D’après l’œuvre photographique de Jacques Leurquin
1.
Je suis belle, ô mortels, dans le drapé de clarté où je vous dévisage
Mon insolence, mon désir fauve vous démasquent
Il pleut sur le noir des rayures
La lumière en flaques brûle sur ces laques
Je vous envisage à distance sous le loup d’un charbon cristallin
Vous ne verrez que mon buste livré aux caresses de l’air
Avec de mes seins les astres érectiles
Tandis que je halète en circuit fermé
Sous le masque et son appendice caoutchouté
2.
J’occupe tout l’espace malgré la profondeur du paysage
La scène est un abîme primitif et lointain
Fait de micas, de rocs, de courbes ancestrales
Vous m’avez vue venir dans la lumière du paysage
Que ma nuit scandaleuse déchire
Fabuleuse, inatteignable, harnachée
Avec le fouet de ma chevelure
Et ma verge dure pointant sous sa ceinture
3.
Je vous dévisage d’un regard retourné
À sa lumière intime et aux profondeurs
D’où je renais, ressourcée aux abîmes
Mon front plissé de latex est plein d’ombres étales
Où vient chuchoter vague après vague la bouche de la mer
Sous l’astre primordial dont la lueur me moule
J’offre mes lèvres et leur blessure de rose noire
Et mon buste infini comme une plage
Dont les globes aux pointes étranglées
Sont les soleils qui vous calcineront
4.
Tout désir est vertical : comme une foudre tirée à la ligne
Et qui fend le cosmos de son épure
Ma vie s’est relevée d’entre la perte et le deuil
Avec l’apocalypse du sang fouetté
Je parle une langue étrangère
Que bien peu sont capables d’entendre
Vais-je vers votre œil que ce rideau battant fait chavirer
Descendre avec mon plexus de lumière
Et ma fourche de chair au doux tissu gonflée
Vais-je coller ma bouche vulvaire à vos lèvres
Outragées ou me redresser en soulageant très lentement
La tension de mes cuisses laquées d’obscur et d’éclairs ?
Où se reflète l’empreinte de votre face perdue ?
Je suis sereine car souveraine en ce geste arrêté
De la résolution où, si je le veux, vous vous abîmerez
5.
Je traverse, avec mes seins gonflés et mon membre caoutchouté
Le désert et son chaos de micas, son sol absolu que calcine
Un ciel plombé, figure d’un sombre incendie qui passe
Comme une prophétie à travers le paysage fiévreux
Je pose de ma jambe gainée le talon vertigineux
Sur un socle. Le désir infini m’habite comme une fragilité
Je vous ploierai face contre la terre que vous mordrez.
6.
Les larmes d’Éros et le lait noir du Léthé coulent en moi :
De la coupe aux lèvres, j’établis les fondements de la pensée
Immobile et drapée au sein du figé, des ravines, des rocs érigés
Dans la garrigue avec son précipice comme une fente
Et ses lèvres de pierre stratifiée, là où passe l’attribut
De ma trouble divinité, l’herbe a brûlé
Ma douceur va fendre vos abandons
Vous ouvrirez votre fondement à ma pensée
Que la tension durcit
7.
Je sacrifie au soleil mon corps renversé
Et ma tête qui penche tant que je vois
L’horizon sans limites à l’envers
Crucifiée au sol en cet abandon qui me fend
Avec le brasier du ciel qui enflammera
De touffe en touffe le buisson ardent
Dont la prophétie ouvre au bas de mon ventre
La blessure d’où naissent depuis toujours
Les siècles fertiles
8.
Vais-je franchir dans la lessive d’une aube augurale
Cette berge où mes pieds délicats sont posés
De la pointe à l’aiguille ?
Ces eaux sur lesquelles peut-être un prophète a marché
Sont pour moi comme le vin violent de l’oubli
De l’amour qui nous surpasse je mesure ici le temps suspendu
Mon désir est atrocement calme et profond
Comme ces eaux presque étales dont un frémissement
Pourrait baigner en les léchant mes bottes
Un friselis, en son heurt, tremble
Sous ma fourche mouillée que nul ne verra
Sinon le promontoire double, les mamelles telluriques
Car je vous tourne le dos et me plonge, insaisissable
En vous montrant mes reins, dans une leçon d’anatomie
Qui échappera toujours à vos yeux trop pressés
9.
La page est vierge où je m’accroupis
Tellement nue que vous me lirez comme un brouillon
Inachevé
Chasseresse aux poignets de cuir, rose
Effeuillée sous sa corolle de vinyle
Avec sous l’astre blond qui me coiffe en désordre
Le loup profond, le funèbre voile sous lequel
Je vous perce à jour et vous ferai jouir
La lumière vénéneuse éclaire presque violemment
De mes nuits le rubis
Je suis votre clair de lune et mes lèvres ombrées
Ont pour vous qui n’y porterez ni la main ni la langue
La douceur fascinante d’un fruit nu, obscène et défendu
10.
Hors scène, oui, malgré que je vous regarde
De pleine face, défendue par l’arc galbé de mes jambes
Et le rasoir de mes ongles
Quand je dérobe à vos curiosités ma langue et mes yeux
Je suis la voie lactée qui ne dispense sa lumière
Que pour mieux vous troubler
Ma fente brûle comme ces flammes au bout des cierges
Noirs : mes lèvres sont gonflées autour de l’ourlet
Par où tantôt je pleurerai d’une pluie chaude
Qui attisera le feu de votre baiser
11.
La foudre et sa lumière surexposée
Me crucifient à la croisée végétale
Où la ramure gonfle ainsi que noire bronche
Ma chevelure a vibré dans cette électricité crue
Qui traversa les branches et m’a fendue de haut en bas
Mon tronc oscille et ploie
Je jouis dans l’effraction du temps foudroyé
Et vous demeure inaccessible en cet absolu
12.
Car je suis le venin de vos rêves
Et vêtue d’une minimale parure
Il me vient d’étranges abandons
Où ma nature polymorphe
Aime à vous surprendre
Du temps assombri ma lune émerge
Ainsi qu’une claire tangente
L’amour est-il cette hauteur
Qui nous dépasse ou ce gouffre
De soufre et de souffrances consenties
Où mon futur avance, toujours masqué
13.
Je suis parfois votre entrave
Et quelquefois votre entravée
Dans les décombres
Et la ruine des jours :
Bouche muette, visage effacé
Dont l’œil brûlé vous transperce
Je suis votre hallucination et ses vapeurs de musc
La corolle d’un sang noir épanouie sur un fumier
Et qui s’ouvre à midi pour succomber avant le soir
Tout s’est noué dans l’éclat métallique qui me renverse
Et m’a transpercée de part en part
Je mouille le duvet de mes fesses
Et provoque le membre dont vous me pourfendrez
14.
Oh je sais la phosphorescence qui frémit
Ainsi qu’aux profondeurs un astre satellite
Votre désir est une étoile engloutie
Que j’envisage avec détachement
Derrière les hublots de mon masque
Jambes de vinyle aux délicates agrafes
Et gants infinis suscitent des sueurs qui perlent
Comme le tamis de la rosée sur la mer
Je puise mon oxygène en ces purs artifices
Qui font à ma chair la plus intime l’offrande de leur calice
15.
Puis je me penche vers vous qui sombrez
Constellation dérivante aspirant au trou noir
Mon visage sublime est un groin
Et mes yeux des déflagrations
Face absolue vissée sur un collier de chien
Trou relevé jusqu’au vertige
Je veux que vous suciez le bout de mes tétins
Tandis que je promènerai les globes de satin
Que mes doigts profonds et gantés emprisonnent
Sur votre face assoiffée de venin
16.
Je suis votre blasphème à visage d’ange
En cet écrin mortuaire
Inactuel le et déplacée
Je fixe comme une stupéfiée
Au-delà de la mort sur laquelle
Je frotte ma croupe
Le paradis chaviré, la violente nostalgie
Draperies de velours, glands lourds
Aux béants orifices, catafalques funèbres
Ma bouche d’ombre entre mes jambes
Électrifie votre immobilité
17.
Il est doux d’exécuter ce qu’on que l’on a conçu
Je vous dévoilerai la neige la plus tendre
Au-dessus d’un ourlet violent connue un lien
Visiteuse du soir et sombre en son drap de velours dont les plis
Enserrant le ventre et barrant le clair carré de ses épaules
Fait entre les cuisses disjointes une noire cascade de tissu
Que la main se plairait à fouiller :
Cuir, nylons, guipures, dentelles ajourées, moires et métaux
Mon visage est penché et mon regard vous assassine de biais
Tout est affaire de tension et d’abandon mesurés
Noire et pourtant lumineuse, je plante mon talon laqué
Sur la faïence blanche et crue
L’aiguille de mon talon est le thermomètre
D’un calorifère auquel peut-être je vous attacherai
Pour faire monter la fièvre qui vous liera à moi
18.
J’ai soif d’infini et suis méditative : la Nature nous donnerait-elle
La possibilité d’exécuter un crime qui l’outragerait ?
Je veux pouvoir me livrer aux penchants de ma nature
Et jouir de ceux dont les plaisirs sont dignes de mon désir
J’écris ceci à l’encre rouge sur ma bouche fermée
Tandis que mes jambes aux fins nylons qui crissent
Quand la sueur perle à leurs creux sont les colonnes
Du temple où vous lisez de mon vouloir les lettres de feu
19.
Je suis votre face d’ombre au diamant inverse
Et vous poursuis de mon désir sacrificiel
Veuve et voilée je me dérobe pour mieux exposer
Ma figure androgyne car vous le pressentez
Le monde nous est encore inconnu : vous en perdrez
La raison comme un noyé sous les radeaux du ciel
Tandis qu’une salive pleine d’étincelles perle sous ma langue
Je suis obscure : je vous enflammerai
Comme un bûcher de chair sous une averse de neige
20.
Mon corps est une cavale et mon sexe
Imberbe a la douceur de ses naseaux
Confessez-vous à moi, je suis experte en introspection
Ma croupe est zébrée des traits jumeaux d’une épure
Droite et noire comme l’âme qui palpite avec une douceur d’oiseau
Sous le corset qui étrangle mon cœur
Je suis inatteignable à ces hauteurs que me Font les lignes
D’un poème écrit à l’encre sombre
On ne sait plus ce qui traverse le jour avec lenteur
Avec des nuées de lait qui perlent de vous
Tandis qu’un grand silence traverse le feuillage des vitres
Que l’on entend battre au Fond de l’air et de la solitude
Un sang qui sourd comme une rosée noire
Sous la lumière électrique malgré le soleil de quatre heures
21.
Je jouis aussi de vous madone outragée
Et souffrante sous ma botte prosternée
Comme aux pieds de son dieu la sainte qui détaille
Avec le couteau de la lumière sur son ventre
Et votre épave pâle qui tressaille
Est sur ma vie comme un fantôme de flammes
Une blessure de buis noir
À genoux petite putain abandonnée
Adorez-moi : sur vos voiles lacérées
Se brisent les écumes, les parfums d’eucalyptus
Les soleils foudroyés, cœur fondu de perdition
Qui consent au vertige de la morsure
Que je vous destine et qui vous fera crier de plaisir
22.
Je suis la stylite aux cheveux sombres
Retirée au désert et qui vous toise
Sous sa toison
À mes pieds les vertiges
Où de marche en marche vous vous abaisserez
Ou vous élèverez selon que votre langue
Polira de mes bottines le froid miroir
Au pied de cet autel dont je suis le blasphème
À moi les laques à vous les loques ô mon aimé
Nous avons laissé dehors le vacarme de la ville
Et son ciel fou plein de télégraphies et d’électricité
Le silence où je m’empale est un abîme
Un creux sonore que votre halètement découpe
En contemplant entre les nylons et le skaï
De ma peau la lueur pâle
Et de mes yeux l’impérieuse volupté
23.
Du jasmin je n’ai que l’odeur et, peut-être
Sous mon harnachement d’amazone qui crisse
À chacun des mouvements que j’imprime
À mes abandons calculés, l’éclat virginal
De mon intimité. Car j’aime troubler la candeur
Et suis impitoyable ainsi qu’une morsure
Avec mon ventre dont l’alcool vous tuera
Je suis la nocturne anémone, la violente inquisition
L’ange noir aux yeux d’amande amère et de bouche sanguine
Aux jambes infinies comme une journée de solitude
Ô Thésées qui me contemplez du fond de vos cités
Pleines de normes et d’épouvantes
Je suis le Minotaure de vos ciels luxueux et rêvés
24.
Négative, je suis la négation de vos aveuglements
Et si je dérobe à vos yeux mes douceurs sous des robes
Aux troublants artifices, sous des voiles funèbres
Où les mailles dessinent leurs arachnéens labyrinthes.
C’est que, dans ces liens ou ces moires que la lumière
Artificielle expose, vous devinez mieux qu’à la lueur
Morale l’infinie nature de la divinité dont nous sommes pétris
Mes crépuscules sont la forge où s’élaborent un profond incendie
L’enfance de l’art et ses travaux manuels
Les confessions d’un masque, une écriture violente
Avec membres et stylet
Je suis le fil d’Ariane ou l’obélisque enchaînée
Et mes plages sont noires avec des bouquets de muguet
À votre manche j’offre le parfum froncé d’un œillet
Je vous dévoile de la vie les métamorphoses infinies
Le réel est une pellicule surexposée
Où l’on ne peut bien voir qu’en se brûlant les yeux