Ellington…

 

Fruitées et rondes, des notes lumineuses dégringolaient en grappes, puis, fleuries, s’envolaient.

Elles composaient l’indicatif d’une émission radiophonique quotidienne dont j’ai oublié l’heure. Peut-être était-ce midi qui les égrenait ?

Mes parents ignoraient mon illumination auditive. À leur insu, encore, je partis à la recherche du nom de l’air.

Le chantant maladroitement à un disquaire attentif mais perplexe, je me vis proposer différents morceaux de jazz, car j’avais reconnu le genre de ma musique. Mais celle-ci demeurait mystérieuse.

Alors, l’idée me vint de téléphoner à la Radio de la place Flagey. Elle me fit aussitôt découvrir Ellington :

« African Flower ».

Les notes m’avaient comblée d’une sensuelle lumière que j’avais d’emblée reconnue et goûtée.

Après tant d’années, je vais maintenant réentendre le disque, disque reçu plus tard en cadeau, car je me suis interdit de le faire avant d’avoir écrit cette réminiscence. Sous un titre général, « Money Jungle », se côtoient quelques musiques d’inspirations différentes.

Le disque a tourné, l’aiguille s’est levée.

Dans la contrebasse, j’ai retrouvé les notes luxuriantes, discrètement éventées par les drums. Lumineuses et nettes comme l’éveil du jour, celles du piano ouvrent des corolles, effleurent un envol. Mais l’aile diurne qui s’élève s’émeut au-dessus de la « Warm Valley ». S’y pose, pour y chanter…

 

 

 

… Hitchcock

 

Quelle musique accompagnait ce film de Hitchcock qui aussi toucha ma sensibilité juvénile ? Une lumière, hiératique, y transfigurait les visages. Comme dans d’autres de ses œuvres, les amoureuses images d’Épinal n’étaient point obscurcies par les crimes ou complots, mais, au contraire, comme par contraste, s’illuminaient.

Émue par Gregory Peck dans ce policier où les énigmes artistiquement rejoignaient celles de l’inconscient, donnant de la sorte au suspense un sens particulièrement fort, Ingrid Bergman me faisait rêver d’amour magique, de psy. miraculeuse, de lumière magnétique triomphant de la jungle d’amnésie et de culpabilité enfantine qui étouffait l’homme à sauver.

Celui-ci libérait aussi la thérapeute aimante. Je me rappelle une scène où se mêlent  symbole érotique et piste vers la guérison et l’innocence. Elle avait de sa fourchette tracé un dessin sur la nappe, l’ovale d’une piscine, le contour sinueux d’une guitare. Lui, prétextant ne pas supporter qu’on abîmât le linge, mais en réalité dérangé par les lignes sur le blanc qui lui rappelaient un drame refoulé, du plat de son couteau avait lissé la forme oblongue, troublant ainsi les cordes amoureuses d’Ingrid.

Depuis, j’ai revu le film. Mais la scène du tissu griffé, rayé, m’a, cette deuxième fois, paru moins éloquente, tant ma première vision l’avait fait parler, avait en moi accentué l’expression ineffable et complexe de subtile hésitation du visage de l’actrice.

Si l’occasion m’était donnée de le voir une troisième fois (ce que je n’ai point fait avant de rédiger ces lignes : mon premier souvenir en garde son impact personnel), d’autres scènes aujourd’hui oubliées éveilleraient-elles d’autres échos ?

De ma semi-amnésie, Dali émerge soudain, qui peignit le rêve-clef. Au fait, n’y était-il pas question de clefs ?

Tel Gregory, je me laisse emporter sur le chemin des « associations » en remarquant combien l’orthographe du mot « clef » m’a toujours été chère avec un « f ».

Sans doute parce que la consonne a la forme de l’objet nommé.

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