La beauté traversant nos décombres

Éric Brogniet,

Ils n’ont rien laissé

Le champ brûlé tremble sous le soleil

Débrouille-toi avec la carcasse noire

Le pan de mort sur l’azur

Tes doigts de sang appellent

Et se souviennent

Vie mémoire aux yeux crevés

Dans l’odeur du limon et de l’os

*

Poussière odeur d’urine aux murs des bourgades

Écrasées par la chaleur blanche des midis

Le vent brûlé dans le soleil

La langue est un morceau de cuir bouilli

— Je ne sais plus parler

J’ai respiré l’air qui couve sur ce pays

Ses purulences ses ulcères

J’ai vu dans le matin aux seuils pleins de crasse

Les paralysés les aveugles regardant l’éclipse

Leurs faces d’ombre leurs sanies leurs cancers

Vous êtes plein de miracles et de thromboses

Je suis votre parole dénouante

Et ma bouche est votre ulcère

Nous sommes vous et moi la même viande

Promise aux mouches

Je suis fatigué de marcher

Quel tonnerre tantôt déchirera la nue

Et roulera d’écho en écho

D’autres que moi sont venus

Et vous ne les avez pas entendus

Le jour vous met debout avec vos yeux troués

La nuit vous allonge dans l’ordure et la merveille

De vos songes Vous dressez autour de vous

Des remparts et vos artefacts vous dévoreront

Comme le soleil sur le point de sombrer

Peu à peu grignoté par ses ombres

Toutes vous trahiront

La face noire grandit

Et vous ronge le cœur

Votre visage n’est qu’une empreinte dans la lumière

Les jours sont accomplis Voici la lancinance d’être

Et les chairs qu’on déchire ou pulvérise Déjà je sais la lance

Qui m’ouvrira le cœur et le vinaigre sur les lèvres

Muettes d’étonnement et de douleur

*

L’esprit de toujours s’est penché sur ces ruines

Et son vertige m’a saisi

(Ici j’ai respiré l’odeur du jasmin)

L’Histoire est une cicatrice inguérissable

Toute mort se mêle à la pluie de ces fleurs et des nativités

(Accroupies elles accouchent sur des tombes)

Toute beauté s’appuie sur ces vestiges et ces revers

*

Écoute Aucun nom

À la question sans fin portée

Et que répercute l’écho de ces monts

(Ils flageolent dans la chaleur

Et la poussière est blanche)

De ces remparts et de ces arches

Éloigne-toi !

De ces sérails de bouches mortes

Éloigne-toi !

De ces silences coupables

Éloigne-toi !

Tu porteras tes os dans le désert

Au milieu des pierres innombrables

Qu’un vent vide a meulées et meulera encore

Tes os au milieu des murs ruinés des bourgades

Où couvent les charognes parmi les carcasses

Noircies des automitrailleuses

Tes os dans l’alphabet des poutrelles tordues

Éborgnant l’azur

Tes os de village en village et de maison en maison

D’éboulis en éboulis Dans les cendres Dans les ruines

Dans le carnavalesque enchevêtrement et le mortuaire

Dans l’enchaînement grotesque des causes à effet

Tours ou clochers, toits et terrasses réduits en poussière

Aucun nom Éloigne-toi !

Sous la cendre et le vent de sable

Cinquante jours durant

Disperse tous tes trésors

Déleste-toi de tout ce qui t’appartient encore

Hormis la mémoire

Et flambe de ce feu qui bouge en toi

Qui bougera toujours en toi

Ainsi que la colonne étourdissante du soleil

*

De droite à gauche ce qui fut dispersé

Cette pluie de pierres incandescentes

Et d’ossements sur la grève du Temps

Une infinie blancheur

Amour que je lis de forage au genêt

Et de l’épaule au cœur

De droite à gauche ce qui fut dispersé

Et que tu reconstruis autour de cette perte

Amour notre salut dans l’errance

Et si ces signes ne sont pas lus par la lumière

Ils le seront par le désert

Et si ces signes ne sont pas lus par la ténèbre

Ils le seront par les pierres

Et si ces signes ne sont pas lus par le feu

Ils seront en solitude traversés et brûlés jusqu’au cœur

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