?

Le coupé décapotable sur le capot duquel avaient été fixées des fleurs et une grosse poupée joufflue repassait dans un tintamarre de klaxons.

— Quel ramdam !

— Regarde-les, ils se sont tous mis sur leur trente et un ; ils dépensent des fortunes pour marier leurs filles. Ils se privent de tout, pendant des années, rien que pour fêter ces noces et en remontrer aux voisins et à la communauté. Regarde la mariée dans sa robe de luxe, achetée rue de Brabant.

— Tu en sais des choses sur ces gens.

— Ces gens sont belges désormais, Véronique, ce sont des Européens.

— Tout est dans la virgule : belges, virgule, désormais européens. C’est la virgule qui tue, la virgule qui sépare et éloigne.

— Si cela se trouve, il la répudie dans deux ans.

— Allons donc et pourquoi ferait-il une chose pareille ?

— Parce qu’elle ne lui a pas donné de garçons, par exemple.

— Chacun sait que c’est l’homme qui détermine le sexe…

— Je sais, mais eux ne veulent pas le savoir.

— Parle moins fort, tu n’as pas remarqué qu’ils nous écoutent et nous scrutent.

— Mais qui donc ?

— Les quatre pépés, là !

Quatre vieillards barbus et proprets en burnous portant des petits calots blancs tricotés s’étaient attablés dans le coin de la salle et les observaient, toute ouïe.

— Cette comédie est répugnante, dit Véronique. Et dire que c’est vers cela que nous retournons tout droit !

— Sauf si nous les femmes européennes faisons des enfants, beaucoup d’enfants.

— Mais tu me dis que tu n’en veux pas…

— Trop tard, dit Édith même si chaque indigène prenait quatre femmes on n’y arriverait plus.

— Mais la polygamie est interdite.

— Véronique, arrête !

— Question de temps, on a bien autorisé le mariage gay.

— Véronique, je t’en prie.

— Eh bien quoi, le processus est enclenché, plus rien ne l’arrêtera, le point de non-retour est franchi. Bruxelles sera musulmane avant vingt ans. Le prochain totalitarisme sera islamiste.

— C’est quoi le point de non-retour selon toi ?

— Auschwitz !

— Tu me sidères Véronique. Tu me fais penser à Hannah

— Il y a une scène dans « les fraises sauvages », une scène qui me hante. Le vieux Isak Borg, médecin, tu auras remarqué qu’il a les mêmes initiales d’Ingmar Bergman, s’en va chercher un prix le récompensant pour sa longue carrière, attribué par l’université de Lund au Sud de la Suède. Il conduit une antique berline, genre Daimler, sa bru l’accompagne. Il lui reproche de ne pas avoir gardé l’enfant de son fils qu’elle portait.

— Et que répond-elle ?

— « C’est votre fils qui ne veut pas d’enfant ». Suit alors un flash-back où elle revit la scène tout en la relatant. Le rôle du fils est joué par Bergman lui-même.

— Vraiment ?

— « Il faut être fou pour faire des enfants après Auschwitz »

dit Bergman jeune à son épouse dans la petite VW coccinelle, sous une pluie battante. Ça m’a bouleversée, j’avais seize ans.

— Il a raison. Il a toute à fait raison. Je suis atterrée par ma relecture du « système totalitaire » de Hannah Arendt. On y revient, crois-moi, à toute vitesse.

— Tu ferais mieux de lire des romans policiers.

— Je pense vraiment que le retour du phénomène totalitaire est en route, même chez nous Véronique…

— Et ces quatre-là, ces vieux qui nous observent, ils pensent à quoi tu crois ?

— À Éros, j’imagine…

— Ne me dis pas que tu préférerais qu’ils rêvent de Thanatos…

— C’est leurs gamins paumés qui ne jurent plus que par Thanatos, Véronique.

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