Kaddish pour une fin de siècle

Éric Brogniet,

Cette famille est une nichée de chiens

Je suis né dans cette famille

Et j’ai appris comme elle à mordre

Le vent à dilapider ce que je n’ai plus

Poussez sur les crassiers mangez l’air

Et la rouille enfoncez-vous dans le poussier

Cette terre est rongée par la lèpre

Je suis né sur cette terre de cicatrices

Comme elle je porte au visage la verrue

Des terrils des hangars vides et des carreaux cassés

Ma chair est rouge et noire sur laquelle pullulent

Les mouches : mouches à radios locales, mouches à

Voiries, mouches à mutuelles et à hospices, mouches

À sécurité sociale, mouches à hôpitaux et mouches

À bretelles d’autoroutes, mouches à permanences

Et mouches agronomes, mouches à football le dimanche

Après-midi quand les rues sont vides les buvettes pleines

Mouches d’industries mortes, d’entreprises bradées

Et de technologies de pointe, mouches à M.E.T.

Et mouches à poésie Le bruit que fait le cœur

Quand la grande usine à mouches a clos ses grilles

J’ai hiverné dans ce pays pluvieux Les sirènes se sont tues

D’autres sont venues avec d’autres cadences et la nuit

Était pleine de pneus hurlants et de verre brisé

Était pleine d’aiguilles, de seringues et d’overdoses

Zones zonings parkings Parquets surchargés paquets

De lessive, de crack, qui veut devenir millionnaire ?

Le secteur tertiaire est en pleine expansion

Dans le cimetière et la cave, la remise en planches

Au fond des jardins, avec l’œil blanc et le linceul

Des trottoirs, les arrière-cuisines et les lits-cages

Rouillés, les vasistas au ras de la rue où pue l’odeur

Du graillon avec le soir la luminescence des écrans

De TV, des boîtes à mouches de la grande distraction

Universelle ô qu’on me donne un chou-fleur

À la place du cœur et que j’habite le quartier des abattoirs

Où saignent les fins de journée en été quand la ville

Est déserte Chromos cartes postales Et le soleil est du sang

Répandu sur des rêves de pauvres Dernière lueur qui s’éteindra

Dans la mémoire soldée pendant que prolifèrent le vide absolu

La conscience très provisoire, les autobus, les automobiles

La généralisation de la construction des ronds-points est le signe

D’une société qui tourne en rond Nous avons fait de la quadrature

Institutionnelle du cercle la huitième merveille du monde

Cette terre est un palimpseste d’images diarrhéiques

Dans l’escalier occupant l’air fragments paralysés

On épie les soubassements – ni portes, ni fenêtres – le froid est absolu

Puis plusieurs fois, comme par rémanence, quand s’interrompt –

Grésillements, frissons électriques parcourant les nervures

Câbles qui pendent, arrêts sur focale : à chaque étape de la vie

Un partenaire crédit sûr et rapide Cette prospérité se développe-t-elle

Au détriment de… Comment comptez-vous obtenir satisfaction ?

Modules d’habitations et laboratoires Pochettes de silicone des sacs

D’os des anorexiques des zombies des déjantés errant comme parmi

Les poubelles radioactives où l’on n’existe que par abcès Dans le fond

L’insémination artificielle Des monorails trouant l’air à cent mètres du sol

Et des étoiles à cœur ouvert

L’aigu vrillant les tempes des annuaires des litanies sous

Les draps souillés Funérariums toutes les spirales les morts cachées

Enfouies dans les urnes Tous les arceaux tous les berceaux Les canules

Vaginales Nous atteignons à la vermine maximale Nous cultivons

En éprouvettes Munitions à l’uranium appauvri Perte des cheveux

Et des ongles La naissance est une maladie incurable et mortelle

Les enregistrements effacés On entend le souffle de la bande Des fractures

Des acides Le déchiffrement du vocabulaire génétique enfin accompli

Nous ne sommes pas des trafiquants Ne le répétez pas Was muss ich wissen

Um reich zu werden ? J’ai de la mémoire et je sais qui est qui Comme une ère

Encore inconnue on y fouille les viscères, les fresques monochromes frottées

Les décharges publiques devenues le refuge de milliers de laissés-pour-compte

Marée noire peste noire Idées noires Baignade interdite Pensée interdite

Les amants criminels Prémonitions Mauvaises fréquentations

L’homme de ma vie Ma meilleure ennemie Chili con carne

Les nuits de la présidente

L’infirmière est une salope Ma petite entreprise Mister Cool

D’une vie à l’autre

Danger immédiat Ça se discute Monica les aime longues On les entend dans le linge Ce qu’ils furent Les stries les rougeurs les rougeoiements filtrés

L’observateur non séparable de l’objet de son observation Par sauts quantiques par approximations réitérées par séries aléatoires Vibrant avec l’héroïne

Pleurant dans les strates Les micro-organismes dans les couches sur les lamelles microscopiques Quatre lunettes

Pour voir de près dont une paire pour lire au soleil Dans les magazines les chromos sur papier glacé en tonnes par forêts entières Sur les pellicules Potins popotins de stars Par microsecondes Des viandes électrocutées Époque épique Les programmes en boucle sont le signe

D’une pensée qui tourne en rond La décompression totale de l’imaginaire

Une esthétique de l’apparence Touche le fond ! Des programmes Des slogans

Un langage à tiroirs Renflouez les épaves Un réseau incontrôlable d’insignifiances Informations diffusion désinformation

Qu’est-ce qui

Irréversible remonte à la surface Vous êtes Koursk ! cadavres blêmes extraits avec le chiffre peaux promises à la dissolution Le mort habite Le mort voit

Ce qui vous devance Voit les écrans Entend dans les ondes Scrute à travers vos prunelles mortes À travers les blindages le ciel infini plein de nuages

Aux radiations délicates Vous êtes Koursk ! Biopsies Contractions Thromboses

Localisation intravasculaire Embolies Vous êtes Koursk ! Le mort voit le mort

Dans le coma de la conscience Des particules flottant à travers l’espace infini

Qui vous résorbera

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