Cent jours.

Aucun éditorialiste ne doutait de la symbolique impériale de ce délai.

Cela sembla long. Cent jours à mûrir un texte si court. Le plus bref connu des juristes de la république. Deux mois de discussions houleuses aboutirent à une capitulation des extrêmes. L’unanimité à laquelle le Président tenait s’imposa.

La guerre est abolie.

Les ricanements devant tant d’efforts pour s’entendre sur un principe si vague, si difficile à mettre en œuvre, firent rapidement place à un ahurissement qui baissa les bras les mieux armés. Et après ?

C’était sans compter sur la puissance de l’administration française. On la qualifiait de pléthorique, d’apathique, de monstre endormi. Le Président l’emmena derrière son panache. La machinerie ne grinça plus. Les pistons se huilèrent autour de ces quatre mots. Aucun domaine de la vie n’échappa à ce rouleau compresseur.

Le Président montra l’exemple. Il ne conserva qu’une seule ministre, ancienne amazone, candidate malheureuse à la fonction suprême. Le portefeuille de l’Harmonie était l’unique qui mérita encore qu’on se mette à la tâche. Tous les autres subirent une disparition sans concession, sous l’effet de cette loi tranchante.

Aucun palabre pour l’Intérieur et la Défense. La police et l’armée furent dissoutes par décret dans la semaine, les agents et militaires, contraints de suivre des séminaires de formation de conseillers conjugaux en vue de la prochaine abrogation du divorce.

Le sort du garde des Sceaux fut scellé tout aussi rapidement. Aucun conflit n’étant plus acceptable, les magistrats ne furent pas licenciés mais affectés à la médiation. On ne se préoccupa pas des avocats qui se diluèrent on ne sait où. Certains tentèrent de s’accrocher en s’instituant spécialiste de l’interprétation de la guerre est abolie. Ils finirent aussi par se résoudre à pendre leur toge au crochet, faute de clients.

Le ministère de l’Économie ne résista pas plus que les autres. La concurrence devait disparaître devant la concorde. Syndicats d’ouvriers, d’employés, de patrons, fusionnèrent. Plus de grèves, de délocalisations, de faillites. Les emplois devenaient éternels. La production s’ajusta miraculeusement aux désirs des consommateurs. La jalousie de voir son voisin posséder un bien que l’on ne pouvait s’offrir s’effaça comme un songe. Les services de conscientisation de la prospérité et du bien-être aidèrent grandement au phénomène.

Bercy survécut moins d’un an.

Le fisc collecta les impôts nécessaires à l’exécution de toutes ces mesures. Pour pallier l’entretien de l’armée de ronds de cuir qui devait assurer la pérennité homéostatique du système, des programmes informatiques de paiement des traitements furent mis au point. L’écot fixé à un pourcentage identique pour tous suffit aux dépenses considérablement réduites.

Le ministère de l’Environnement ne fit pas long feu. Chacun adopta immédiatement un comportement responsable. Particuliers comme entrepreneurs. Les chercheurs, passionnés par les énergies vertes, s’employèrent à trouver, sans course à la publication glorieuse, de nouvelles technologies qui furent adoptées comme un seul homme par les industriels. Les émissions de gaz s’effondrèrent. On spécula sur le retour des Saoudiens vers de longues caravanes de chameaux dans le désert au lieu du pompage d’un or noir si sale.

Les médecins abandonnèrent dans la joie leurs luxueuses voitures et se consacrèrent à leurs malades avec un enthousiasme à faire pâlir d’envie une mère Thérésa. Le ministre de la Santé tomba, comme les autres.

Quant à celui qui posa le plus de difficultés, l’Immigration, les velléités du Front National ne s’exprimèrent que sous la cendre. On ne peut accueillir toute la misère du monde.

Eh bien si ! Dans son génie, le Président définit des modalités imparables qui emportèrent dans le même temps le ministre des Affaires Étrangères. Il suffisait d’y penser. Tout qui voulait entrer dans son pays de cocagne se voyait octroyer automatiquement un titre de séjour temporaire entre un et deux ans. Au terme de ce délai, sans contrainte, le visiteur retournerait de lui-même chez lui, pénétré des idéaux les plus nobles du phare de la civilisation mondiale qu’était la France.

La terre entière fut ainsi contaminée, en l’espace de trois ans à peine.

Les relations diplomatiques ne furent plus que sporadiques et courtoises.

Le Président avait anéanti gauche et droite pour accéder au pouvoir. Il réussit, au-delà de toute espérance, pendant son mandat, à effacer toute querelle.

Les cours de récréation ne nécessitèrent plus de surveillants. Le foot fut vite abandonné au profit de la marelle. En effet, il était compliqué pour chaque équipe de marquer autant de goals que l’adversaire. Le même phénomène se produisit chez les adultes.

La FIFA, l’IAAF, l’UCI rangèrent leur pavillon. Le ministre des Sports n’avait plus qu’une fédération à gérer : l’aïkido, discipline où le combat stylisé ne comporte aucune compétition. Il devint donc secrétaire d’État de la ministre de l’Harmonie. Il partagea cet honneur avec celui de la Culture.

Ce dernier vit sa tâche profondément allégée. La littérature et le théâtre s’éclipsèrent en à peine quelques semaines. Ces disciplines ne s’abreuvent que de conflits tragiques ou comiques. Qu’est-ce qu’un roman sans guerre, trahison, meurtres, tromperies, amours déçues, mélancolie ? Même ceux de gare ou à l’eau de rose n’échappèrent pas à cette fatalité. Le théâtre, avec sa mise en scène des passions, chuta de son estrade. Les rayons des librairies regorgeaient de livres de recettes de cuisine plus délicieuses les unes que les autres.

Seules la danse et la musique hantaient les préoccupations de subsides du secrétaire d’État.

D’ailleurs, tous les soirs, la population était invitée à descendre dans les rues et sur les boulevards pour chanter et tresser une longue carmagnole. Un vieux ministre aux cheveux blancs frisés en eut les larmes aux yeux.

Les conseillers conjugaux et médiateurs, à peine à l’œuvre, se retrouvèrent les bras croisés. Ils avaient éteint les derniers feux de disputes.

EADS, SAFRAN, THALES, DASSAULT, SAGEM, MBDA, fermèrent leurs portes, ne sachant comment reconvertir leurs usines de missiles, hélicoptères, avions de chasse et sous-marins nucléaires. Les ouvriers et les ingénieurs, un peu déconfits, furent contraints d’innover en produisant des canons à confettis pour carnavals.

Seul le Président travaillait sans relâche au bonheur de ses citoyens.

Il ne commit qu’une seule erreur. Elle lui fut fatale. Il omit d’abroger la loi électorale. Cela ne lui avait pas paru être une priorité. Les autres tâches s’avéraient si nombreuses. Et puis, que pouvait-il lui arriver ? Qui aurait pu lui ravir son sceptre au terme d’une telle législature ? Même l’étranger avait adopté les mœurs pacifiques de sa nation rayonnante. Un coup de l’extérieur paraissait improbable.

Ce si faible péché d’orgueil le perdit. Un fond de fierté et d’attachement à leur outil leva une infime cohorte de licenciés du complexe militaro-industriel. Férus de stratégie, ils comprirent là où frapper. Trouver le cœur de la cible ne fut pas compliqué. Il était partout. Il se nommait l’ennui.

Jamais le peuple n’avait atteint ce qu’il croyait être la vraie vie. Plus de souffrances physiques ou morales. Plus de hiérarchie sinon celle du Président ou de Dieu, ce qui revenait au même. Un dispensateur d’abondance, de bals musette perpétuels, d’embrassades fraternelles ou sensuelles. Il l’avait fait malgré la diversité des êtres et de leurs sentiments.

Le pays n’était plus qu’un vaste miroir de lui-même. L’autre n’était plus différent. Plus à combattre. En valsant avec lui, chacun finit par ressembler à une carte à jouer où la figurine du roi ou de la reine médite en regardant son double. L’agressivité se cherchait une image.

L’ennui fut la mèche. La paix, un épouvantail. L’amour, un repoussoir.

On avait envie de se battre. On poussait au crime. On voulait surtout se sentir à nouveau différent. Plus riche, plus beau, plus intelligent que le barbare de la maison d’en face.

Des alliances solides ou circonstancielles naquirent. Le camp de la guerre, de la douleur, de la peine était en ordre de bataille. La victoire à la pointe des épées. Écrasante. Pleine de bavures. Le Front National allait pouvoir enfin manipuler les leviers et désigner les ennemis.

Les foyers de luttes allumèrent à nouveau le monde. On eut enfin le soulagement de se plaindre à nouveau.

Il apparut sans contestation que la versatilité était la seule véritable constance.

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