Ils n’ont rien laissé
Le champ brûlé tremble sous le soleil
Débrouille-toi avec la carcasse noire
Le pan de mort sur l’azur
Tes doigts de sang appellent
Et se souviennent
Vie mémoire aux yeux crevés
Dans l’odeur du limon et de l’os
*
Poussière odeur d’urine aux murs des bourgades
Écrasées par la chaleur blanche des midis
Le vent brûlé dans le soleil
La langue est un morceau de cuir bouilli
— Je ne sais plus parler
J’ai respiré l’air qui couve sur ce pays
Ses purulences ses ulcères
J’ai vu dans le matin aux seuils pleins de crasse
Les paralysés les aveugles regardant l’éclipse
Leurs faces d’ombre leurs sanies leurs cancers
— Vous êtes plein de miracles et de thromboses
Je suis votre parole dénouante
Et ma bouche est votre ulcère
Nous sommes vous et moi la même viande
Promise aux mouches
Je suis fatigué de marcher
Quel tonnerre tantôt déchirera la nue
Et roulera d’écho en écho
D’autres que moi sont venus
Et vous ne les avez pas entendus
Le jour vous met debout avec vos yeux troués
La nuit vous allonge dans l’ordure et la merveille
De vos songes Vous dressez autour de vous
Des remparts et vos artefacts vous dévoreront
Comme le soleil sur le point de sombrer
Peu à peu grignoté par ses ombres
Toutes vous trahiront
La face noire grandit
Et vous ronge le cœur
Votre visage n’est qu’une empreinte dans la lumière
Les jours sont accomplis Voici la lancinance d’être
Et les chairs qu’on déchire ou pulvérise Déjà je sais la lance
Qui m’ouvrira le cœur et le vinaigre sur les lèvres
Muettes d’étonnement et de douleur
*
L’esprit de toujours s’est penché sur ces ruines
Et son vertige m’a saisi
(Ici j’ai respiré l’odeur du jasmin)
L’Histoire est une cicatrice inguérissable
Toute mort se mêle à la pluie de ces fleurs et des nativités
(Accroupies elles accouchent sur des tombes)
Toute beauté s’appuie sur ces vestiges et ces revers
*
Écoute Aucun nom
À la question sans fin portée
Et que répercute l’écho de ces monts
(Ils flageolent dans la chaleur
Et la poussière est blanche)
De ces remparts et de ces arches
Éloigne-toi !
De ces sérails de bouches mortes
Éloigne-toi !
De ces silences coupables
Éloigne-toi !
Tu porteras tes os dans le désert
Au milieu des pierres innombrables
Qu’un vent vide a meulées et meulera encore
Tes os au milieu des murs ruinés des bourgades
Où couvent les charognes parmi les carcasses
Noircies des automitrailleuses
Tes os dans l’alphabet des poutrelles tordues
Éborgnant l’azur
Tes os de village en village et de maison en maison
D’éboulis en éboulis Dans les cendres Dans les ruines
Dans le carnavalesque enchevêtrement et le mortuaire
Dans l’enchaînement grotesque des causes à effet
Tours ou clochers, toits et terrasses réduits en poussière
Aucun nom Éloigne-toi !
Sous la cendre et le vent de sable
Cinquante jours durant
Disperse tous tes trésors
Déleste-toi de tout ce qui t’appartient encore
Hormis la mémoire
Et flambe de ce feu qui bouge en toi
Qui bougera toujours en toi
Ainsi que la colonne étourdissante du soleil
*
De droite à gauche ce qui fut dispersé
Cette pluie de pierres incandescentes
Et d’ossements sur la grève du Temps
Une infinie blancheur
Amour que je lis de forage au genêt
Et de l’épaule au cœur
De droite à gauche ce qui fut dispersé
Et que tu reconstruis autour de cette perte
Amour notre salut dans l’errance
Et si ces signes ne sont pas lus par la lumière
Ils le seront par le désert
Et si ces signes ne sont pas lus par la ténèbre
Ils le seront par les pierres
Et si ces signes ne sont pas lus par le feu
Ils seront en solitude traversés et brûlés jusqu’au cœur