L’homme de Macro-Mignon

À Madame la comtesse de la Verdière, en ses domaines de Provence

Eh bien, très chère amie, nous voici entrés dans l’ère de la macronitude active. Madame de Penajouir a dû provisoirement rentrer sa hargne et économiser son rictus, mais nous ne sommes pas sortis de l’auberge, comme me disait un tenancier de relais de poste. Avez-vous remarqué, chère amie, que dans l’ensemble de la province du Var, où nous avons nos terres, cette virago a recueilli quarante-neuf virgule cinq pour cent des suffrages d’une population apeurée par l’invasion des nomades étrangers qui viennent jusque dans leurs bras égorger leurs fils et leurs compagnes ? Aux larmes, citoyens, a-t-on envie de clamer. Lire la suite


Madame de la Faryette n’était pas seulement renommée pour l’attrait de sa conversation et son talent d’écriture, mais la Cour et la Ville discouraient à l’envi du charme que dégageait toute sa personne. Elle avait le pied petit et fin, ce qui faisait l’admiration de nombre de gentilshommes de la Cour mais provoquait aussi la jalousie de Madame de Maintenant, l’ancienne favorite du Roi qui avait réussi à se faire épouser morganatiquement par Sa Majesté. Il était notoire que la nouvelle épouse, une Transalpine anciennement nommée Carlotta Brunisconi et devenue ensuite marquise de Pompabruni par la grâce et le bon vouloir de Sa Majesté, avait, pour sa part, le pied fort long. Quoiqu’elle le dissimulât le plus souvent sous des robes très élégantes tombant presque jusques à terre, les bien informés de la Cour savaient qu’elle chaussait du quarante-deux ou peut-être même quarante-trois, une mesure italienne correspondant grosso modo, comme ils disent là-bas, à une longueur de treize pouces, soit un pouce de plus que la mesure que nous avons coutume d’appeler pied-de-roi. Le pied de la nouvelle « reine » plus long que le pied-de-roi ! Tout Versailles en faisait des gorges chaudes en catimini et cela mettait en fureur la Pompabruni, laquelle cachait un caractère irascible derrière les sourires doucereux qui ne dérangeaient pas les traits de son visage, vu qu’un chirurgien milanais lui avait posé des pommettes artificielles. Lire la suite


— Mon cher Usbek, vous m’avez jadis expliqué clairement la situation politique et linguistique en Perse. Dites-moi si je résume bien : pour régler un conflit entre deux langues adverses, les Persans ont créé les institutions les plus démocratiques du monde, parce que les plus compliquées. Vous avez donc une république fédérale présidée par un monarque et gérée par cinq gouvernements ?

— Certains prétendent qu’il y a quatre gouvernements en Perse, d’autres disent qu’il y en a six. Cinq est donc un chiffre moyen acceptable.

— Cela ne vous gêne donc point de ne pas savoir exactement combien il y a chez vous de gouvernements ? Lire la suite


I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the Belgian dream.

Je vous le dis aujourd’hui, mes amis, même si nous devons faire face aux difficultés d’aujourd’hui et de demain : j’ai encore toujours un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve belge.

J’ai fait le rêve qu’un jour cette nation se dressera et vivra la véritable signification de son credo : « Nous tenons cette vérité pour évidente : tous les hommes sont créés égaux. » Et le vrai sens de « L’Union fait la Force », ce credo souvent tourné en ridicule.

J’ai fait le rêve qu’un jour, sur ce qui furent les terrils et sont maintenant des collines herbeuses et buissonneuses, les fils de ceux qui furent les patrons et les cadres de mine et d’industrie, à présent tombés dans la décadence économique, seront capables de s’asseoir à la même table que les fils florissants et fortunés de ceux qui, jadis, poussés par la misère, sont venus là, pour des salaires tout justes acceptables, livrer un labeur éreintant, quelquefois au péril de leur vie, un labeur trop dur, une vie dont les gens de la région voulaient de moins en moins, tant elle était harassante et dangereuse. J’ai fait le rêve qu’ils s’assoiront tous, les nouveaux pauvres et les nouveaux riches, à la table de la fraternité.

J’ai fait le rêve que la ville d’Anvers, devenue pour un tiers le fief de gens qui ne rêvent qu’injustice, racisme et discrimination, sera transformée en une oasis de liberté et d’égalité.

J’ai fait le rêve que ceux qui imaginent que leur grand frère français leur ouvrira les bras en promettant le bonheur, se rendront compte de l’inanité de leur rêve et verront enfin qu’ils seraient des citoyens de seconde zone dans une République entièrement asservie aux critères de la richesse matérielle, qu’ils seraient à jamais des ploucs provinciaux dans une France qui continue à vivre dans le centralisme napoléonien.

J’ai fait le rêve que mes quatre petits-enfants, et surtout trois d’entre eux, vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés à la couleur de leur peau ou à leur langage maternel, mais à l’aune même de leur personnalité propre. Je fais ce rêve aujourd’hui !

J’ai fait le rêve qu’un jour, dans le fond des fonds de la Belgique profonde, où le racisme linguistique, de part et d’autre, règne en maître vicieux, où, la bave aux lèvres, des prétendus hommes politiques, qui ont bâti toute leur carrière prospère, non sur leurs compétences économiques, culturelles ou sociales, mais sur la haine de la langue de l’autre, répandent des discours de discorde, j’ai fait le rêve que ces mêmes prétendus politiques soient enfin jugés par leurs électeurs sur leurs aptitudes intellectuelles et leur capacité de décision et non sur les arguments démagogiques qui forment tout leur programme. Car il n’y a rien de plus facile que de faire appel aux sentiments confus de la masse, rien de plus simple que de dire à cette masse : « Vous êtes les plus beaux et les meilleurs ! Vous êtes la nation supérieure brimée par une nation inférieure ! » Cette démagogie-là, ce simplisme-là, tous les leaders de régimes totalitaires les ont découverts déjà à la sortie du berceau !

J’ai fait le rêve que ces masses du Sud et du Nord comprendront cette démagogie et y échapperont. Qu’elles comprendront que ces discours-là confinent au racisme et qu’elles rejetteront toute forme de racisme, même larvé ! Qu’un jour les petits enfants de ces deux masses prétendument ennemies, avec leurs langues différentes, mais faisant effort pour comprendre la langue de l’autre, pourront joindre leurs mains comme des sœurs et des frères.

Je fais un rêve aujourd’hui !

Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée d’Ardenne sera chantée par tous, sans exception, comme une gloire de la Nature, que chaque polder sera exalté par tous, sans exception, comme un miracle de la Nature amélioré par l’Homme, que tous les endroits malsains et périlleux, au Nord comme au Sud, seront assainis par la volonté de tous, sans exception, et que tous, sans exception, regarderont ensemble la Belgique par les mêmes yeux et y verront une terre de Cocagne, où il fait bon vivre dans l’égalité et la fraternité.

Alain Luther van Crugten


Le vélo est un appareil sanitaire d’usage externe qui est employé principalement comme antidote de la marche à pied.

Paul Colinet. Le vélo

J’estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un Polonais comme un Français, post posant cette liaison nationale à l’universelle et commune.

Montaigne, Essais

Nestoras Rokiskinaitis avait fait ses classes sur les routes lituaniennes, de Klaipeda à Vilnius et de Kaunas à Kupiskis, en poussant fréquemment jusqu’à Daugavpils, en République Socialiste de Lettonie. Mais avant même d’être retenu dans le cadre de l’équipe junior du district, puis de la république, puis de l’URSS, il sillonnait les chemins de sa région natale dès l’âge de dix ans sur le vélo de son frère Vytautas, son aîné de neuf ans.

À dix-huit ans, Vytautas était un athlète prometteur, il savait qu’il avait un bel avenir de sportif mais hésitait entre le cyclisme et le football, car ses dons étaient manifestes dans les deux disciplines. Hélas, cette carrière avait été fauchée en plein essor. Ou plutôt c’étaient les deux pieds de Vytautas qui avaient été fauchés par un train dans la petite gare de Varéna. Vytautas, qui avait un peu abusé des boissons fortes après un match victorieux dans la banlieue de Vilnius, était descendu avant l’arrêt du train, il avait vacillé, glissé sur le quai et ses deux chevilles avaient servi de frein ultime au tortillard. Remarquez qu’il y avait des précédents intéressants : dans la République Populaire voisine, un grand acteur de cinéma nommé Cybulski avait, un vilain jour, perdu la vie dans les mêmes conditions alcoolisées en voulant monter dans un train qui démarrait en gare de Varsovie. Vytautas, lui, avait eu plus de pot mais il avait dû se résoudre à gagner sa vie avec ses dix doigts, ce qui n’est pas toujours le pied. Lire la suite


Je n’avais jamais vraiment posé un œil conscient sur Éliane.

Lorsqu’elle vint me faire son chantage, je pensai pendant quelques instants que j’allais l’exterminer d’un coup sec et m’arranger pour faire disparaître le corps. Allais-je foncer jusqu’à la cuisine pour m’emparer du couteau à gigot, allais-je lui sauter dessus et la ligoter avant de lui brancher deux fils électriques sur les tempes, allais-je tout simplement la saisir à la gorge et serrer jusqu’au dernier soupir ? Lire la suite