Flu ou le cochon qui court

Lise Thiry,

Cette année-là, la course prit son départ dans un petit village calme. C’eût été une situation banale si on n’y fêtait pas en même temps le concours des meilleurs cochons. Beaucoup avaient été envoyés de loin, sélectionnés pour leur grognement le plus expressif ou bien pour l’élégance avec laquelle ils plongeaient leur groin dans l’auge. Mais d’autres avaient été choisis pour leur comportement civique, leur aspiration à des rôles plus nobles que celui de fournisseur de côtelettes. Une occasion inédite leur avait été fournie par des docteurs en médecine humaine : à court de dons d’organes, on s’était mis à recruter des donneurs chez la race porcine. Et certains cochons, fiers d’avoir les organes les plus proches de l’homme, avaient émis un grognement par lequel ils exprimaient leur « consentement informé » pour le don d’un de leurs reins.

Et dans le village, le jour du départ de la course, on décida de mettre en tête des partants, deux héros porcins « monorénaux ». Allégés d’un rein, ils devaient être plus alertes et donc entraîner le troupeau humain.

Or, le troisième jour après le départ, un humain du troupeau fut secoué d’une fièvre excitante qui le propulsa en tête… Il revêtit donc le maillot couleur soleil. Mais ce maillot ne colla pas longtemps sur le corps englué de sueur. Le lendemain, l’excité d’hier, désormais crachotant et toussant, hoquetait sur le bord de la route. Puis, les jours suivants, l’épidémie se propagea, atteignant surtout les meilleurs coureurs — comme si ceux-ci, en s’appliquant à respirer profondément, inhalaient mieux le virus. Tandis que, en tête, les deux cochons restaient fringants : ils hébergeaient le virus sans en souffrir (on appelait cela des porteurs sains). Si bien que le dernier jour du voyage, au soleil couchant, on vit défiler en ombres chinoises deux profils porcins aspirant derrière eux quelques silhouettes humaines. Étrange troupeau, donc, celui qui dévala la plus belle avenue du monde — ainsi dénommée par les habitants du lieu. Car les deux cochons cavalaient toujours au coude à coude, devant ce qui restait des coureurs humains.

Ensuite, la montée sur le podium se déroula dans la confusion : un humain vainqueur et deux cochons qui revendiquaient un maillot couleur soleil. L’homme monta sur l’estrade pour y vêtir le tee-shirt jaune. Puis, tirant leçon de l’aventure, il prononça ce discours : « Je figurais parmi les moins bons des coureurs humains, mais je fus le vainqueur du virus de l’influenza. La bataille contre le virus fut gagnée par mes lymphocytes. Ce n’est donc pas à mes muscles que je dois de revêtir aujourd’hui ce maillot. Quant aux cochons, chez eux les quatre pattes ont fait merveille. À l’avenir, ne pourrait-on organiser une course où les humains auraient bénéficié d’une greffe : celle de deux jambes supplémentaires vissées au niveau de la poitrine ? Peut-être pourraient-ils alors gagner la course contre ces autres coureurs : ceux qui recourent au subterfuge de s’équiper de deux roues ? »

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