Tour de France en bathyscaphe

Fabrice Gardin,

Quand j’étais petit, j’étais vraiment petit. Tout petit.

Ce qui n’empêchait pas un goût immodéré pour l’aventure et la découverte.

Mon papa, qui a toujours été un homme ingénieux, m’avait construit un bathyscaphe à ma taille pour me permettre de voyager dans les conduits des égouts.

« Ainsi, m’avait-il dit de sa voix de stentor, on peut être petit — car mon papa était également de petite taille — et posséder une belle voix grave et puissante, ainsi donc, m’avait-il dit, tu pourras découvrir le monde à ta façon, sans attirer l’attention et tout à foison. »

C’est bien ce que je fis, sauf que je m’arrêtai après mon Tour de France.

D’abord, parce que le bathyscaphe construit par mon papa, petit mais costaud, ne supportait pas l’eau salée, ce qui est embêtant pour traverser les mers, et ensuite, parce que ce que je vécus lors de mon Tour de France me poussa à reconsidérer mon envie d’aventure et à rester bien sagement chez moi à profiter des vertus du confort de la tendresse amicale.

Ma première étape eut lieu, comme il se doit, à Paris. J’y arrivai le jour de l’ouverture du premier septennat de Mitterrand. C’était beau, c’était fort, c’était tout rouge partout et y avait même des roses. Mais sur les roses, il ne faut pas oublier qu’il y a des épines.

Comme tout le monde le sait et pour être tout à fait clair, on était précisément le 21 mai 1981, anniversaire de la mort de Niki de Saint Phalle, un jeudi, et il faisait torride ; j’ai attrapé des cloques aux pieds à force de battre le pavé à la cérémonie au Panthéon. François était pressé de nommer son premier gouvernement avec Pierre Mauroy.

Le lendemain, il dissout l’Assemblée nationale et, les élections qui suivirent lui donnèrent la majorité absolue au Parlement. Un deuxième gouvernement, toujours avec Pierre, fit entrer quatre ministres communistes !

Et ça, les communistes, ce sont les épines de la rose, j’étais des leurs !

Nous avons le goût dans la famille (du côté de ma mère) de nous occuper des affaires du monde. Non pas que j’aie un goût prononcé pour la lutte des classes, ou pour une société sans classes, voire pour une organisation sociale sans État fondée sur l’abolition de la propriété privée des moyens de production et d’échange au profit de la propriété collective et fondée sur la mise en commun des moyens de production… Non, point du tout.

Mais comme personne ne connaissait de communiste, c’était le moyen le plus efficace pour entrer à Matignon et côtoyer le pouvoir. Encore bien que le pouvoir, entendons-nous, ne m’intéresse pas non plus. Ce que je voulais, c’était voir comment on dirige le pays des libertés, de la beauté et de la future équipe de foot championne du monde (nous avons le don dans la famille de prévoir les événements futurs) de l’intérieur.

J’ai vu, j’ai bien vu. C’est complètement inintéressant. Réunion sur réunion pour écouter des conseillers qui préparent des dossiers aussi épais qu’un jambon de Bayonne et aussi vides qu’une coquille de noix vide. Mais j’ai aimé discuter avec tonton quand il était d’accord pour me prendre sur ses genoux et me parler du destin de la France et de ses lectures. Car, en fin de compte, ce qui m’intéresse en France, c’est bien la littérature. L’histoire, des histoires, c’était beau, c’était fort, c’était tout rouge partout et y avait même des roses. Mais sur les roses, il ne faut jamais oublier qu’il y a des épines.

C’est ainsi que tonton, lui aussi, en eut marre des réunions. Il me proposa de descendre dans le Sud. « D’accord, dis-je, mais j’ai mon propre moyen de transport, retrouvons-nous en Avignon. »

Vous me direz : mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec le tour de France ? Et vous aurez raison de poser la question, parce que les choses ne sont pas toujours aussi simples et directes qu’on pourrait se l’imaginer. Lorsqu’on pense Tour de France, on pense d’emblée chambre à air et maillot jaune. Bien sûr, et le lien avec notre histoire est à restituer subtilement.

Donc, nous nous sommes bien retrouvés en Avignon, mais était-ce sur ou sous le pont ? Avant toute conjecture, en voici les paroles communément admises :

Sur le pont d’Avignon,

L’on y danse, l’on y danse,

Sur le pont d’Avignon

L’on y danse tout en rond.

Les belles dames font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

Sur le pont d’Avignon

L’on y danse tout en rond.

[…]

Les jardiniers font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

[…]

Les couturiers font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

[…]

Les vignerons font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

[…]

Les musiciens font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

[…]

Et les abbés font comm’ ça

Et puis encore comm’ ça

Il est utile de rappeler qu’au xve siècle, les danses se faisaient sur les berges. C’est principalement pour cette raison que certains de nos anciens parlent encore de la fameuse chanson en disant « sous » le pont d’Avignon et non « sur » le pont. Ainsi, vous l’aurez compris, cette chanson n’est jamais achevée, mais bien en constant devenir, ce qui explique aisément le grand nombre de variantes. Tous les métiers peuvent y être évoqués, du cycliste au communiste. François songea un moment à remplacer la Marseillaise par le Pont, et le rouge socialiste par le jaune… Quoi qu’il en soit, disons dans la foulée que le cycliste peut communément être associé au jaune et le communiste au rouge, deux couleurs qui appartiennent incontestablement et en priorité à la rose. Mais la rose, il ne faut jamais oublier qu’elle a des épines.

Si nous nous sommes retrouvés en Avignon, c’est évidemment pour le festival de théâtre devenu une halte obligatoire sur le chemin des vacances pour toute une bourgeoisie en sandalettes depuis Gide. Cette année-là, le Festival d’Avignon fait office de bal officiel de la rose car depuis sa création en 1947, François est le premier président de la République à l’inaugurer. Ça en jette ça, d’autant plus que c’est l’année du dixième anniversaire de la mort de Jean Vilar.

C’est Jack Lang qui, prônant la priorité à la culture, a pensé cette étape pour le gouvernement. Tout le monde est là. On s’aime, on va voir des spectacles avec des hommes qui hurlent et des femmes nues et on boit du rosé jusqu’au bout de la nuit. C’est bien !

Je rencontre Pina Bausch, je ne comprends rien à ce qu’elle dit mais je suis ébloui par son spectacle. Alors, je lui dis : « Danse, Pina, danse. »

Mais où est le problème alors ?

Tonton est reparti en avion. Moi, en bathyscaphe…

Ding… Dong… Nous interrompons le cours de ce fabuleux récit pour un flash incontournable qui changera incontestablement le cours de notre existence et qui n’est pas sans rapport avec ce qui précède. Dominique Gaston André Strauss-Kahn, patron du FMI, a été inculpé pour agression sexuelle par le parquet de New York alors qu’il s’apprêtait à quitter les USA pour Paris. Il est soupçonné d’avoir agressé sexuellement une femme de chambre à l’hôtel Sofitel où il séjournait. L’interrogation la plus importante qui se pose à cette heure est : alors que nous savons comment DSK était habillé lorsqu’il est sorti de la salle de bains pour tomber sur la femme de chambre, nous ne savons par contre rien sur la tenue de cette dernière…

… continuer mon Tour de France. Je voulais rencontrer le vrai peuple, celui qui élit et non pas celui qui est élu. Je suis allé dans le Larzac, soutenir les paysans contre les militaires, et j’en ai été patraque. Je suis passé par Auriol et j’en ai encore du sang dans le cou. J’ai voulu passer mon été à Lyon aux Minguettes mais la nuit était trop éclairée à mon goût. On m’a proposé de remonter à Paris en TGV pour son inauguration, j’ai refusé évidemment. Et comble de malheur, Georges Brassens s’est cassé la pipe.

Je voulais de l’aventure, je fus servi. Même un peu plus qu’il n’en fallait.

Après consultation de mon thème astral et deux ou trois achats pour ramener des souvenirs, je décidai de retourner à mon point de départ et je m’en fus pendre mon bathyscaphe au clou.

Mon papa, débonnaire, s’enquit de mon voyage. Je lui fis remarquer qu’on n’était jamais si bien que dans son jardin.

— Et toi ?, lui demandai-je, qu’as-tu fait pendant mon périple initiatique mais néanmoins périlleux ?

— Oh, moi, rien de spécial, j’ai regardé le Tour de France à la télé. C’était beau, c’était fort, c’était tout rouge partout et y avait même des roses… le long de la route.

— Mais sur les roses, il ne faut jamais oublier qu’il y a des épines !

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