Je cherche un homme

Colette Nys-Mazure,

On pourrait tomber

Le vent qui charge aura tout emporté

Il ne reste plus que la terre

Et ceux qui n’ont pas pu monter

Pierre Reverdy, « En bas », in les Ardoises du toit

Il vient de Mars. De la Terre, on lui a dit monts et merveilles. L’envie d’aller y voir de plus près. Il atterrit sur cette planète bleue comme une orange, enchanté de l’excursion. C’est à l’aube, à l’orée d’une grande ville, une mégapole dont le chant de sirène l’a séduit à travers les espaces interstellaires.

Il marche dans le matin guilleret. Ses souliers cloutés résonnent sur le macadam. Il aborde une zone industrielle jalonnée de panneaux publicitaires phosphorescents Pizza Zut, Giyant, MacGonald, Bammouth, Mégaspore, Intimizimo, Naxicosy, Malibou, Frantélépom. Il s’étonne : s’appuyant sur les dires d’autres voyageurs, il avait cru qu’on parlait français de ce côté du globe. Il a dû faire erreur.

Il s’enfonce dans la banlieue, les yeux aimantés par les affiches affriolantes : un parfum de femme rend les hommes fous, une voiture féline captive les regards, une pilule verte fait fondre la graisse tandis qu’un détachant pulvérise les taches. Des paysages paradisiaques invitent à l’évasion. De multiples corps féminins et quelques sourires d’enfants font office d’appât.

Le Martien y perd le Nord. Où donc suis-je tombé ? Ici on mange, boit, roule, s’habille, se déshabille, se rhabille en sortant de chez son ex. On voyage sans risque, on avale les pilules multicolores indistinctement.

Il s’enfonce dans le cœur de la capitale. Là se dresseront architectures célèbres et hauts lieux culturels. Un palais-musée annonce cent mille visiteurs, mais pour quel événement ? Une maison d’édition lance une tête d’écrivain, pour quel livre ? Un cinéma polyvalent aligne ses titres violents, soulignés d’images agressives. Aux vitrines des maisons de la presse, la une des journaux lui donne la nausée : ce ne sont que braquages, inondations, incendies ravageurs, suicides spectaculaires.

Notre Martien voudrait comprendre. Il souhaitait marcher dans la forêt des hommes, rencontrer des visages, mais seules les enseignes publicitaires et leurs personnages de papier le regardent de haut. À quoi s’occupent les habitants robots de cette planète Terre ? Consommer ? S’étourdir ? Rivaliser ? Tremper dans le sang et le scandale ? Il éprouve un vertige.

J’aimerais rencontrer un enfant.

À midi, il aperçoit un petit, un solitaire rêvant sur la margelle d’une fontaine publique. Le gamin ne semble pas surpris de son allure martiale. À son sourire engageant, il répond par une question : As-tu pour moi un DVD portable, lecteur USB et carte SD, batterie intégrée, fixation appuie-tête et casque assorti. J’en veux un comme ça. Tout en lui mettant sous le nez la quatrième de couverture du toutes boîtes qu’il tient en main. Son mince visage exigeant s’encolère. Tu me l’achètes !

Le Martien s’éloigne, déçu. Lui aussi. Lui déjà. Une canette vide vient ricocher contre son dos.

Avant que s’allongent les ombres du soir, notre Candide aura déguerpi et regagné sa planète rouge.

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