I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the Belgian dream.
Je vous le dis aujourd’hui, mes amis, même si nous devons faire face aux difficultés d’aujourd’hui et de demain : j’ai encore toujours un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve belge.
J’ai fait le rêve qu’un jour cette nation se dressera et vivra la véritable signification de son credo : « Nous tenons cette vérité pour évidente : tous les hommes sont créés égaux. » Et le vrai sens de « L’Union fait la Force », ce credo souvent tourné en ridicule.
J’ai fait le rêve qu’un jour, sur ce qui furent les terrils et sont maintenant des collines herbeuses et buissonneuses, les fils de ceux qui furent les patrons et les cadres de mine et d’industrie, à présent tombés dans la décadence économique, seront capables de s’asseoir à la même table que les fils florissants et fortunés de ceux qui, jadis, poussés par la misère, sont venus là, pour des salaires tout justes acceptables, livrer un labeur éreintant, quelquefois au péril de leur vie, un labeur trop dur, une vie dont les gens de la région voulaient de moins en moins, tant elle était harassante et dangereuse. J’ai fait le rêve qu’ils s’assoiront tous, les nouveaux pauvres et les nouveaux riches, à la table de la fraternité.
J’ai fait le rêve que la ville d’Anvers, devenue pour un tiers le fief de gens qui ne rêvent qu’injustice, racisme et discrimination, sera transformée en une oasis de liberté et d’égalité.
J’ai fait le rêve que ceux qui imaginent que leur grand frère français leur ouvrira les bras en promettant le bonheur, se rendront compte de l’inanité de leur rêve et verront enfin qu’ils seraient des citoyens de seconde zone dans une République entièrement asservie aux critères de la richesse matérielle, qu’ils seraient à jamais des ploucs provinciaux dans une France qui continue à vivre dans le centralisme napoléonien.
J’ai fait le rêve que mes quatre petits-enfants, et surtout trois d’entre eux, vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés à la couleur de leur peau ou à leur langage maternel, mais à l’aune même de leur personnalité propre. Je fais ce rêve aujourd’hui !
J’ai fait le rêve qu’un jour, dans le fond des fonds de la Belgique profonde, où le racisme linguistique, de part et d’autre, règne en maître vicieux, où, la bave aux lèvres, des prétendus hommes politiques, qui ont bâti toute leur carrière prospère, non sur leurs compétences économiques, culturelles ou sociales, mais sur la haine de la langue de l’autre, répandent des discours de discorde, j’ai fait le rêve que ces mêmes prétendus politiques soient enfin jugés par leurs électeurs sur leurs aptitudes intellectuelles et leur capacité de décision et non sur les arguments démagogiques qui forment tout leur programme. Car il n’y a rien de plus facile que de faire appel aux sentiments confus de la masse, rien de plus simple que de dire à cette masse : « Vous êtes les plus beaux et les meilleurs ! Vous êtes la nation supérieure brimée par une nation inférieure ! » Cette démagogie-là, ce simplisme-là, tous les leaders de régimes totalitaires les ont découverts déjà à la sortie du berceau !
J’ai fait le rêve que ces masses du Sud et du Nord comprendront cette démagogie et y échapperont. Qu’elles comprendront que ces discours-là confinent au racisme et qu’elles rejetteront toute forme de racisme, même larvé ! Qu’un jour les petits enfants de ces deux masses prétendument ennemies, avec leurs langues différentes, mais faisant effort pour comprendre la langue de l’autre, pourront joindre leurs mains comme des sœurs et des frères.
Je fais un rêve aujourd’hui !
Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée d’Ardenne sera chantée par tous, sans exception, comme une gloire de la Nature, que chaque polder sera exalté par tous, sans exception, comme un miracle de la Nature amélioré par l’Homme, que tous les endroits malsains et périlleux, au Nord comme au Sud, seront assainis par la volonté de tous, sans exception, et que tous, sans exception, regarderont ensemble la Belgique par les mêmes yeux et y verront une terre de Cocagne, où il fait bon vivre dans l’égalité et la fraternité.
Alain Luther van Crugten