Dialogue anonyme de deux comploteurs ordinaires

Pascal Vrebos,

— On fait quoi ?

— Du bruit.

— Des remous ?

— Plus, une agitation durable. Occuper l’espace pour qu’il flanche, et ses amis avec lui.

— L’heure est propice.

— Son réseau faiblit.

— On tape où ?

— Au milieu. En plein dedans. On tape, quoi.

— Et tout suivra ?

— Il sera à terre. Pour assez longtemps.

— Il ne s’y attend pas.

— Personne ne s’attend à rien. Nous sommes tous joués par la Ruche, le Rush et l’Ambiance Trash.

— Des jeux de mots, on n’a pas le temps de jouer.

— Ce sont les mots qui vont le renverser. Les images l’achèveront. Le cliquetis du quotidien, y a que ça. Pour survivre, faut mijoter des stratégies. Des coups, buzz, bizz, un éphémère cinglant.

— Les médias aiment. Et moi, aussi !

— Les gens adorent. Ils en redemandent dès potron-minet. Les Grands par terre ou en tôle, mal rasés. Déchus avec leur bobinette qui cherra.

— Là, « qui cherra », je ne te suis plus.

— Pas grave. J’imagine déjà son œil. Un œil vitreux. Ils paient. On ne sait pas quoi, ni pourquoi, mais on finit toujours par trouver quelque chose.

— On trouvera. Personne n’est parfait.

— On vérifiera plus tard. Personne n’est parfait.

— Il restera à terre.

— Il ne le mérite pas, mais bon. Enfin, il doit le mériter quelque part. Il faudra bien qu’il paie pour d’autres. Il faut toujours qu’il y ait quelqu’un qui paie. Si possible cash.

— Il ne nous fera plus d’ombre, c’est l’essentiel.

— Et sa femme non plus.

— J’ai couché avec elle en… j’ai pas la mémoire des dates.

— Moi aussi. Tout le monde a couché avec elle, comme toujours, lui seul ignore.

— Il fait semblant.

— Comme tout le monde.

— Regarde : ses comptes. Estampillé par qui tu sais. Il est fort. Mais…

— On trouvera quelque chose. Un petit quelque chose qui deviendra un bubon. Un vrai jeu de massacre. Je vois déjà la manchette en six, sept colonnes…

— Et cette photo au Conrad, tu vois avec qui ? Tu reconnais ?

— Pas vraiment, mais on retouchera.

— Il est cuit. On le tient.

— Comme l’autre clown, le mois dernier. La presse a suivi, tu as vu ça, une belle meute, j’adore ces consensus ! Il n’a jamais su d’où venait le coup. Personne n’oublie. Ça marque. Au fer-blanc.

— Je me souviens : Ford, le Président, il se flanquait régulièrement par terre, l’homme présumé le plus puissant, la planète rigolait…

— Lui, il va tomber pour de bon.

— Méfie-toi, il va se défendre. Se battre. Un lion, tu verras.

— Contre des moulins. Du vent. Du quantique. Nous sommes des citoyens de l’apparence, de la transparence absolue. Une stratégie fonctionne le mieux dans le vide avec des mots désossés de leur sens, des idées sans idées, du Platon ratatiné.

— Et philosophe en plus ! On n’a pas le temps.

— Faut quand même un emballage comme une canette de soda. Un vide un peu élégant. Faire comme si.

— Comme si quoi ?

— Comme si c’était plein.

— Logique ?

— Dialectique. Un empaquetage attrayant.

— Lui-même doit douter.

— Il doutera. Avec ce qu’on lui prépare.

— C’est l’air du temps.

— Assez de papotages, il est tard.

— On y va…

— Voici mon plan.

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