OUI. Ja. Encore. Nog. Toujours. Altijd. Belgique. België. Oui j’aime la Belgique, avec ses francophones, ses Flamands, ses germanophones et aussi ses Maghrébins, ses Turcs, ses Slaves, ses Congolais et les tutti quanti de tous les pays qui s’y retrouvent, avec ou sans papiers. J’aime l’accent des autres langues ou dialectes qui enrichissent et égayent notre petit pays. J’ai leur musique dans l’oreille et souvent je bruxellise où je djaze le wallon de Lîdje ou ik probeer vlaams te spreken… J’aime aussi (ook) la lumière de Bruges et des Polders, les dunes et les vagues de la mer du Nord, Gand (Gent), son waterzooi, natuurlijk son Agneau mystique et le mystère de cette ville qui ne se livre pas au touriste d’un jour.

Près de Gand, au bord de la Lys, l’écrivain, grand reporter et chasseur d’ours en Alaska, Jef Geeraerts et sa femme Nora, qui fume le cigarillo. Près d’une bretelle de l’autoroute, le peintre Octave Landuyt, prince de la Renaissance, Fellini flamand et sa femme Mona, vestale de son bunker aux momies parées des bijoux du Maître, qui est aussi céramiste.

À Anvers (un pays c’est aussi les amis, les artistes que l’on admire), Hugo Claus, si peu deftig, si superbement anticlérical, si don Juan flamand et si francophile (il vit la moitié de l’année en Provence). À Missembourg, près d’un étang disparu et d’un poirier centenaire, vivait le dernier des écrivains francophones flamands, Paul Willems, qui pouvait être belge dans toutes les langues et dans tous les pays du monde qu’il visita. Salut, dag Paul, ik hou van U. Près d’Alost, dans la maison de l’éclusier, au bord de la Dendre, vivait le sculpteur Roland Monteyne, qui invitait ses amis pour la « coulée », cérémonie moyenâgeuse, qu’André Delvaux filma dans Babel opéra. À Fûmes ( Veurne), dans la Wittenonnenstraat, vivait, aveugle, mais avec toute sa mémoire visuelle, le peintre bruxello-wallon Paul Delvaux.

Pourquoi donc, par quelque folie séparatiste, cesser d’être le Belge de ces Belges-là, vivants ou morts, de ces paysages, de ces villes, de cette histoire, de cet imaginaire qui a hanté les grands peintres flamands et qui aujourd’hui encore irrigue la tête, le cœur et le corps de tant de plasticiens, dramaturges, chorégraphes, cinéastes, designers, poètes des Flandres et de Brussel.

J’aime zeer fort Bruxelles-Brussel, capitale de la Belgique, de la région flamande (sic), de l’Europe, grande ville provinciale de cultures et de métissage, petit modèle de pluralisme melting-pot. Il y a bien sûr des problèmes d’intégration, de sécurité mais la paranoïa bien (?) orchestrée de l’ex-commissaire Demol (qui a gardé l’uniforme pour se faire élire sur la liste du Vlaams Blok) en fait le « fonds de commerce » de son programme xénophobe, raciste, nationaliste, fasciste, dont Bruxelles, la Flandre, la Belgique n’ont pas le triste monopole.

J’aime toch Bruxelles, grâce à qui la Belgique n’est pas encore devenue la Flandrie du Heer Van den Brande, et la Wallonie, la « Wallonie libre » des Happart, Van Cau ou rattachistes de Toudi, de Perin… Bruxelles qui reste ce qui relie à la région wallonne et à la région flamande, malgré les enragés flamands des geen faciliteiten. Bruxelles, sans droit du sol et du sang, Bruxelles polyglotte, babélienne, belgitrope.

J’aime aussi le Roi, premier et dernier des Belges, le roi de Saxe-Gotha, et Toone, le roi des marionnettes et Manneken-Pis, le prince des pisseurs pacifistes et Noël Godin, le Champion du lancer de la tarte sur la poire de la sinistrose locale, nationale, internationale. Et tant et tant de personnages atypiques et braves (ave César, Belgae fortissimi suni) des quatre coins de ce beau pays.

J’aime les lieux communs, toutes les variantes du « fond de l’air est frais », parler avec l’épicier, le marchand de journaux, les chauffeurs de taxi (de toutes nationalités), les usagers des tramways, des bus, du métro, être « peuple » ( Verstaat U dat ?, Dupont ou Durant, Van den X, Mohamed, Israël, Smith, Vladimir Ilitch). Passer d’un milieu à l’autre, d’un groupe ethnique à un autre, d’une culture connue à une civilisation inconnue (ou méconnue). Être moi, grâce à la Belgique-België plurielle. Bruxello-Belge-européen-citoyen du monde. Habitant du quartier du chat (Uccle-village). Survivant de Barvaux-sur-Ourthe (lieu de la cachette de guerre), originaire de Michalovce (en Slovaquie), de Varsovie, de Riga (lieux mythologiques d’une préhistoire perdue). Juif-athée, philosophe-écrivain, de gauche-déboussolé. Bricoleur d’identités instables, donc Belge, ou plutôt Belge* (comme Antoine Pickels et moi-même l’avons écrit dans notre préface à la Belgique toujours grande et belle).

Oui encore Belge*, et pas régionaliste (même si je suis aussi d’une région) et pas séparatiste (même si j’aime la France). Pas plus Belgicain ni du côté de la belgitude-sur-mélancolie. Belge* d’une Belgique éclatée, de plus en plus plurielle, avant le minimum désiré, qui réunit et tient ensemble les différences.

Cela dit, il y a aussi dans ma vie bien d’autres choses que la Belgique (ou les Belgique*). Comme pour chacun d’entre nous, la vie privée… qui n’est pas sans rapport tout de même avec ce problème d’identité(s), d’appartenance(s). L’état du monde — le Kosovo, par exemple, où un « modèle » d’extrémisme (de purification !) nationaliste est à l’œuvre. Ceci devrait faire réfléchir tous les esprits sectaires et les chantres (les chancres) du droit du sol et du sang. La confusion du réel et du virtuel (la guerre menée par l’OTAN en est un triste exemple). La pensée unique, l’universel du profit. Les valeurs mises à toutes les sauces de l’intégrisme et de l’impérialisme (soi-disant humanitaire).

Mais ici encore, la Belgique pourrait être un modèle de tolérance et de démocratie. La Belgique qui se serait guérie du « mal belge » : les Affaires, les dérives policières et judiciaires, le je-m’en-foutisme, le manque de projet sociétal et culturel, le défaut de symbolique, l’exclusion, la politique politicienne pour clientélisme… La Belgique des marches blanches et multicolores, des Gilles de Binche et de Tintin, la Belgique des citoyens responsables, mais aussi des zwanzeurs, des zinneke, du goût de vivre ensemble et à plus que plusieurs.

Belgiques !

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