Sur ma table de salon, je contemple religieusement toutes les choses dont j’ai rêvé depuis longtemps. Une combinaison de Lotto à quatre chiffres. Un billet d’avion aller-retour pour Moscou. Une réservation d’hôtel. Une affichette avec ma photo au-dessus de mon nom pour les prochaines élections syndicales.

J’ai des étoiles rouges dans les yeux. Ma femme n’a jamais voulu toucher à nos maigres économies pour mon pèlerinage. C’est elle qui tient la caisse. Et puis il faut payer le prêt.

Alors je joue. En cachette de Jenny. J’ai un peu honte. Le jeu de hasard, ce n’est pas très solidaire. Tout le monde met au pot, un seul rafle la mise. Je me donne des excuses en me disant que c’est la même idée pour la sécurité sociale mais en plus juste. Lire la suite


Offenburg. 1966.

L’œil. J’ai vu l’œil. Mat. Glacé. Réflecteur. Mon image flotte en lui. Je m’y vois multiplié à l’infini. Pris en sandwich entre deux miroirs. Je me brise en mille morceaux. Je saigne. Hémophile éternel. Lire la suite


Cent jours.

Aucun éditorialiste ne doutait de la symbolique impériale de ce délai.

Cela sembla long. Cent jours à mûrir un texte si court. Le plus bref connu des juristes de la république. Deux mois de discussions houleuses aboutirent à une capitulation des extrêmes. L’unanimité à laquelle le Président tenait s’imposa.

La guerre est abolie. Lire la suite


Je n’aime pas passer par là. Ce matin, mon travail m’a obligé à emprunter la chaussée le long de laquelle le vieux stade a été démoli, il y a vingt ans. Un complexe cinématographique se dresse, carré, bétonné, en lieu et place des gradins crénelés où mes amis et moi avons piétiné de passion, chaque dimanche.

Le bruit mat du cuir frappé par les crampons est devenu étranger à mes oreilles. Je ne me rends plus autour des terrains. Je ne suis pas davantage capable de regarder un match entier à la télévision. Je m’y ennuie. Qu’est-ce qui a changé ? Moi ou le monde ? Lire la suite


Les salles d’attente sont des lieux agréables. On n’a rien à y faire sinon museler ses angoisses. Que l’on soit chez le dentiste, le médecin ou l’avocat, la meilleure manière d’y parvenir c’est de laisser divaguer ses pensées.

Le design de ces espaces suspendus entre deux moments n’est pas toujours très réussi. Mais j’aime bien celui-ci. Vieille maison en banlieue parisienne. Long couloir-boyau depuis la porte d’entrée. Volume exigu. Rénovation sommaire mais de goût.

On est loin des salles d’attente-pistes de danse. Si grandes qu’on pourrait y organiser des « fêtes ». Je les ai longtemps fréquentées, dans les cabinets spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, lorsque j’avais ma galerie dans le « Marais ». Parquet en bois blanchi. Murs multicolores. Artistes pseudo-contemporains plaqués aux cimaises. Le degré zéro du charme.

On se serait cru dans le loft d’une « loutre », sur l’île de Ré. Ah ! Les « loutres » ! Elles ramènent les poissons d’eau douce parisiens vers le grand large. Elles sont vieilles, poisseuses, rapides. Tu ne peux y échapper. Il faut reconnaître que, malgré leurs chairs flasques, elles savent s’y prendre. C’est loin tout ça ! Lire la suite


Le voyage avait été long, éprouvant, stimulant, décevant. Les membres de la délégation de « haut niveau » commençaient à somnoler les uns après les autres. Il faut dire qu’avant cette balade en autocar, la plupart d’entre eux avaient cru pouvoir rattraper l’aube à dix mille mètres d’altitude avant de devoir renoncer à l’atterrissage.

Ils venaient de tous les pays du monde, pratiquaient les disciplines les plus différentes, reconnues, incongrues. Ils se connaissaient bien. La Banque mondiale, le FMI, l’ONU, l’Union européenne et bien d’autres institutions avaient croisé le fer pour constituer cette arche de Noé neuronale. Lire la suite


— Papa, pourquoi c’est la fourmi qui gagne à la fin ?

Lorsque mon fils me posa cette question, je ne sus que lui dire. Le champ des réponses était trop vaste. Toutes se valaient.

— Elle a eu raison de ne pas lui faire confiance.

— Elle n’a gagné que provisoirement. La chance tourne. Son stock de nourriture peut pourrir.

— Elle n’est pas heureuse avec toute cette boustifaille.

— Elle pense à ses enfants, si tant est qu’elle puisse en avoir. Lire la suite


Les souliers vernis piétinaient la glaise gorgée d’eau. Les fleurs traversaient l’air humide. Les parapluies en corolle noire cachaient ceux qu’ils abritaient. Il y en avait tellement que la foule devait, sous leurs baleines, laisser couler autant de larmes que le ciel gris.

À mesure qu’il s’élevait, il nota que cette multitude de pépins finissait par ressembler à de l’écaille sombre. Le cimetière devint un carré parmi d’autres au milieu des champs. Il dépassa la couche des nuages. Il survolait une mer de moutons écrasée par l’azur. Dans l’axe du soleil, il fut ébloui. Lire la suite


Les cloches sonnèrent huit heures. C’était le moment du journal télévisé. Les rues étaient désertes. Seules les feuilles jaunies s’y promenaient encore. Novembre. La fraîcheur piquante du soir retenait les villageois prisonniers chez eux. Les volets jamais repeints s’étaient refermés sur les façades en crépi sale. L’église romane du xiiie siècle pouvait s’assoupir à nouveau, ramassée sur elle-même. La pierre, gravée en lettres dorées, des morts de 14-18 avait retrouvé son silence sépulcral qui lui convenait si bien. Un avis à la population tapotait nerveusement le bois où il était mal punaisé. Peut-être cherchait-il à attirer l’attention ? Il tentait de faire écho au drapeau tricolore qui frottait sa hampe au fronton de la mairie. Leur dialogue discret ne parvenait pas à perturber le calme de Retigny-le-Château. Dans la nuit, la masse du vieux donjon et de ses remparts ne se détachait plus sur la crête toisant le hameau. Lire la suite