Pour utiliser un lieu commun, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe.

Personne ne s’y attendait. Même dans ses rêves les plus fous, aucun politicien, aucun observateur du Landerneau politique belge, aucun citoyen responsable n’avait imaginé qu’elle aurait pu survenir un jour.

Et si brutalement.

Personne, non.

Nulle part.

Ni en Belgique ni à l’étranger. Et sûrement pas à la CIA où, comme chacun le sait ou ne le sait peut-être pas encore, il existe une cellule particulière qui a pour tâche de se tenir au courant de tout ce qui se passe et de tout ce qui se trame dans le plat pays brelien.

J’en parle en connaissance de cause : depuis des décennies, je suis surveillé par cette cellule particulière. Elle décortique le moindre de mes écrits — mes romans, mes nouvelles, mes essais, mes biographies, mes articles, mes nombreuses contributions à Marginales. Je précise d’ailleurs qu’elle s’intéresse de très près à notre vénérable et passionnante revue, et que tous les textes qui y sont publiés font l’objet d’examens approfondis et de dissections minutieuses. C’est un ex-agent qui me l’a avoué sans détour, après que je lui avais dédicacé le Bureau des risques et périls à la Foire du livre de Bruxelles — un homme dont je tairai le nom, mais qui est fort connu dans le petit milieu culturel belge. Une sorte d’agent secret au service des États-Unis d’Amérique. Je dis bien « une sorte » car le gus n’a jamais caché son américanophilie.

Pour rester dans les lieux communs, la nouvelle a pris de court la population entière.

Moi, j’étais assis à mon bureau, le regard tourné vers l’écran de mon iMac, en train d’écrire une histoire sur le thème de la démocratie virtuelle que je destinais à Marginales, et j’avais pour bruit de fond le Troisième Programme de la radio, quand je me suis soudain rendu compte que je n’entendais plus de la musique, ni un laïus quelconque sur un compositeur ou un interprète, mais bel et bien un bulletin d’informations.

Ce qu’on appelle une émission spéciale.

À ma montre, il était 11 h 12.

Et dans le coin supérieur droit de mon iMac, 11 h 13.

C’était inouï.

Dingue.

Une blague ? Un canular gigantesque ?

C’est ce que j’ai cru d’abord.

C’est ce que du reste, en apprenant la nouvelle, tout le monde a cru.

En Wallonie, en Flandre, à Bruxelles et aux quatre coins de la planète.

Y compris, je suppose, à la fameuse cellule particulière de la CIA.

Je me suis précipité sur mon téléviseur et je l’ai allumé.

Sur toutes les chaînes belges, il n’était question que de cette bombe. On n’arrêtait pas de la commenter en long et en large. On se demandait notamment si elle n’était pas aussi importante et aussi décisive que la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989.

Après d’interminables tergiversations, les pourparlers pour remodeler les structures de la Belgique avaient, disait-on, enfin abouti. Et en grande partie, ajoutait-on aussitôt, grâce « à l’immense lucidité politique », « à l’extraordinaire courage » et « l’abnégation formidable » de Bart de Wever, le génial et visionnaire président de la Nieuw-Vlaamse Alliantie.

On attendait d’une minute à l’autre l’allocution du roi, en direct du palais de Laeken. Mais tout le monde savait d’ores et déjà ce qu’il allait dire.

Il allait solennellement déclarer que la Belgique redevenait un pays unitaire.

Que les négociateurs avaient décidé de renoncer à jamais au fédéralisme et à toute forme de séparatisme.

Qu’il n’y aurait donc plus trois régions, plus de frontières linguistiques et, partant, plus de lois linguistiques.

Que les communes dites à facilité seraient supprimées et qu’elles auraient désormais un statut identique à celui de toutes les autres communes, où qu’elles se situent dans le royaume.

Que les principaux partis politiques francophones et flamands — libéraux, sociaux-chrétiens, socialistes, écologistes — auraient tous dans l’avenir une vocation nationale.

Que…

Baba.

Voilà comment j’en suis resté.

Plus tard, beaucoup plus tard, je me suis dit que je devais absolument raconter ces incroyables instants historiques, livrer aux générations futures mon témoignage d’écrivain et, sans tarder, envoyer mon texte à Marginales.

Partager